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    Olivier Assayas présente son "Carlos"

    Lundi dernier, à l'issue de la première projection de la série en trois parties "Carlos", Olivier Assayas a donné une conférence de presse pour évoquer cette oeuvre hors normes, qui sera présentée au prochain Festival de Cannes et diffusée sur Canal plus en mai. Morceaux choisis.

    Le mythe Carlos

    J’ai été surpris que personne n’ait raconté cette histoire avant. Carlos est un des grands mythes contemporains. A travers cette personnalité au destin exceptionnel, on parle d’une époque, de la problématique des années 70, de la question du passage du gauchisme à la lutte armée... D’une certaine façon, quelqu’un qui n’aurait pas lu le journal depuis un demi-siècle pourrait penser que Carlos est un personnage de fiction, tant son parcours et son histoire sont extra-ordinaires (au sens « hors de la norme). Je pense que Carlos est un passionnant personnage de cinéma.

    Cinéma ou télévision ?

    J’ai fait Carlos de la même manière que chacun de mes autres films : on l’a tourné en 35, en Scope, avec une équipe de cinéma. On l’a fait comme un film de cinéma… mais un film de cinéma impossible ! D’abord à cause de sa longueur : le cinéma ne tolère pas une durée de 5h30. Et puis le cinéma français n’autorise pas un film parlé minoritairement en français. Je n’aurais donc pas pu faire le film avec Édgar Ramírez par exemple. On m’aurait aussi demandé, pour un financement de ce type, des acteurs avec une certaine notoriété. La télévision, en tout cas cette télévision-là, me donnait donc une plus grande liberté que le cinéma. C’est paradoxal : pour moi, peut-être à tort, la télévision c’était le monde de la contrainte et de la convention. Et là, à l’inverse, j’ai eu l’impression de faire du cinéma au carré : un cinéma avec une liberté de durée, de casting, de langue, une liberté de ton aussi. Ca a été l’occasion de sortir du carcan du cinéma français que je trouve souvent conventionnel. De ce point de vue, je suis à la fois intimidé et ému que le film soit montré à Cannes, qui est la plus belle salle du monde, avec aussi les dangers et les angoisses que cela implique. Mais au fond, je ne suis pas surpris, car Carlos est un film de cinéma, sa famille est là aussi.

    La construction du récit

    D’une certaine façon, les films longs doivent être deux fois plus rapides. A partir du moment où on entre dans un récit qui couvre 20 ans, il faut une longue durée pour qu’on ressente le passage du temps. En même temps, il y a comme un contrat avec le spectateur, qui n’est pas habitué à une durée pareille : on se doit de relancer et d’alimenter le récit. L’histoire de Carlos s’y prête : elle est mouvementée, elle traverse une époque agitée, qui s‘étale sur plusieurs pays, plusieurs époques, dans des langues différentes. En raison du materiau même du film, il y a toujours quelque chose qui ravive la curiosité : un nouveau personnage, un nouveau pays, un nouveau chapitre. Et puis il y a une logique d’engrenages. J’ai eu l’impression de construire le film par blocs qui se sont autogénérés : si on veut raconter les événements qui conduisent à l’attentat du Drugstore St Germain ou à la fusillade de la rue Toullier, il y a des causalités qui se mettent en place, une multitude d’événements convergents qui nous amènent à ces faits, et qui se cristallisent autour d’eux. Il y a comme des accélérations, les choses deviennent hors de contrôle, l’histoire se construit à l’insu des personnages : parfois, Carlos a le sentiment de faire son destin, parfois il en est victime, emporté par le flux de l’Histoire.

    Sources et témoignages

    Au départ, le journaliste Stephen Smith a établi une compilation de chronologies, à partir des différentes biographies de Carlos qui existent. Mais même la meilleure biographie, celle de l’anglais John Follain (la mieux informée, la plus consistante), est truffée d’inexactitudes. On a donc constamment croisé les sources pour reconstituer la narration la plus crédible. Concernant l’Opep, l’essentiel du idalogue entre Carlos et Yamani est rapporté par Yamani, idem pour le dialogue avec Hernandez Accosta. Grâce à Daniel Leconte [le producteur], qui le connaît depuis longtemps, on a eu la coopération de Hans Joachim Klein [ancien membre des Celluels révolutionnaires allemandes], qui a bien voulu relire le scénario, faire des remarques. Pour donner un exemple, les témoins de la prise d’otage de l’Opep ont chacun leur version. Comme on a pu reconstituer en studio l’OPEP à l’identique, on s’est aperçu que certaines choses, par la simple disposition des lieux, était impossibles ! Donc la porte était toujours ouverte à de nouvelles informations, à des remises en cause. On a ainsi totalement revu le récit de la prise d’otages de la Haye : il me semblait avoir trouvé le meilleur récit dans un ouvrage consacré à l’Armée Rouge japonaise, et quand on est arrivé à la Haye pour les repérages, une femme qui avait été prise en otage à l’époque et qui travaille toujours à l’Ambassade nous a dit : « Mais ça ne s’est pas du tout passé comme ça, le récit que fait cet ouvrage est intégralement faux ! » On a donc repris le récit, même si c’était parfois dramaturgiquement frustrant, à cause de ce témoignage de dernière minute.

    La musique

    Je ne sais jamais à l’avance quelles musiques seront dans mes films. Je crois qu’un film accepte ou rejette une musique. Il y a une scène où Magdalena pleure dans son laboratoire, et systématiquement à chaque fois que j’essayais de mettre quelque chose qui ressemble à de la musique de film, qui amène de l’émotion, le film le rejetait. Finalement j’ai essayé des morceaux de rock dur, en l’occurrence de Wire, eh bien ça collait. Au fond, la violence de l’époque, de ce qui est en jeu, est accompagnée par cette musique-là. Bizarrement, je n’ai jamais mis autant de rock, au sens énergique du terme, dans un de mes films. Pour l’anecdote, au départ j’avais mis beaucoup de morceaux d’un groupe que j’aime beaucoup, les Feelies. Tout avait été fait, dealé, monté. Et un jour on reçoit un appel nous disant : « Les Feelies sont très mal à l’aise avec l’idée que leur musique soit dans un film sur le terrorisme ! ». J'ai eu beau leur expliquer, ils n’ont rien voulu savoir, et j’ai été obligé de tout changer à la dernière minute.

    Carlos face au film

    Carlos a demandé un droit de regard, ce qui est évidemment impossible. Il y a 120 personnages dans le film, dont 80 sont encore vivants. S’il fallait donner un droit de regard à chacun d’entre eux, ca remettrait en cause l'idée même de faire des films autour de l’Histoire contemporaine, ce qui est absurde ! Carlos a donc essayé d'obtenir quelque d’obtenir de juridiquement abracadabrant, et il ne l’a pas obtenu. Après, qu’il ait essayé de prendre contact avec nous, ça ne me surprend qu’à moitié. Il est depuis 15 ans dans une cellule de prison minuscule, il apprend qu’on fait un film sur lui… Je comprends qu’il veuille se faire entendre. Il a raconté en partie sa version dans un entretien, sur lequel je me suis beaucoup basé. Mais s’il avait fallu que Carlos collabore au scénario, ça aurait été sans moi ! Je ne suis pas historien, ni documentariste. Ce qui m’intéressait, c’était de donner mon interprétation de cette légende. Je tiens beaucoup à la dimenson romanesque de ce film. Au passage, quelqu’un qui voudrait faire un travail documentaire sur le sujet aurait bien du mal, car il y a trop de zones obscures, mystérieuses, ou qui sont l’objet d’analyses contradictoires.

    Recueilli par Julien Dokhan

    Le premier épisode de Carlos sera diffusé le 19 mai, jour de la projection cannoise

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