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    "London River" : rencontre avec Brenda Blethyn

    Grande comédienne britannique, révélée par "Secrets et mensonges" qui lui a valu un Golden Globe et un Prix à Cannes, Brenda Blethyn est à l'affiche de "London River" de Rachid Bouchareb. Rencontre...

    AlloCiné : Vous êtes Britannique, et surtout une Londoner : est-ce que l'idée de faire un film sur les attentats de 2005 vous a rebutée au départ ?

    Quand j'ai rencontré Rachid Bouchareb, je n'étais pas sûre du point de vue du film. Si c'était pour faire un film-spectacle ou quelque chose comme cela, ça ne mintéresserais pas. Pourtant, j'ai toute suite réalisé qu'il avait une vision différente, pas sur les attentats, mais sur les attentats comme catalyseurs des ces deux cultures. Le point central, ce sont les personnages et je savais qu'il allait traiter le sujet avec intégrité.

    Les conséquences des attentats sont plus une toile de fond...

    Le film aurait pu être tourné n'importe où. J'ai cru comprendre que Rachid Bouchareb a attendu que je sois disponible, et apparemment c'est pour cela qu'il a choisi Londres. Je ne le croyais pas jusqu'à son appel.

    Vous connaissiez le travail de Rachid Bouchareb ?

    Non, pas parce qu'il n'est pas bien connu, mais parce que je suis ignorante ! J'ai vu Indigènes et c'était génial. Et j'ai découvert Sotigui Kouyate dans Little Senegal, également réalisé par Rachid Bouchareb. Je réalise que j'ai beaucoup de la chance. Rachid sait vraiment travailler avec les acteurs, il a gagné. Il a su faire en sorte que je me sente intéressante. Personnellement, j'ai besoin qu'un réalisateur ait confiance en moi.

    C'est intéressant parce que vous avez travaillé avec de grands réalisateurs comme Mike Leigh...

    Je dirais que je dois ma carrière à Mike Leigh. En 1980, on a travaillé ensemble pour la première fois et après, j'ai réalisé que j'étais paresseuse dans mon interprétation. Avec son aide et son expérience, j'ai développé une technique, qui est, en fait, du bon sens. Quand je lis un scénario, j'essaye désormais de découvrir qui est vraiment le personnage. Du coup, j'ai fait la même chose avec London River. Au début Elisabeth est contente : elle vit seule mais elle a une fille qui va bien et elle l'aime. Il devient évident plus tard qu'elle ne la connaît pas.

    Justement, comment avez-vous approché votre personnage dans "London River" ?

    Il faut prendre en compte des faits objectifs. Par exemple, je connais très bien ce quartier de Londres dont il est question dans le film, mais j'ai dû faire en sorte d'oublier ça, puisque mon personnage n'est pas censé le connaître. Tout au long du film, Elisabeth découvre des choses qu'elle ignorait. Ainsi, lorsque le taxi arrive chez sa fille Jane, ce qu'elle découvre est totalement à l'opposé de ce qu'elle imaginait. Elle s'attendait à un joli quartier avec des arbres - peut-être ne pouvait-elle pas imaginer autre chose. Elle commence alors à penser que sa fille a été enlevée. Elle a peur, cela fait quelques semaines qu'elle n'a pas parlé à sa fille.

    Vous avez souvent joué des rôles de mère : s'agit-il d'un choix de votre part, ou est-ce dû au fait que les réalisateurs vous proposent essentiellement ce type de rôle ?

    La plupart des femmes de mon âge sont mères, et, lorsqu'elles sont actrices, jouent donc des mères. Si j'étais un homme, vous ne me poseriez pas ce genre de question, n'est-ce pas ? Je crois que ce que vous voulez dire, c'est que mes personnages ont une vraie histoire. Mais au cinéma, parfois, les personnages de mère jouent seulement les utilités, dans le cadre du foyer, sans être réellement approfondis. Dans la réalité, les mères jouent un rôle bien plus grand, comme celles que j'ai interprétées.

    Préférez-vous incarner des femmes vulnérables, ou fortes ?

    Je n'ai pas de problème d'ego, pour ce qui est du choix des rôles. Je fais d'ailleurs une brève apparition dans Dead Man Running, un film avec 50 cent. Même chose pour Angel Boy et The Calling. Si le rôle m'intéresse, je le joue. Je préfère un petit rôle dans un bon film, qu'un grand dans un navet.

    Avez-vous des envies de mise en scène ?

    Au théâtre, peut-être. Mais mettre en scène pour la TV ou le cinéma nécessite trop de connaissances techniques.

    Y-a-t-il un/ une cinéaste pour lequel vous voudriez absolument tourner ?

    Non, pas vraiment. En fait, je n'ai aucune ambition, de ce point de vue. La seule fois où il m'est arrivé d'éprouver beaucoup d'intérêt pour un projet, c'était pour " Orgueil et Préjugés ". Et heureusement, j'ai été choisie pour interpréter le rôle de Mrs Bennett trois semaines avant le début du tournage.

    Comment vont réagir les Britanniques en voyant London River, selon vous ?

    Je n'en suis pas bien sûre. Dans la plupart des pays, Allemagne, Canada ou Algérie, le film a été bien reçu. J'espère qu'il aura le même succès au Royaume-Uni. Les critiques étaient bonnes, lors du London Film Festival. C'est un bon film, proche du documentaire ; on a dit qu'il ne semblait pas " joué ", ce qui est un beau compliment. On verra. Il faut s'attendre au pire, et espérer le meilleur.

    Vous avez appris le français pour le rôle. Allez-vous continuer à le pratiquer ?

    Oui, bien sûr. Mais pour le moment je suis très prise. En fait, pour le film, on a même improvisé quelques scènes en français. Je le parle relativement bien, j'ai pris des cours avec une prof française.

    Les préjugés d'Elisabeth sont l'un des leitmotive du film. Pensez-vous qu'il y ait beaucoup de gens comme elle, qui partagent ces préjugés ?

    J'ai envie de la défendre. Elle est ignorante, et elle a peur. En fait elle ignore pas mal de choses, concernant la vie de Jane. Cet atroce attentat a été commis par des musulmans, et par coïncidence, Jane s'est installée dans un quartier où il y a beaucoup de musulmans... Du coup elle se pose des questions : Jane est-elle morte, pourquoi a-t-elle disparu... Elle se retrouve dans une situation étrange à la mosquée, avec cet homme qui possède une photo de sa fille. Au téléphone elle déclare ensuite que le quartier grouille de musulmans. L'ignorance est mère de la peur. Si l'on demandait à Elisabeth, " es-tu raciste ? ", elle répondrait " bien sûr que non, je suis chrétienne et tolérante ". Elle a bon fond, on peut s'en rendre compte lorsqu'elle dit à Ousmane qu'elle est désolée, et l'invite chez Jane. Ce n'est pas pour la galerie, elle est sincère. Mettez-vous à sa place, avec son mode de vie. Vivant sur cette petite île qu'est Guernesey, elle n'a jamais eu à penser des sujets comme la religion (celle des autres), la différence. Déterminer si elle est raciste ou non, c'est ouvrir un débat intéressant.

    Propos recueillis par Helen Hemblade

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