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    "Je pense à vous" : rencontre avec Pascal Bonitzer et Marina de Van

    A l'occasion de la sortie ce mercredi de "Je pense à vous", tragi-comédie hantée et déjantée, entretien avec le cinéaste Pascal Bonitzer et l'actrice-scénariste Marina de Van.

    Etes-vous d'accord si on dit que vos films ont beaucoup à voir le théâtre, y compris le théâtre de la vie quotidienne ?

    C'est peut-être simplement lié à l'importance que jouent les dialogues et au rôle dynamique que j'aime voir dévolu aux dialogues. Mes personnages parlent beaucoup, d'autant plus que certains sont des intellectuels (un écrivain, un psychiatre) et possèdent donc le langage. Mais ils peuvent être dépassés, piégés par les mots. Il est vrai que le cinéma qui m'importe, c'est le cinéma parlant, un cinéma qui a une sorte de souvenir ou de rapport au théâtre, au roman, plus qu'un cinéma qui aurait un rapport à la bande dessinée ou au jeu vidéo. Il y a quelques années, j'avais même caressé l'idée d'écrire une pièce de théâtre.

    Chez vous comme chez Rohmer que vous admirez, chaque scène représente en elle-même un enjeu pour les personnages : ne pas perdre la face, par exemple.

    C'est très important de ne pas perdre la face, en effet. Je me souviens aussi que Rohmer disait : "Mettre en scène, c'est mettre en petites scènes." J'attache une très grande importance à l'articulation logique des scènes entre elles et au développement dynamique de la fiction par ce qui se passe à l'intérieur de chaque scène. C'est une chose très importante pour moi narrativement, et c'est ce que j'ai essayé de faire ici. Il faut que la succession des événements soit à la fois extrêmement logique et tout à fait imprévisible. Mes personnages sont toujours égarés ou alors caractériellement un peu extravagants, voire carrément pathologiques comme Anne. Il y a quelque chose qui les entraîne... C'est là que je ne suis pas du tout rohmérien, en tout cas que je me situe dans un tout autre univers existentiel : mes personnages ne sont pas normaux, ils sont tous frappés d'une cinglerie particulière, une certaine démesure qui les entraine dans des situations aberrantes par rapport à leur vie quotidienne. Pourtant, ils semblent insérés socialement, ce ne sont pas du tout des marginaux. La dimension fantastique du film vient évidemment du personnage d'Anne, qui par certains égards peut être considéré comme un fantome ou un revenant, mais aussi de la volonté que j'avais d'inscrire l'histoire dans un Paris un petit peu paradoxal, avec la présence du Bois de Vincennes près de la maison d'Hermann, avec ces jardins, ces appartements...

    Vous parlez de revenants et de Paris, deux thèmes fétiches de Jacques Rivette, avez qui vous collaborez comme scénariste depuis longtemps. Vous a-t-il inspiré sur ce film ?

    C'est possible, je ne sais pas ce qu'il en penserait. Il n'a pas encore vu le film. D'ailleurs, c'est la première fois que je ne lui montre pas le film en cours de montage, d'abord parce que nous avons tourné et monté quasiment simultanément nos films, et peut-être aussi parce que j'avais, un peu plus que d'habitude, peur de ce qu'il en penserait... En tout cas, il y avait dans Histoire de Marie et Julien [film de Rivette sorti en 2003, photo], l'histoire d'amour d'une revenante avec un homme un peu particulier, quelque chose qui résonnait en moi et que j'avais envie de prolonger dans mon univers spécifique -qui n'a pas grand-chose à voir avec le sien. Et puis il y a la poésie de Paris, que Jacques sait rendre admirablement, et moi beaucoup plus laborieusement...

    Vous avez écrit le scénario de son dernier film, "Ne touchez pas la hache". Pouvez-vous nous parlez de cette collaboration ?

    Il s'est trouvé par hasard que nos dates de tournage coincidaient. Je ne pouvais donc pas écrire les dialogues sur le tournage, comme j'en ai l'habitude. J'ai donc été obligé d'écrire, avec Christine Laurent, les dialogues du film de Jacques pendant la préparation de mon propre film. Si bien que, pour la première fois, Jacques s'est retrouvé avec un scénario et une continuité dialoguée complètement écrits au moment du tournage. J'ai vu un premier montage du film, que j'ai beaucoup aimé. C'est une adaptation relativement fidèle de La Duchesse de Langeais, sous le titre Ne touchez pas la hache, qui était le premier titre choisi par Balzac. La durée du film est une durée rivettienne, mais un peu plus courte que d'habitude. Certainement pas aussi courte que le mien, qui peut passer pour un court métrage auprès des films de Jacques... Il fait même une durée assez courte par rapport à la moyenne des films. Ca me convient, j'aime bien qu'il y ait peu de temps morts.

    Vous avez récemment travaillé pour la télévision, sur "l'Affaire Villemin" (photo ci-dessous) ? En quoi le travail de scénariste pour le petit écran est-il différent ?

    J'avais déjà écrit un ou deux téléfilms. En revanche, c'est la première fois que je m'attelais à un feuilleton, sur une longue durée, avec la nécessité de trouver pour chaque épisode ce qu'on appelle un cliffhanger, c'est-à-dire un point d'accroche qui donne envie au téléspectateur de voir l'épisode suivant. Evidemment, l'autre particularité de la chose, c'est qu'il s'agissait d'une histoire véridique bien connue, qui a secoué la France il y a un peu plus de vingt ans. Le challenge, c'était d'être le plus réaliste possible, de respecter la vérité des faits et en même temps de ne pas faire un document filmé mais une fiction, avec la concentration, le rythme, le suspense propres à la fiction. J'ai été intéressé par ce travail, par les informations que j'ai pu apprendre à cette occasion, et par ma collaboration avec Raoul Peck, avec qui j'avais déjà travaillé sur Lumumba. Et puis ça m'a éloigné de Paris et du parisianisme... (sourire)

    Comment percevez-vous l'évolution des rapports entre la télévision et le cinéma ?

    Disons que pendant longtemps le cinéma a méprisé la télévision, et qu'aujourd'hui, c'est la télévision qui méprise le cinéma. C'est une formule forcément simplificatrice, mais je pense que ça correspond à une réalité. La télévision a longtemps été plus ou moins dans un état d'infantilité par rapport au cinéma. Et elle est est en train de trouver la maturité, peut-être à travers le modèle américain, les chaînes comme HBO. Ce faisant, elle se rend compte qu'elle n'a plus besoin du cinéma. Mais dans la mesure où on fonctionne avec le système des quotas, qui permet au cinéma français d'exister (comme il a par exemple permis au cinéma coréen d'exploser), on voit bien qu'il y a une violence contradiction à l'intérieur du système, dont le cinéma d'auteur est en train de patir.

    Pouvez-vous nous parler de notre nouveau projet, une adaptation d'un roman d'Agatha Christie ?

    C'est une commande, mais qui m'intéresse beaucoup. Je ne suis pas le premier à aller vers cet écrivain, Pascal Thomas par exemple vient d'en réaliser deux [Mon petit doigt m'a dit et L'Heure zéro, dont le tournage vient de s'achever]. Agatha Christie m'intéressait à condition de la "désagathachristiser", de franciser l'histoire, de l'actualiser, de lui donner des couleurs qui me sont un peu personnelles. Je suis en train d'écrire l'adaptation avec Jérôme Beaujour, scénariste qui a travaillé entre autres avec Benoît Jacquot, et on s'amuse beaucoup. Il s'agit d'un roman qui s'appelle Le Vallon. Il n'est pas très connu, même si Michel Houellebecq en a fait un vif éloge dans Plateforme. C'est un roman très particulier et très intéressant parce que l'histoire sentimentale y tient une place beaucoup plus grande que dans la plupart de ses autres romans.

    Propos recueillis le 24 novembre 2006 par Julien Dokhan

    (page 3 : interview de Marina de Van)

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