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    "Breaking Bad" : Revivez la Masterclass de Vince Gilligan à Deauville !

    A quelques jours de la diffusion du dernier épisode de "Breaking Bad", Allociné revient sur la Masterclass donnée à Deauville par son créateur et scénariste, Vince Gilligan...

    © AMC / Maximilien Pierrette - Allociné

    Le 7 septembre dernier, Vince Gilligan donnait une Masterclass au festival du cinéma américain de Deauville, dans laquelle il revenait sur l'ensemble de sa carrière. Le scénariste de X-Files et showrunner de Breaking Bad y a longuement évoqué son travail sur cette série considérée par beaucoup comme la meilleure de tous les temps. Olivier Joyard, scénariste français, animait la rencontre...

    Olivier Joyard : Comment en êtes-vous arrivé là ?

    Vince Gilligan : Je ne suis pas issu d’un milieu de cinéma, mais j’ai toujours su que je voulais faire du cinéma (je ne faisais pas la distinction entre le cinéma et la télévision à l’époque). Je suis passé par la NYU film School. C’est finalement mon scénario de fin d’études qui, en 1985, m’a permis d’être contacté par un agent. Ce film a par ailleurs fini par être produit, en 1998, il s’appelle Home Fries !

    Comment vous y êtes-vous pris pour réussir à entrer à NYU ?

    A l’époque, c’était beaucoup moins difficile d’y entrer, aujourd’hui, je n’aurais aucune chance d’être pris ! Mais ado, au lieu de sortir, d’aller draguer les filles, je faisais des films, en super 8. J’étais fasciné par la saga Star Wars, que j’avais vue quand j’avais 10 ans. Je construisais des vaisseaux, je fabriquais des masques de monstres.

    Comment avez-vous obtenu l’attention de Chris Carter, le créateur de "X-Files" ?

    J’ai été un fan instantané de X-Files, que j’ai découvert en 1993. C’est un heureux hasard ! Mon agent était la cousine de la femme de Chris Carter ! Elle savait que j’aimais beaucoup la série, et m’a proposé, si un jour je passais par Los Angeles, d’organiser une rencontre. Je vivais encore en Virginie à l’époque. Et c’est ce qui s’est passé, j’avais simplement prévu de lui serrer la main et de lui dire combien j’aimais son travail. A ce moment-là, 26 épisodes avaient été commandés pour la saison 2 de X-Files. J’avais écrit un scénario que Chris a aimé, Wilder Napalm, et puisqu’ils avaient vraiment besoin d’aide pour la saison 2, et qu’ils étaient presque prêts à prendre le premier venu, j’ai écrit un épisode en free lance, puis j’ai été accepté dans l’équipe !

    Il paraît que vous avez failli exploser le budget du premier épisode ?

    Oh oui, j’étais tellement naïf ! Je pensais que l’équipe de tournage se rendait dans tous les endroits indiqués dans le scénario, je me suis donc mis à indiquer plein de lieux, à chaque bout des Etats-Unis. Il a donc fallu réduire le budget, car mon scénario était irréalisable en l’état. Un épisode coûtait en moyenne 3 ou 4 millions de dollars, mais il en aurait fallu dix fois plus pour réaliser mon épisode dans les conditions de son écriture !

    Le Festival projetait alors un extrait de l’épisode 17 de la saison 3 ("Pusher"), avec la fameuse séquence de roulette russe © Fox Pathé Europa

    Lorsque Mulder pointe l’arme sur sa tempe, vous remarquez que la caméra est placée dans un angle oblique, pour qu’on ne le voie pas de manière frontale car la chaîne craignait que ça donne des idées aux adolescents. Mais, en rentrant chez moi, je suis tombé sur une série des années 60, Perry Mason je crois, et un homme était filmé frontalement s’appuyant un gun sur la tempe !

    On sent déjà votre style. Comment l’avez-vous trouvé ?

    J’ai appris à raconter visuellement une histoire, au-delà des mots, en rejoignant l’équipe de X-Files. Les moments les plus forts des meilleurs films sont souvent ceux dans lesquels le silence raconte quelque chose. Alors que la télévision progressait, il a été possible de rendre les séries plus "cinématographiques", et X-Files a ouvert la voie.

    Si vous deviez choisir une chose que vous a apprise Chris Carter, quelle serait-elle ?

    Eh bien, j’ai gardé de X-Files la même structure d’épisodes que pour Breaking Bad. Le "teaser" (l’accroche de l’épisode), puis le titre, et le découpage en quatre parties séparées par des publicités. Je me suis demandé dans Breaking Bad, comme pour X-Files, quel était l’élément visuel avec lequel je voulais ouvrir une scène, ou un épisode. Il s’agit d’une aide, en tant qu’auteur, apportée à l’équipe de réalisateurs.

    Qu’avez-vous fait entre X-Files, qui s’est terminée en 2002 et le début de Breaking Bad, en 2008 ?

    Quand X-Files s’est terminée, je pensais vouloir faire des films. Peu des films produits alors m’attiraient, en tant que spectateur et en tant que scénariste. Mon premier job a été de travailler sur un film d’horreur, dont j’ai été viré car je n’écrivais pas assez vite. J’ai aussi écrit un épisode de Robbery Homicide Division. Puis, Frank Spotnitz, avec qui j’avais travaillé sur X-Files, m’a présenté Michael Mann. Il m’a proposé de réécrire le scénario de Hancock, qu’il produisait. Ca a été un calvaire, quatre ans de torture pendant lesquels on m’a demandé de réécrire le scénario 25 ou 30 fois ! Après, j’ai créé plusieurs pilotes, qui n’ont pas marché, puis Breaking Bad est arrivée.

    Pour Breaking Bad, avez-vous essuyé un - ou vingt (rires) – refus ?

    Vous savez, dans ce milieu, vous êtes déjà chanceux quand une personne vous dit que ça va marcher ! Et c’est très rare que la première personne à qui vous pitchez l’histoire dise oui ! Mais un jour, j’ai pitché le premier épisode à deux personnes de chez Sony. Ils me regardaient bizarrement et je me suis dit que j’allais avoir droit à un énième refus. Mais ils ont adoré l’idée, même s’ils ont reconnu que ce serait certainement difficile à produire. Leur boss, le patron de chez Sony, a trouvé que c’était la pire idée de show qu’il n’ait jamais entendue ("worst idea EVER"), mais leur a dit qu’il leur faisait confiance sur ce coup-là. J’aime son honnêteté. Aujourd’hui encore, il avoue n’y avoir pas cru un seul instant au début. Il n’a pas été simple de trouver un distributeur. Finalement, AMC a accepté de nous distribuer.

    © AMC

    Avez-vous prévu l’évolution du personnage de Walter White dès le début ?

    Oui, dès le pitch, il s’agissait de transformer "Mr Chips" (monsieur Tout le monde) en Scarface. Les détails, quant à eux, sont dus à la collaboration entre chaque membre de l’équipe. J’aime cette phrase qui dit, dans un sens ou dans l’autre, "Dieu est dans les détails" ou "Le Diable est dans les détails". Je connaissais seulement la structure principale, et on a trouvé notre voie lentement mais sûrement.

    Walter White est né près de 10 ans après Tony Soprano. Ce n’est pas un cadeau pour ceux qui vont suivre, il est un peu "The Ultimate Bad Guy" (le méchant ultime). Pourquoi les gens continuent à regarder ce "very bad guy" ?

    Au début, j’ai essayé de le rendre ultra-sympathique, de peur que les gens arrêtent de regarder à mesure qu’il perd son capital sympathie. J’ai fait en sorte qu’on ressente même plus de compassion que de sympathie. Mais c’est fascinant car les fans adorent Walt, même s’il est ignoble. Les gens espèrent même qu’il s’en sorte ! Peu importe ce qu’il devient, les gens l’aiment. En fait, j’ai compris qu’il suffit qu’il soit intéressant pour que les gens regardent.

    Peut-être les gens l’aiment parce qu’il a accompli quelque chose ?

    Tout à fait. Peu importe à quel point c’est mal, tant qu’il va au bout, qu’il atteint son but. Les héros réussissent des choses qu’on n’arrive pas à faire dans la vie, par exemple avoir des idées géniales. Je pense à la saison 3, lorsque Walter parvient miraculeusement à se sortir des griffes de Hank. En tant que créateur, j’essaie d’écrire un personnage capable de ce dont moi je ne suis pas capable, un personnage qui s’est débarrassé de sa peur, alors que moi j’ai tout le temps peur, comme nous tous. C’est une sorte de catharsis.

    Extrait montrant comment Walt et Jesse procèdent pour fabriquer la meth

    Saison 5 épisode 3 "Hasard Pay" © AMC

    J’ai l’impression que vous dirigez le show de la même façon que Walt fabrique la méthamphétamine ?

    Merci, j’accepte volontiers ce parallèle ! Il y a effectivement cette même méticulosité, de la part de toute l’équipe, et une dévotion totale à la série. Chacune des quelques 140 personnes [engagées dans le show] partage le même enthousiasme. Au moment où les textes circulent, chacun les lit entre les prises, et chacun est passionné. La série parfaite n’existe pas, mais on peut s’approcher de la perfection avec autant de dévotion.

    A mesure que l’on avance, on a des séquences de plus en plus longues, et de moins en moins de dialogues.

    On essaie d’apprendre des meilleurs. Je pense à la scène de 2001 où le vaisseau s’approche de la station spatiale et le temps s’étend, sur la musique de Strauss. Kubrick disait que ce qui fait un film, ce sont six à huit moments insubmersibles. C’est cela le spectacle. On aime les moments sans dialogues. C’est ça la télévision et le cinéma. Et ce sont des moments de cinéma à la télé. On aime les dialogues des personnages de Breaking Bad, mais on aime aussi les moments de cinéma, avec de la musique seulement. Ce sont des moments magiques qui restent à la surface. On essaie de marquer visuellement le spectateur et aussi de nous faire plaisir à nous. D’ailleurs, un des scénaristes est arrivé, un jour, tout content, parce qu’il avait écrit un épisode avec cinq minutes sans un seul mot. Il était fier. Et moi aussi !

    La séquence de la piscine (Skyler avance dans la piscine toute habillée et reste au fond)

    Que signifient les piscines dans la série ?

    Le truc assez drôle, c’est que quand on cherchait la maison et qu’on a pointé celle-ci du doigt (merci d’ailleurs à la propriétaire, les gens viennent toujours frapper à sa porte pour voir LA maison de Walter White, des gens de partout, et elle accepte ça, elle est super), tout me plaisait, sauf la piscine, qui faisait trop "riches", trop "gens aisés". L’intérieur n’a rien à voir, il a été reconstitué en studios, mais l’extérieur est exactement celui qu’on voit dans la série. Finalement, on en a fait un élément aquatique récurrent ! Parmi les détails que je n’avais pas prévus, il y avait le fait que la piscine allait devenir un élément important !

    Dans trois semaines, c’est fini. Qu’est-ce que cela fait de se dire qu’on va faire partie de l’histoire des séries ?

    Bon, je vais vous dire comment ça finit, mais je vais vous le dire dans mon meilleur Français, donc vous n’allez rien comprendre (rires) ! L’équipe me manque déjà. En six ans, j’ai vieilli avec la série. Il y a un début et une fin, car il s’agit d’une transformation. On ne voulait pas emmener la série au point de lasser le public. Le point final était nécessaire. Je suis anxieux du futur, mais aussi excité. J’étais inquiet de ne pas trouver une bonne fin. Je suis fier du résultat et du dernier épisode.

    Questions du public

    Au moment du pilote, aviez-vous déjà Bryan Cranston en tête ? Vous a-t-il inspiré par la suite ?

    J’avais travaillé avec lui sur un épisode de X-Files, en 1996. On cherchait quelqu’un qui soit capable d’interpréter un vrai méchant, qui fasse vraiment peur, mais on devait aussi ressentir de l’empathie pour lui quand il meurt. Et au moment des auditions, Bryan Cranston entre (je l’avais vu en dentiste dans Seinfeld). Il était intense. Parfait. Il y a quelque chose d’unique en lui. Et quand Malcolm est sortie, je n’en ai pas cru mes yeux. Il était capable d’être très drôle. Il était capable de TOUT. Dès le début, je pensais à lui !

    Est-ce qu’on vous a empêché d’aller trop loin parfois pour Breaking Bad ?

    Hollywood est connu pour être un peu frileux. Quand Breaking Bad a commencé, j’avais peur qu’on me freine. Heureusement, j’ai eu la chance de travailler avec deux compagnies (AMC et Sony TV) à qui ça ne faisait pas peur. Ils ont été très courageux. Pour un épisode seulement, les producteurs, sans me demander de ne pas le faire, m’ont fait part de leurs doutes. Il s’agit de l’épisode de la saison 2 dans lequel Walt regarde Jane mourir de l’overdose. Ils se demandaient s’il n’était pas encore trop tôt dans la série pour qu’il soit si méchant. Je leur ai donné mon point de vue, et ils ont dit OK. Et c’était la bonne chose à faire à ce moment.

    "Ozymandias", l'antépénultième épisode de Breaking Bad... Le meilleur de la série ?

    Propos recueillis par Léa Bodin à Deauville

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