"Pour cette seule raison, je le chéris” : sorti il y a 63 ans, cet extraordinaire film est l’un des préférés de Martin Scorsese
Olivier Pallaruelo
Olivier Pallaruelo
-Journaliste cinéma / Responsable éditorial Jeux vidéo
Biberonné par la VHS et les films de genres, il délaisse volontiers la fiction pour se plonger dans le réel avec les documentaires et les sujets d'actualité. Amoureux transi du support physique, il passe aussi beaucoup de temps devant les jeux vidéo depuis sa plus tendre enfance.

Sorti en 1961, servi par une puissante approche quasi documentaire, "Salvatore Giuliano" est le premier chef-d'oeuvre d'un immense cinéaste, Francesco Rosi. Une oeuvre admirable, qui figure très haut dans le panthéon personnel de Martin Scorsese.

S'il y a bien un cinéaste incarnant mieux que quiconque la cinéphilie la plus absolue, c'est bien Martin Scorsese. Sa connaissance du cinéma et de ses auteurs est vertigineuse. Véritable encyclopédie vivante de l'Histoire du cinéma, Marty est de surcroît un ardent défenseur du patrimoine cinématographique mondial, à travers sa Film Foundation, créée en 1990.

Et son programme World Cinema Project, qui vise à restaurer certains films eut égard à la place exceptionnelle qu'ils occupent dans le patrimoine mondial. Depuis cette date, elle a aidé à restaurer plus de 1000 films. Et ce sont quelques 65 films de 31 pays différents qui l'ont été directement sous la tutelle du programme World Cinema Project.

Dans les oeuvres restaurées par la Film Foundation, figure un chef-d'oeuvre absolu sorti en 1961 : Salvatore Giuliano, signée par un non moins immense cinéaste hélas encore trop méconnu par le grand public, Francesco Rosi.

L'Histoire ? Elle débute en Juillet 1950. Le cadavre du fameux bandit sicilien Salvatore Giuliano est découvert dans la cour d’une maison de Castelvetrano. Un commissaire y dresse un bref constat, des journalistes recueillent quelques renseignements. Plus tard, son corps est exposé à Montelepre, sa commune natale ; la foule vient s’y recueillir, sa mère le pleure… Mais que s'est-il passé ? Qui sont les responsables de son assassinat ? De quelle histoire italienne Giuliano était-il le nom ?

"Pour cette seule raison, je chéris ce film"

En 2014, Martin Scorsese avait eu le grand plaisir (comme toujours, en la matière...), à l'invitation du fameux éditeur Criterion, de livrer ses 10 films préférés. Le cinéma italien y figurait en très bonne place, eut égard à l'importance que ce cinéma a joué dans sa formation cinéphilique.

Et de lâcher ce commentaire à propos de Salvatore Giuliano : "C'est un film extrêmement complexe : il n'y a pas de protagoniste central, et il multiplie les sauts dans le temps en même temps que les points de vue. Mais c'est aussi un film de l'intérieur, réalisé avec un profond amour et compréhension de la Sicile, de sa population, des trahisons et corruptions que la population doit endurer. [...]

Si le film est une investigation rigoureuse, il n'est jamais sec, [...] et il est filmé dans un noir et blanc absolument électrifiant. [...] Salvatore Giuliano est, entre-autre choses, un grand hymne à la Sicile, la terre de ma famille, et pour cette seule raison, je chéris ce film."

Un réalisme quasi documentaire

Observateur lucide, auteur d'une oeuvre d'une grande cohérence et d'une intégrité sans faille, Francesco Rosi était un des derniers grands maîtres du cinéma italien, aux côtés de Federico Fellini. Après son film Profession Magliari, en 1959, dont l'action se situe dans les milieux immigrés italiens d'Allemagne, Rosi signe son premier véritable chef-d'oeuvre, Salvatore Giuliano.

Galatea film

Tourné en Sicile, quelques années à peine après le drame, sur les lieux mêmes des événements, Salvatore Giuliano est une enquête extrêmement rigoureuse et pénétrante sur le système politique italien. Multipliant les points de vue sur les circonstances de la mort de Giuliano, il dévoile les complexes collusions qu'entretiennent les différentes forces en présences : armée, police, mafia, et justice. Mais contrairement à bien d'autres films politiques, Salvatire Giuliano ne délivre aucun message. Rosi ne s'érige pas en censeur mais propose matière à réflexion.

"C'est le contexte de Salvatore Giuliano qui m'intéressait, non pas sa psychologie. C'est un film sur la tragédie d'un peuple et d'une terre, la Sicile, qui se sont retrouvés subordonnés à cette puissance qu'est la mafia. C'est là que réside tout le problème. La mafia était tellement puissante qu'elle a réussi à se mettre d'accord avec les institutions. Ce qui explique que l'histoire de Salvatore Giuliano soit truffée de paradoxes et de faits délirants" racontait le cinéaste.

Galatea film

Si Rosi livre un film très réaliste, il récuse pourtant l'idée d'avoir fait une sorte de documentaire. "Je pense que le film a été raconté de manière à préserver le réalisme des rébellions et des relations entre les habitants de Montelepre et Salvatore Giuliano. Je pense que cette relation était tellement véridique qu'elle pouvait ressembler à un documentaire" commentera Rosi. Il faut dire aussi qu'il n'a pas hésité justement à solliciter les habitants de Montelepre et Castelvetrano, pour leur faire revivre des scènes qu'ils vécurent quelques années auparavant.

De là découlent d'extraordinaires scènes, d'une grande émotion, comme le massacre des paysans dans la vallée, les femmes en pleurs sur le cadavre du bandit, ou même l'assassinat de Gaspare Pisciotta, le lieutenant de Giuliano, merveilleusement incarné par Frank Wolff, que les amateurs de western connaissent bien.

Envie de découvrir cette merveille absolue ? Salvatore Giuliano est disponible en VOD. Pour les amoureux du support physique, il est également sorti dans un belle édition combo DVD / Blu-ray, dans la collection "Make my Day !" créée par Jean-Baptiste Thoret. On y trouve notamment une passionnante analyse de plus de 40 min du film par Michel Ciment.

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