Mon compte
    Pourquoi Luke Cage est plus qu’une série de super-héros
    Chaïma Tounsi-Chaïbdraa
    Chaïma Tounsi-Chaïbdraa
    -Journaliste streaming
    Experte en binge-watching et plateformes de streaming, Chaïma Tounsi s’amuse tous les soirs à zapper sa télécommande sur Netflix, Disney+, Canal+...

    Il est le premier super-héros noir à avoir sa propre série. Plus qu’un show Marvel, Luke Cage aborde des problématiques socio-politiques fortes et jamais autant développées à la télé. Décryptage.

    Netflix

    "Je ne suis pas un héros". Ces six mots, délivrés par Luke Cage dans l’un des épisodes, résument assez bien la série du showrunner Cheo Hodari Coker. C’est lui qui a porté à l’écran l’histoire de ce comics Marvel méconnu, créé dans les années 70, en pleine Blaxploitation.

    Plus qu’une série avec un homme aux super-pouvoirs, Luke Cage aborde des thématiques socio-politiques comme peu de shows l’ont fait avant. Les dialogues, riches de références, sont là pour célébrer une culture oubliée, comme nous l’explique le showrunner : "Je pense que la culture afro-américaine, de James Baldwin à Langston Hughes, a toujours insisté sur l’importance des vies noires et ce, malgré l’esclavage, l’humiliation et tout ce qui a joué contre nous. Nos vies comptent aussi (« we have lives that matter »). Donc ce n’est pas quelque chose d’unique à Luke Cage. Le but de la série est de trouver l’équilibre entre le pouvoir de Marvel et le prestige de Netflix tout en offrant un éclairage sur la culture afro-américaine d’une manière qui n’a jamais été faite jusqu’à présent. Luke Cage est une série de super-héros, n’oubliez pas que je suis un vrai geek, mais parce qu’on a placé l’action à Harlem et qu’on parle de choses plus sociales, c’est un témoignage de la diversité et de la complexité de la culture noire aux Etats-Unis. Et c’est quelque chose qui n’est pas facile à faire. Netflix nous le permet enfin".

    C’est un témoignage de la diversité et de la complexité de la culture noire aux Etats-Unis.

    Cette célébration de la culture afro-américaine, que la série musicale The Get Down a abordé à sa manière, est aussi une célébration de la vie, du passé et d’un héritage qui semble oublié : "A l’époque, il y avait encore du respect / Back in the days, we use to have respect", déclare le sympathique personnage de Pop (Frankie Faison), qui tient le salon de coiffure où bosse Cage. Le super-héros de son côté s’en prend dans l’épisode 2 à un ado armé qui le traite de "nègre". Une insulte que le colosse prend d’autant plus mal qu’ils se trouvent tout deux face à l’église Crispus Attucks, l’un des héros de leur passé. "Nègre ", terme controversé, est utilisé à outrance dans la série, un peu comme l’avait fait Sur écoute/The Wire quelques années plus tôt.

    D’ailleurs, Luke Cage nous rappelle de bien des manières la série de David Simon qui nous avait dépeint un Baltimore gangrené par les mêmes problèmes. Dans Luke Cage, on parle de gangs, de trafic d’armes, de corruption policière et politique (à travers le personnage de Mariah Dillard, jouée par Alfre Woodard). A l’heure où les persécutions policières continuent de faire la Une des journaux et des médias télévisés, que la population afro-américaine se sent oppressée et oubliée, Luke Cage tombe à point nommé.

    Luke Cage, un héros ordinaire

    Luke Cage est un super-héros proche de nous. Oubliés les Captain America, Iron Man et autres dieux nordiques qui doivent sauver le monde d’une menace plus grande. Luke Cage est là pour sauver Harlem du mal qui la gangrène, au même titre que Daredevil avec Hell’s Kitchen. La série se veut moins violente et démonstrative. Cage utilise ses pouvoirs à bon escient et connaît ses limites. Contrairement à Matt Murdock ou Jessica Jones, Luke Cage est un héros plus sympathique, moins mystérieux, avec un grand cœur : "Luke Cage possède une peau impénétrable mais son cœur est vulnérable. Il a beaucoup d’empathie. Ce sont ces aspects-là qui font de lui un personnage assez unique. Mike Colter m’a aidé à trouver cet équilibre. Il est le mélange parfait entre la force, la classe, la sensibilité et une douceur qui le rend attrayant. Pour moi c’est le meilleur choix d’acteur qu’on ait fait depuis Harrison Ford dans Indiana Jones ou Sean Connery dans James Bond, nous révèle Cheo Hodari Coker.

    Pour donner plus d’authenticité et de réel à sa série, le showrunner a fait des choix : contrairement aux comics, Cornell Stokes, l’indétrônable Cottonmouth (Mahershala Ali) n’a aucune habileté particulière (il a connu un passé violent, au même titre que Wilson Fisk). Misty Knight (Simone Missick) quant à elle perd son bras bionique – ou en tout cas ne l’a pas encore – créé par Tony Stark. Elle est une détective comme une autre, habitante d’un Harlem qu’elle chérit et qu’elle veut nettoyer de la corruption. Elle est autant une super-héroïne que Luke Cage…

    Elles nous poussent, dans une moindre mesure, à nous battre pour des choses qui nous touchent au quotidien.

    Cage ne se cache pas, les médias connaissent son nom et son pouvoir et surtout, il ne porte pas de costume. Enfin, pas un costume ordinaire. Juste un sweat à capuche, une référence non déguisée à Trayvon Martin, un jeune afro-américain tué en 2012 par George Zimmerman, assigné à la surveillance de son quartier. L’ado de 17 ans, qui portait ce soir-là un sweat à capuche sur la tête, avait un comportement suspect selon son agresseur. C’est par ailleurs cette affaire qui a engendré la création d’un mouvement militant, le Black Lives Matter (les vies noires comptent) qui se bat aujourd’hui contre le racisme et les bavures policières. Trois mots que l’on entendra dans Luke Cage

    Et chez les autres super-héros ?

    Ces thèmes socio-politiques ont aussi été traités dans les deux autres précédentes séries Marvel. Chez Jessica Jones, la showrunner Melissa Rosenberg a su aborder dans un show super-héroïque le thème du viol. Le personnage, incarné par Krysten Ritter, est une femme brisée, qui tente de se reconstruire après un passé d’abus (son ancien séquestreur, Zebediah Kilgrave, a le pouvoir de contrôler ses faits et gestes). Un traumatisme que Jones tente de surmonter au quotidien, à grand renfort d’alcools forts. La série Marvel’s Daredevil s’interroge quant à elle sur la religion, la notion de pouvoir, l’ambivalence entre le bien et le mal, et jusqu’où un justicier peut aller pour sauver son quartier. Des valeurs très populaires dans la culture américaine.

    Si ces séries Marvel/Netflix ne sont pas aussi cathartiques que ce que l’on peut voir au cinéma (des super-héros quasiment indestructibles qui sauvent le monde), elles nous poussent, dans une moindre mesure, à nous battre pour des choses qui nous touchent au quotidien. Comme eux. Car comme le dit si bien Luke Cage dans la bande-annonce : "Je ne veux pas être différent des autres / I don’t wanna be different than anybody else".

     

    FBwhatsapp facebook Tweet
    Sur le même sujet
    Commentaires
    Back to Top