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    "Detective Dee" : entretien avec Tsui Hark

    A l'occasion de la sortie de "Detective Dee : Le mystère de la flamme fantôme", Tsui Hark, réalisateur culte de l'âge d'or du cinéma hong-kongais, nous a accordé un entretien téléphonique depuis l'ancienne possession britannique...

    AlloCiné : ce n’est pas la première fois que vous vous emparez d’un personnage historique. C’était déjà le cas pour Il était une fois en Chine par exemple, avec Wong Fei-hung, le personnage incarné par Jet Li. Qu’avait ce Détective Dee de différent, qui vous a particulièrement attiré ?

    Tsui Hark : Detective Dee (ou "Juge Ti") est un personnage historique qui fut premier ministre, mais travailla également pour un département d'enquêteurs au VIIème siècle - c’est pourquoi on le nomme "Detective Dee". La différence avec Il était une fois en Chine, c’est que Wong Fei-hung est un personnage du XIXème siècle, époque durant laquelle, après avoir été un pays très fermé, la Chine s’ouvre soudain à la culture occidentale. Cette révolution industrielle, l’arrivée de toutes ces nouvelles inventions, les modernisations apportées par l’Ouest créèrent de vives tensions en Chine, et Il était une fois en Chine se nourrit de ce contexte. Detective Dee se situe au moment où, au VIIème siècle, la Chine traverse une ère remarquable, avec des apports culturels en provenance d’Italie, d’Europe, et de la plupart des pays les plus développés du monde. Chose amusante, le VIIème siècle est beaucoup plus libéral, plus libre que le XIXème, avec une vie sociale et intellectuelle plus développée. Par ailleurs - mais c’est vous qui m’y faites penser, parce que quand j’ai tourné Detective Dee mon but n’était pas de tracer un parallèle entre les deux périodes - au XIXème siècle, on trouve un peu le même type de pouvoir féminin, qui contrôle le pays dans l’ombre d’un roi ; mais le pays est alors très peu développé et en déclin, alors qu’au VIIème siècle, où les affaires sont également conduites par une femme qui devint la seule impératrice de l’histoire, la Chine était devenue un pays très puissant.

    A quel(s) genre(s) appartient selon vous Detective Dee, puisqu’outre le Wu Xia Pian, on y retrouve des éléments de film policier, historique, de fantastique,…

    A la base, le style narratif et le genre de l’histoire sont dans la veine du Wuxia [...], alors je dirais que c’est du Wuxia. Mais c’est aussi une combinaison d’autres éléments, avec notamment un contexte et des figures historiques. L'autre point essentiel, c’est que nous voulions tourner une histoire de détective, ce qui est presque antinomique : le Wuxia est plus romantique, adopte un style poétique. Si vous parlez de détective, d'enquête, vous devez au contraire développer une approche plus logique, scientifique, dans la façon d’exposer la situation et les phénomènes qui se produisent. Au final, il faut arriver à exprimer cela de façon plus poétique : c’est l’une des choses que nous avons dû bien calculer au moment de donner naissance au film, il fallait faire en sorte que les gens retrouvent une sorte de base poétique et romantique, pour accepter ensuite le genre de l’enquête.

    C'est la première fois que vous dirigez véritablement Andy Lau. Comment se fait-il que cela ne soit pas advenu plus tôt ?

    En fait avec Andy Lau nous sommes amis depuis longtemps, et nous avons toujours parlé de travailler ensemble. Nous avons cherché comment faire, on a même failli tourner ensemble à un moment, et puis il y a eu des problèmes d’agenda, des projets annulés,… Il a fallu tout ce temps pour que les conditions soient réunies. Et puis je voulais un personnage unique, un matériau spécial pour Andy, pour cette première collaboration. Detective Dee était le projet adéquat pour que cela se produise.

    Qu’est-ce qui a changé dans l’industrie du film à Hong-Kong depuis la rétrocession de 1997 ?

    Je crois que la situation actuelle de l’industrie du cinéma en Chine n’a rien à voir avec ce qu’elle était en 1997, avant la rétrocession de Hong-Kong à la Chine. Le marché chinois est un marché très important désormais, très vaste, avec un large public qui stimule la forte activité de cette industrie. Ainsi, dès lors que le marché en Chine s'ouvre, de nombreux investisseurs asiatiques ont envie de développer quelque chose qu'ils puissent y présenter et vendre. C’est pour cette raison que nous devons travailler dans le périmètre défini par la politique ici, parce qu’il y a certaines choses, certains sujets auxquels on ne peut pas toucher. C’est le genre de choses dont nous devons être conscients lorsqu'on fait un film et qu'on le présente au public. Voilà la différence entre l'époque où nous n’avions pas de marché ici en Chine et la période actuelle.

    Que reste-t-il de l'âge d'or du cinéma de Hong-Kong des années 1980 et 1990  ?

    Je pense que dans les années 1980 et 1990 Hong-Kong a connu une puissante impulsion, et a émergé avec un grand nombre d'œuvres intéressantes et influentes. Films d’action, romances, comédies… En fait tout ce qu’on voit ici en ce moment, c’est comme une continuation de ce qu’on avait dix ou vingt ans plus tôt à Hong-Kong. C’est comme si nous étions dans un cycle au cours duquel se répèterait ce que nous avons fait vingt ans plus tôt. Tout le monde parle des films des années 1980-1990, ce qui me pose problème. Je ne pense pas qu’on doive faire des films avec cette approche passéiste. On revient vingt ans en arrière pour refaire encore les mêmes films. Ce n’est pas bon. [...] L'autre aspect de la question, c'est que nous sommes confrontés à un marché international, au-delà du marché chinois. Des gens comme Johnnie To, John Woo, adoptent cette perspective globale. En tournant le film, vous savez qu’il y a aujourd'hui de fortes chances pour qu'il soit distribué hors de Chine, donc vous devez prendre en compte le fait qu'il s'agit aussi d'établir une communication avec un public au-delà de la Chine.

    Ringo Lam, John Woo et vous-même avez dirigé Jean-Claude Van Damme lors de vos expériences américaines. Y-avait-il à l'époque une sorte d'obligation faite à tout réalisateur hong-kongais de tourner avec JCVD ?

    [Rire] Je pense que c’est parce qu’il s’est trouvé que le producteur [probablement Moshe Diamant] qui bossait avec Jean-Claude Van Damme nous a recrutés pour travailler avec lui. Ce producteur avait de solides connexions à Hong-Kong, de là le fait qu’il nous ait contactés, et que nous ayons tous eu l’opportunité de tourner avec lui.

    Que pouvez-vous nous dire sur votre projet suivant, The Flying Swords of Dragon Gate, qui marque vos retrouvailles avec Jet Li ?

    En fait c’est en quelque sorte la suite d’une histoire que j’ai racontée il y a vingt ans [L'Auberge du dragon]. Je le fais parce qu’il y a tellement de gens qui ne sont plus avec nous aujourd’hui... Et revisiter ce contexte c’est comme accomplir un tour des émotions passées, retrouver les lieux, les plateaux et tout ça encore une fois, pour voir à quel point ces gens réveillent le sentiment du film précédent. Et puis je le fais aussi parce que c’est avec Jet Li, que je n’ai pas vu depuis tant d’années. C’est une nouvelle expérience pour moi, parce qu’il revient comme une personne différente, un autre Jet Li. C’est intéressant, je n’avais jamais tourné avec quelqu’un avec qui je n’ai pas travaillé depuis tant d’années. Le tournage s'est achevé en décembre dernier, et le film est aujourd’hui en post-production.

    Propos recueillis le 24 mars 2011 par Alexis Geng

    Detective Dee : Le mystère de la flamme fantôme sort en salles ce mercredi 20 avril.

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