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    Michael Shannon : "Tout le monde doit voir 99 Homes pour ressentir l'expérience des victimes de la crise."
    Maximilien Pierrette
    Journaliste cinéma - Tombé dans le cinéma quand il était petit, et devenu accro aux séries, fait ses propres cascades et navigue entre époques et genres, de la SF à la comédie (musicale ou non) en passant par le fantastique et l’animation. Il décortique aussi l’actu geek et héroïque dans FanZone.

    Lauréat du Grand Prix du dernier Festival de Deauville, "99 Homes" sort en e-cinema ce vendredi 18 mars. L'occasion de revenir, avec Michael Shannon, sur ce drame qui aborde la crise immobilière aux Etats-Unis.

    En 2015, le Festival du Cinéma Américain de Deauville a fait mentir l'adage qui veut que les derniers soient les premiers, puisque le Grand Prix est revenu au film qui avait lancé la Compétition. Soit 99 Homes, drame aux allures de thriller sur fond de crise immobilière aux Etats-Unis. Passé par Venise et Toronto un an auparavant, le long métrage offre à Ramin Bahrani un duo en or, puisqu'il oppose Andrew Garfield à Michael Shannon.

    Egalement à l'affiche de Midnight Special depuis le mercredi 16 mars, ce dernier avait fait le déplacement sur les planches, quatre ans après le triomphe de Take Shelter (Grand Prix en 2011), pour évoquer ce long métrage disponible en e-cinéma. Et à ne pas rater.

    ==> Ce n'est pas le Club 300 d'AlloCiné qui vous dira le contraire

    AlloCiné : Hésite-t-on longtemps lorsque l'on vous propose un film sur un sujet aussi fort ?

    Michael Shannon : C'est intimidant que de vouloir faire un film sur un tel sujet. Au premier abord, si vous dites que vous faites un film sur la crise, on sent qu'il y aura peu de gens dans la queue pour le voir au cinéma. Mais Ramin [Bahrani] l'a rendu captivant. Et il est effectivement intéressant de rencontrer des gens ayant vécu cette situation. Avant de faire le film, je n'avais jamais assisté à une expulsion de ma vie et je n'y connaissais rien. Je savais ce qu'il s'y passait, mais je n'en avais jamais été témoin. Les expulsions sont, pour moi, le moments le plus puissants du film, surtout vu la façon dont les gens y réagissent.

    Saviez-vous, quand la crise a débuté en 2008, que les gens seraient ainsi expulsés de chez eux ?

    J'étais à New York à l'époque, donc très loin de la Floride [où se déroule l'action du film, ndlr]. On pourrait même parler de deux univers différents, et on pouvait lire ce qu'il se passait dans les journaux, sans pour autant se sentir personnellement investi, car je trouvais la situation majoritairement incompréhensible à cause de toutes ces histoires de règles, de lois.

    Comme si celles-ci avaient été faites de façon à ce que personne ne les comprenne, pour mieux entuber les gens, qui n'essayaient plus de comprendre tant c'était compliqué, et pensaient que les banques allaient s'occuper d'eux. Ce qui n'a pas été le cas. Les banques ont trouvé une grande variété de façons d'arnaquer les gens, c'est incroyable.

    Ceux qui créent les lois sont les méchants

    Considérez-vous alors votre personnage comme un méchant, vu qu'il cherche à arnaquer les banques ?

    C'est justement ce que j'aime chez Rick : il ne vise pas les petites gens, et n'aime pas frapper les pauvres dans le ventre, mais est davantage intéressé par l'idée d'entuber les banques. C'est un étudiant du système, quand la grande majorité des gens, comme je le disais plus tôt, ne prennent pas le temps d'essayer de comprendre ce qu'il se passe. Mais lui l'a fait, et grâce à cela, il sait comment retourner la situation à son avantage au lieu de voir le système profiter de lui, comme Dennis [Andrew Garfield] et les autres en font l'expérience. Je pense qu'il a choisi de "ne pas couler", comme il le dit lui-même, ce qui est difficilement contestable.

    Qui sont pour vous les méchants de l'histoire ? Les banques ?

    Oui. Je me souviens avoir vu des responsables de banques à la télévision, lors d'un témoignage au Congrès ou quelque chose de ce style, et je les avait trouvés sinistres. Chacun s'accroche au pouvoir qu'il peut avoir et Rick n'en possède pas plus que Dennis : il sait comment les choses fonctionnent. Il pourrait y avoir une révolution au cours de laquelle les gens descendraient dans la rue avec des fourches et des drapeaux en disant qu'ils en ont marre. Mais ça ne se produit pas et vous avez donc le choix entre comprendre comment les autres vous manipulent, ou laisser une main invisible détruire votre vie. Il y a tout un système de règles et de lois, et ceux qui les créent sont les méchants.

    La scène au cours de laquelle Dennis signe un contrat avec Rick ressemble à un pacte avec le Diable. Avez-vous approché votre personnage comme un Diable en costume beige ?

    Pas vraiment, même si chacun possède un petit diable à l'intérieur de lui, au même titre qu'il y a un peu de lumière en chacun. Mais Rick n'aime pas boire du sang, il a une femme et des enfants. En faisant des recherches pour le film, j'ai rencontré une personne, un agent immobilier en Floride, qui opère de façon similaire. C'était quelqu'un de très aimable et amical qui n'aimait pas expulser les gens de chez eux. Mais il disait aussi que beaucoup de ces personnes avaient fait des erreurs, et qu'il ne fallait pas oublier la part de responsabilité personnelle dans tout cela.

    Dans le film, Dennis est responsable car il n'a pas payé son prêt immobilier. Est-ce que la personne qui vient le déloger est diabolique alors que c'est lui qui n'a pas payé ? Je ne pense pas. Je ne dis pas non plus que c'est facile pour Dennis, qui a du mal à avoir un travail alors que l'économie est foutue. Mais au final, les maisons ne sont pas gratuites. Ou, en tout cas, je ne connais personne qui en possède une. Sauf si vous en construisez une tout seul dans les bois.

    On peut le voir comme un produit cynique de notre époque, qui tire parti de la situation.

    J'y réfléchissais hier car je voyais le film pour la première fois depuis longtemps, vu que nous avions été le présenter à Venise et Toronto l'an dernier [l'interview a été réalisée en septembre 2015, ndlr], et les gens me posaient des questions sur Rick et sa moralité. Lorsqu'il monte la dernière arnaque à la fin du film, pour atteindre les 100 maisons, il franchit clairement certaines limites et prend des décisions douteuses dont l'impact est hautement nocif. Surtout envers Frank Green [Tim Guinee].

    C'est mauvais, certes, mais c'est un personnage cynique. Et c'est difficile pour lui de ne pas l'être. Je pense que l'optimisme du film repose sur les autres. Beaucoup de gens m'ont demandé ce que représentait ma maison pour moi, mais je me soucie peu de l'endroit où je vis. Je n'y suis pas plus attaché que cela à partir du moment où je ne dors pas dans le caniveau mais la maison, pour moi, correspond à la famille. Et c'est ce que Dennis réalise au fur et à mesure du récit, surtout quand il comprend qu'il peut perdre sa mère et son enfant.

    Les statistiques représentent la mort de l'humanité

    Avez-vous rencontré des victimes d'expulsion pour parler avec elles et assisté à ce qu'elles ont vécu ?

    Je ne suis pas allé en voir une. Si je me faisais virer de chez moi, je ne voudrais pas qu'un acteur soit là en train de me dire "Je fais des recherches pour un rôle." Surtout que les gens ne sont jamais prêts lorsque cela arrive : ils n'ont pas leurs cartons de faits car, comme vous le voyez dans le film, ils se raccrochent jusqu'au bout à l'espoir de conserver leur maison. J'ai cependant pu voir des habitations vides, et c'était assez triste, surtout cette maison dont un couple venait d'être expulsé en laissant derrière lui des piles d'effets personnels. Il y avait même un album sur le sol qui contenait les photos de leur mariage.

    Avez-vous ressenti une responsabilité en travaillant sur un tel film, avec un tel sujet ?

    Une énorme responsabilité ! C'est une histoire assez compliquée à présenter aux spectateurs, mais les gens concernés méritent qu'elle soit racontée. Andrew représentent ceux qui, sans ce film, n'auraient pas de voix. Tout le monde doit voir 99 Homes, rien que pour comprendre et ressentir l'expérience des victimes de la crise. La ressentir profondément au lieu de se contenter d'une statistique, car les statistiques représentent la mort de l'humanité.

    Wild Bunch Distribution

    Vous parlez du fait que tout le monde doit voir ce film, et en France, le film sort en e-cinéma. Pensez-vous qu'une révolution soit en cours ?

    J'ai du mal à me prononcer car je suis technophobe. Je possède encore un téléphone à clapet, je ne passe pas de temps sur un ordinateur, je lis mes mails une fois tous les trois mois, et e ne suis pas inscrit sur des réseaux sociaux. Je préfèrerai toujours voir un film sur grand écran, car je suis vieux jeu à ce niveau. Mais je préfère aussi qu'une personne voit le film plutôt qu'elle ne le voit pas. Si quelqu'un veut le regarder sur son téléphone, car c'est ainsi qu'il en voit, ça reste une bonne chose. Mais je ne peux pas regarder de films sur un ordinateur.

    Les festivals sont-ils devenus incontournables pour permettre à un film indépendant américain de vivre dans le monde ?

    Il est devenu très difficile de faire financer un film, mais Ramin est très doué dans ce domaine. Etonnamment. Ça a été assez rapide pour 99 Homes. Mais même quand vous trouvez un financement, on ne vous donne pas tant d'argent que cela : ils essayent d'obtenir le maximum de profits pour un minimum d'investissement. C'est tout bénef' pour eux. Mais les festivals, et celui de Deauville en particulier, sont devenus cruciaux. Beaucoup de gens que je connais et avec lesquels je travaille considèrent que le France possède la meilleure culture cinématographique du monde.

    Je ne connais pas beaucoup de festivals qui, comme celui-ci, mettent à l'honneur la culture d'un autre pays, et uniquement celle-ci. Je pense que cela participe aux liens entre les deux cultures, qui se tissent depuis longtemps puisque la Nouvelle Vague française est basée sur le cinéma américain. Il y a donc une corrélation. Ça aiderait le film d'obtenir une reconnaissance ici [l'interview a été réalisée avant le palmarès, ndlr], aussi bien vis-à-vis de la France que des Etats-Unis.

    Warner Bros France

    A vous écouter parler, vous semblez très loin des standards hollywoodiens. Comment faites-vous pour vous plonger dans des grosses machines telles que "Man of Steel" ?

    Déjà je suis rarement à Los Angeles, contrairement à ce que pense la plupart du gens vu que je fais des films. Mais la culture y est vraiment différente, vu qu'ils ne font pas vraiment de films à Los Angeles. En tout cas pas ceux dans lesquels je joue : 99 Homes ne serait pas fait là-bas par exemple, car ça coûte très cher d'y tourner à cause des taxes. Ils essayent de changer cela pour faire revenir les réalisateurs à Los Angeles, mais j'ai davantage tourné à la Nouvelle Orléans, à Atlanta ou au Canada. Nous avons tourné la majorité de Man of Steel à Vancouver.

    Ce film était d'ailleurs comme une anomalie pour moi, une exception. Ce n'est pas ce que je fais d'habitude. Mais j'ai vraiment été séduit par Zack Snyder, qui est l'un des types les plus gentils et terre-à-terre que j'ai rencontrés, en plus de posséder une imagination fantastique. Il m'avait décrit tout le film avant de me demander mon avis car, et je l'ai découvert à ce moment-là, il voulait que je joue Zod. J'ai pensé qu'il était fou mais, à la fin, je me sentais comme un enfant : j'avais vu les Superman originaux avec Terence Stamp en Zod, et ça m'avait impressionné à l'époque. Du coup j'étais très content de faire le film.

    Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Deauville le 6 septembre 2015

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