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    Zoom sur... Apichatpong Weerasethakul

    A l'occasion de la sortie de la Palme d'or, présentation d'Apichatpong Weerasethakul, le réalisateur d'un envoûtant voyage dans les pas de "Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies passées".

    Tout habitué du Festival de Cannes qui se respecte le sait, Apichatpong Weerasethakul est une valeur sûre. Pour les plus enthousiastes, il est synonyme d’une affirmation essentielle, quand d’autres glissent, indifférents, sur un cinéma jugé trop élitiste.

    Une critique qu’il reprend à son compte : "Je ne fais pas des films pour tout le monde", confiait-il à nos micros lors de la présentation de son film. "Ils reflètent ma personnalité, c’est ce que je recherche et j’aime dans un film". Tout cela énoncé avec une gentillesse non feinte, presque gênée.

    Etre cinéaste…

    Joe - ses amis l’appellent Joe -, naît en 1970 dans une famille de médecins et grandit au Nord-Est de la Thaïlande, où ses parents vivent, déjà, à l’écart de la ville. Un master d’architecture en poche, il réalise son premier court-métrage un an après et concrétise un désir né de la découverte, enfant, des productions américaines avec lesquelles il a grandi. Spielberg en tête, qu’il considère comme un "génie du cinéma à l’ancienne. (…) J’avais 12 ans quand E.T. est sorti et je me souviens d’un choc émotionnel fort. (…) J’aime ces films (hollywoodiens, nldr) et ils font partie de ma création, même si ma réflexion personnelle est différente".

    A 24 ans, il s’envole pour Chicago étudier les Beaux-Arts, et s’ouvre à un cinéma contemporain qu’il ne connaît pas. D’Asie en tête, où Tsai Ming-liang et Hou Hsiao Hsien s’imposent comme des références, et à propos desquels il lâche, admiratif, "oh, ces gens sont vraiment impressionnants". Une dizaine de courts-métrages en moins de dix ans s’enchaîne, une fois close la parenthèse américaine, moins attirante que la jungle profonde dans laquelle son inspiration préfère se réfugier. Bercé par les seuls bruits d’une faune aussi diverse que singulière, sa réflexion tire son essence de croyances et légendes ancestrales ancrées au tréfonds d’un imaginaire collectif fertile.

    Porté par la critique

    Artiste plasticien à part entière, il a récemment exposé à Paris. La boîte de production qu’il a créée, Kick the Machine, présente des projets de tous horizons. Ses thèmes et histoires se construisent dans ces échanges. Son univers entre onirisme, exigence formelle et aller/retour entre réalité et fantastique, en est le fruit.

    La recette marche, au vu de l’emballement critique dès la découverte de Blissfully yours (Sud senaeha), récompensé dans la séction "Un Certain Regard" à Cannes en 2002. Deux ans plus tard, il revient sur la Croisette, mais en compétition, avec Tropical Malady , salué par un Prix du jury. Quand on lui demande comment il explique l’engouement du public occidental pour des films profondément ancrés dans la culture Thaï, sa réponse sonne comme un manifeste : "Je pense que ce qui relie des spectateurs si différents, c’est le besoin de se laisser aller, l’idée de ne pas tout maîtriser. Nous avons besoin de simplicité et c’est ce que je cherche, remettre en cause les attentes du spectateur. Qu’il pénètre complètement dans un long voyage à travers des territoires inconnus."

    Il est chez lui dans cette jungle et pas un de ses films ne s’aventure trop en dehors de cette matrice spatiale essentielle.

    Le social et le politique

    D’autres critères le retiennent. "Partir, ce serait pour survivre financièrement. Tourner en France, avec des acteurs connus m’apporteraient de l’argent. Mais si c’est la seule solution pour continuer, comment pouvoir faire son propre film, comment faire un bon film ?" Il bénéficie encore de la clairvoyance de producteurs extasiés, et ses films sont des coproductions multi-nationales. Oncle Boonmee, par exemple, regroupe cinq pays européens. Et la Thaïlande, un peu.

    C’est que la production et le pouvoir domestique ne soutiennent quasi-exclusivement que le cinéma d’action, là où les discordances sont nulles. Stigmatisé par la censure pour ses films "blasphématoires", il profite de sa reconnaissance grandissante, et prend la tête d’un collectif, "Free Thaï Cinema", qui la combat. Cette mobilisation permet d’envisager l’émergence d’un autre cinéma et la diffusion de la "vraie" version de cette Palme d’Or, là où ses précédents films avaient été littéralement amputés.

    Malgré les très bons échos qu’il reçoit de ses compatriotes, il reste plus que confidentiel sur ses terres, et réunir 5 000 personnes pour Oncle Boonmee serait un succès (il ne dispose que d’une seule copie). Apichatpong est un cinéaste qui, financé par des fonds étrangers, est considéré comme tel en son pays et ne peut que regretter, amer, une certaine impuissance face à une situation politique envenimée par des conflits latents. "Je suis plus un spectateur privilégié. Mais simplement cela"".

    Palme d’or et futur

    A Cannes, il a dit trois mots à Tim Burton: "Il y avait trop de monde, partout, on n’a pas pu échanger vraiment". Il n’y est d’ailleurs pas resté longtemps et n’a pas vu d’autres films, perturbé par le déchirement qui agitait son pays. Il confesse "ne pas être vraiment familier avec le cinéma d’auteur: je ne vais pas beaucoup au cinéma"; et pense à Antonioni, Chris Marker et la Nouvelle Vague française - Rivette en figure de proue - comme ses inspirations familières.

    Concerné par le futur du cinéma, il espère qu’en Thaïlande "la Palme va aider les jeunes à y croire." Quant à la 3D et la technologie en général qui peut laisser craindre une uniformisation des genres, il juge qu’"elle n’est pas encore suffisamment prête pour tout bouleverser".

    Avant de conclure : "cela aidera certainement à ramener les gens au cinéma et c’est une bonne chose, mais l’histoire restera toujours plus importante. Un robot n’invente pas d’histoires."

    Apichatpong Weerasethakul, ou l’exigence d’une envoûtante simplicité.

    Adrien Ribstein-Moreau

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