Attention, spoilers. Il est conseillé d'avoir vu l'épisode 6 de la saison 2 de "The Last of Us" avant de poursuivre la lecture de cet article.
La première saison de The Last of Us prenait déjà aux tripes et arrachait quelques larmes mais la deuxième salve d'épisodes de l'adaptation du célèbre diptyque vidéoludique est bien plus sombre, intense et complexe, en jetant un nouveau regard sur ses héros acculés.
C'est notamment le cas de Joel (Pedro Pascal), tué par Abby (Kaitlyn Dever) dès le deuxième épisode de la saison 2 de The Last of Us. Cet évènement tragique, mais attendu par les joueurs et joueuses, a rabattu les cartes et a suscité de vives réactions de la part des fans.

Déjà, à la sortie du jeu, les critiques avaient fusé car une certaine partie du public n'avait pas supporté que Joel se fasse tuer, qui plus est par Abby, que le jeu vous oblige à incarner avant le meurtre et après pendant de nombreuses heures de jeu.
The Last of Us : Part II vous oblige à bousculer vos convictions, à changer votre point de vue et à envisager qu'il y a plus d'une version d'une même histoire, et qu'il n'y a pas vraiment de méchant, ni de gentil. En tout cas, en ce qui concerne Joel et Abby.
Il en est de même pour la série puisque Craig Mazin et Neil Druckmann avait déjà pris le parti de dévoiler une information majeure dès le deuxième épisode, à savoir que le chirurgien qui allait opérer Ellie pour espérer créer un vaccin et que Joel a tué à Salt Lake pour sauver Ellie n'était autre que le père d'Abby. Ce qui explique son désir de vengeance.

Le duo enfonce le clou avec le sixième épisode de la saison 2 de The Last of Us, qui est autant un hommage qu'une exploration plus claire de la complexité du personnage de Joel, puisqu'il est uniquement constitué de flashbacks.
Une déconstruction compliquée de la masculinité toxique
Ecrit par Craig Mazin et Neil Druckmann et Halley Gross, coscénaristes de The Last of Us : Part II et réalisé par Neil Druckman, l'épisode 6 commence avec un flashback sur l'enfance de Joel à Austin au Texas en 1983. Ce dernier a grandi sans figure féminine avec son père policier, assez bourru et violent ayant lui-même grandi avec un père violent.
Si le père de Joel et Tommy essaie de ne pas reproduire le même schéma de son enfance, il tape tout de même ses enfants, qui se rebellent, fréquentent des délinquants et accumulent les bêtises.
Avec un contexte familial aussi dur et violent, Joel a grandi avec une figure masculine toxique dont il est difficile de s'extraire une fois à l'âge adulte. La trace de son père dans sa chair est d'ailleurs représentée par la montre qu'il porte et qui appartenait à son père.
Le père de Joel espère que son fils fera mieux lorsqu'il sera lui-même père. Mais Joel a déjà ce poids sur les épaules depuis ses jeunes années car il fait également office de figure paternelle pour Tommy (Gabriel Luna) et tente de l'aider à chaque fois qu'il a des ennuis, même encore plus tard dans le premier épisode de la saison 1.

La brutalité, la dureté et la répression de ses sentiments, même avec sa propre fille Sarah (Nico Parker), font partie de son quotidien. Cela ne veut évidemment pas dire qu'il ne ressent rien mais Joel ne les exprime pas toujours, sauf lorsqu'il craque et qu'il est acculé.
Joel est un homme qui a du mal à gérer ses émotions et qui réagit à l'instinct, souvent par la violence pour se protéger et protéger les siens, mais aussi car il n'a connu que ça. Et pour se déconstruire et se défaire, le chemin est très long et compliqué, encore plus dans un monde post-apocalyptique où la violence règne en maître.
C'est pourquoi il a mis du temps à aimer Ellie et la considérer comme sa fille mais aussi pourquoi il a été difficile pour lui de suivre une thérapie avec Gail (Catherine O'Hara). Joel confie d'ailleurs à Dina qu'il ne veut pas que la communauté de Jackson soit au courant. Dans son inconscient, un homme qui suit une thérapie est un homme faible, alors qu'il ne comprend pas que c'est le premier pas vers la guérison.
Une paternité retrouvée
Si sa dureté et sa brutalité sont des atouts incontestables pour survivre dans un monde post-apocalyptique, sa relation avec Ellie va lui permettre de s'ouvrir et d'accepter doucement mais sûrement une certaine sensibilité, une joie de vivre et surtout une vulnérabilité, qui passe à travers des petites attentions, telles que des chansons à la guitare, des surnoms affectueux ("Baby girl") et surtout un "je t'aime" révélateur.
L'épisode 6 nous dévoile de nombreux flashbacks d'anniversaires consécutifs d'Ellie pour lesquels Joel se démène en cadeaux, comme la guitare qu'il a fabriquée lui-même ou les différents gâteaux qu'il arrive à troquer.
Mais c'est surtout la fameuse visite du muséum d'histoire naturelle du Wyoming, scène très marquante du jeu vidéo The Last of Us : Part II, qui permet à Ellie et Joel de se rapprocher encore plus. Et on voit bien que Joel est en demande de ce genre de moments privilégiés avec Ellie et qu'il ne cherche qu'à lui faire plaisir et à la protéger, quitte à en faire trop.

Cette paternité de substitution amène son lot de joie mais aussi son lot de peine et d'incompréhension. Notamment, lorsqu'un an plus tard, Joel découvre qu'Ellie a une petite amie du nom de Kat, qu'elle fume de la marijuana et qu'elle s'est fait tatouer à l'endroit où elle s'est fait mordre par un infecté.
Ellie est alors en pleine adolescence, elle se cherche et se découvre et fait ses premières expériences. Mais Joel y voit une rébellion ou des comportements "déviants" qui le ramènent à sa propre jeunesse et à l'adolescence à laquelle sa fille décédée Sarah n'a pas eu droit. Son passé toxique refait surface et Joel et Ellie se disputent, ce qui amène une première grosse cassure dans leur relation.
Sauf que cette dernière est déjà fragile, étant donné que Joel a menti à Ellie sur ce qui s'est réellement passé à Salt Lake avant leur arrivée à Jackson. Joel a tué toutes les Lucioles et a interrompu l'opération qui allait tuer Ellie mais qui aurait pu aider à la conception d'un vaccin.
Joel se voile la face sur les conséquences de ses actes et maintient même à la thérapeute Gail qu'il l'a sauvée. Ce qui est le cas, mais il a certainement condamné l'humanité et a indéniablement scellé les destins de nombreuses personnes, et notamment le sien.
Le héros des uns, le méchant des autres
Car c'est sa brutalité, sa dureté et son manque d'appréhension des sentiments qui vont le mener à sa perte. Même s'il tente de combattre ses démons, ce sont ses sentiments complexes qui le poussent à signer son arrêt de mort.
C'est à cause de ce qu'il a fait à Salt Lake que Joel se fait tuer par Abby, la fille du chirurgien qu'il a assassiné. Mais cet évènement va également créer une distance entre Joel et Ellie. Cette dernière a des doutes sur ce qu'il a dit et va vite comprendre qu'il a menti.
D'autant qu'elle réalise qu'il est capable de mentir lorsqu'ils partent en expédition dans un nouveau flashback de l'épisode 6 où l'on apprend enfin comment et pourquoi Joel a tué Eugene (Joe Pantoliano), le mari de la thérapeute Gail.

Eugene se fait mordre par un infecté et demande à Joel de l'amener à sa femme pour lui dire au revoir avant de mourir. Ellie fait promettre à Joel d'accéder à sa requête. Mais Joel ment à Ellie et tue Eugene de sang froid dans le dos et ment à Gail ensuite devant Ellie, qui se rend compte de cet autre aspect de la personnalité de Joel.
Cette séquence inédite nous donne un autre aperçu moins reluisant et plus sombre de Joel et confirme les soupçons d'Ellie à son encontre. C'est d'ailleurs un nouvel évènement qui casse un peu plus la relation entre Joel et Ellie.
Le coup de grâce vient du dernier flashback dans l'épisode 6 de la saison 2 de The Last of Us : la suite de la soirée du Nouvel An, que l'on voyait dans le premier épisode. On comprend qu'Ellie et Joel ont enfin eu une discussion sur ce qu'il s'est passé à Salt Lake et Joel avoue tout. Ellie lui dit qu'elle ne peut pas lui pardonner mais qu'elle va essayer.
Cette scène déchirante, qui intervient normalement à la toute fin du jeu The Last of Us : Part II, intervient à la fin de cet épisode hommage à Joel, qui apporte de nombreuses réponses à certaines questions mais qui permet aussi d'appuyer sur l'ambivalence de Joel, un personnage qui est le héros de certains mais le méchant pour d'autres.
Ce qui est à l'image de The Last of Us, et plus particulièrement de The Last of Us : Part II. Avec ce jeu et la seconde saison (puis la saison 3 d'ores et déjà commandée), le public n'a d'autres choix que de remettre en question ses principes et ses idées préconçues sur certains personnages et certains aspects de cet univers si riche, si "humain" paradoxalement et surtout si déchirant.
Cete saison 2 nous offre des nouveaux points de vues et s'extrait de son rapport manichéen à la survie et à ses héros avec des questionnements essentiels : Est-on le méchant d'une autre vie ? Quelles conséquences nos choix ont-ils ? Que faire lorsque l'on perd un être cher ? La vengeance est-elle une solution ?
La série opère quelques changements majeurs (pour la plupart tragiques, mais aussi de jolis moments et clins d'œil d'une grande sensibilité) par rapport à la première partie du second jeu qui renforcent la tonalité brutale et dramatique des épisodes et qui permettent de relativiser la grandeur de certains personnages, notamment Joel, qui a l'étoffe d'un héros, mais qui n'en reste pas moins un être humain, avec ses forces mais surtout ses faiblesses.
La saison 2 de "The Last of Us" est en cours de diffusion sur la plateforme Max.