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    Lumière 2016 : Entretien avec Jerry Schatzberg, le doyen du Nouvel Hollywood

    Quarante-cinq ans après avoir découvert Al Pacino avec Panique à Needle Park, le photographe et cinéaste Jerry Schatzberg est à Lyon pour présenter une copie restaurée de son chef d’œuvre. Retour sur sa carrière.

    Gauthier Jurgensen

    AlloCiné : À 42 ans vous avez délaissé votre appareil photo au profit de la caméra de cinéma, pour tourner votre premier film, Portrait d’une enfant déchue avec Faye Dunaway.  Pourquoi ?

    Jerry Schatzberg : L’idée a commencé à me travailler plus tôt. Le truc, c’est que dans le monde de la mode, à l’époque, quand on trouvait un nouveau top model, on l’épuisait pendant deux ou trois ans et puis on s’en détournait pour trouver quelqu’un d’autre, au lieu de privilégier les gens qui travaillent dur et qui sont de bons professionnels. Beaucoup de mannequins ont ainsi sombré dans une profonde dépression et dans la toxicomanie. C’est ce qui est arrivé à ma propre muse : je l’ai vue arriver dans mon studio, elle était fraiche, pleine d’entrain, elle voulait m’aider, moi qui n’y connaissais alors pas grand-chose. Elle avait besoin de photos, j’avais besoin de me faire un book… c’était un échange de bons procédés. Ensuite, elle a fait une belle carrière d’une dizaine d’années, mais avec des hauts et des bas, des séjours à l’hôpital... Son histoire m’a intéressé et j’ai voulu la raconter.  

    Mais concrètement, quelle opportunité vous a permis de tourner un film ?

    C’est une longue histoire. D’abord, on m’a demandé de superviser une émission de télé sur les plus belles femmes du monde. J’ai trouvé l’idée bonne. Les producteurs sont arrivés à New-York et je leur ai demandé qui allait le tourner. Ils n’avaient personne alors je leur ai montré des essais que j’avais faits. Ça leur a plu, ils les ont montrés à la chaîne en question et le job était à moi. C’est même devenu une série d’épisodes. Le premier était sur une reine de beauté britannique, la seconde sur Claudia Cardinale et la troisième devait se faire sur la Reine Sirikit de Thaïlande. Mais elle a commencé à repousser d’une semaine à l’autre. Et à force de me retrouver à New-York, je me suis dit que c’était peut-être le bon moment pour travailler sur cette histoire que je voulais raconter.

    Carlotta Films

    J’imagine qu’il ne suffit pas d’avoir du temps devant soi pour devenir metteur en scène…

    J’avais besoin d’un scénariste, car ce n’est pas mon métier. Un ami à moi m’a présenté un écrivain français qui avait scénarisé les premiers films de Simone Signoret et de Gérard Philipe. Il m’a plu tout de suite, car il avait travaillé en France dans les années 1940, les fameuses années noires pour les professionnels du cinéma. Donc il savait tout faire, ce qui me convenait parfaitement. J’étais prêt à tout financer moi-même. Entre temps, j’ai rencontré Faye Dunaway et je les ai présentés. Le courant n’est pas très bien passé entre eux, mais son scénario n’était pas mal. Seulement, il avait besoin d’être retouché et cet auteur ne pouvait pas entendre qu’un jeune metteur en scène inexpérimenté retravaille son scénario. Donc ça n’a pas marché avec lui. J’ai écrit une deuxième version du scénario que j’ai proposée à Warner qui n’en a pas voulu, puis à Paramount qui avait trop peur que ça ressemble à Blow Up… Dans un élan de désespoir, mon agent l’a proposé à la compagnie de Paul Newman et de Joan Crawfoard. Ça leur a beaucoup plu, ils venaient tous les deux de jouer dans de gros succès, ils avaient carte blanche pour financer un projet personnel et c’est le mien qu’ils ont choisi.

    C’est incroyable de penser qu’on n’avait pas vu Al Pacino à l’écran avant Panique à Needle Park. C’est vraiment son tout premier film ?

    En fait, c’est son premier grand rôle. Il avait fait une apparition dans un petit film, avant ça. C’était dans Me, Natalie de Fred Coe en 1969. Si vous clignez des yeux, vous le loupez. Moi, je ne l’ai jamais remarqué dans le film. Je l’avais repéré sur scène quelques années plus tôt.

    Action Cinémas / Théâtre du Temple

    En 1973, c’est la consécration avec votre Palme d’Or pour L’Epouvantail, votre troisième film. Nicolas Winding Refn, que je viens d’interviewer, voudrait savoir où vous la rangez, pour lui donner des idées au cas où il en aurait une aussi !

    Chez moi, mon espace de travail se divise en deux parties : il y a mon studio et une pièce qui me sert à la fois de bibliothèque et de bureau, où je travaille avec deux assistants. C’est là qu’on la range.

    J’avais un vrai mentor en France en la personne de Pierre Rissient.

    Quel souvenir gardez-vous du jour où on vous a remis la Palme ?

    C’était incroyable. J’avais un vrai mentor en France en la personne de Pierre Rissient. C’est lui qui a découvert Portrait d’une enfant déchue à San Francisco. Au début, il était réticent, mais au bout de dix minutes du film, il avait retourné sa veste ! Il a acheté les droits du film pour la France et l’a montré aux critiques qui l’ont aimé tout de suite, alors que j’avais plus de mal à atteindre le public américain. C’est arrivé au moment où je commençais à tourner Panique à Needle Park. Pierre m’a tout de suite dit qu’il voulait être le premier à voir ce nouveau film. Il l’a ensuite montré à tous les critiques français qui comptent aujourd’hui, comme Michel Ciment, et qui sont tous devenus mes amis. C’est aussi Pierre Rissient qui a imposé L’Epouvantail au Festival de Cannes en 1973. Le jour du Palmarès, j’étais sur une petite île interdite aux voitures au large de Cannes. Une organisatrice était avec moi et elle n’arrêtait pas de passer des coups de fil pour avoir des nouvelles au sujet des délibérations. Et puis, à un moment, elle est revenue me dire qu’on avait la Palme d’Or. Avec la compétition qu’on avait, cette année-là, j’espérais au mieux un prix d’interprétation pour un de mes acteurs. La Palme d’Or, je n’y aurais jamais cru. J’étais un peu sous le choc. Un choc merveilleux. On a regagné la côte et on a commencé les conférences de presse et tout le protocole… C’était vraiment grisant.

    Warner Bros.

    Dans votre film suivant, Vol à la tire, les héros sont encore des marginaux. Qu’est-ce qui vous fascine tant, chez eux ?

    Les laissés pour compte m’intéressent car nous sommes tous tributaires de ce que nos parents ont fait de nous. Certains sont aimés, d’autres sont déshérités… L’héroïne de Vol à la tire, par exemple, n’a pas eu les parents dont elle aurait eu besoin. Elle a dû se débrouiller seule. Mais c’était un peu une sortie de piste, ce film, de toute façon.

    Pourquoi ?

    Parce que j’ai cru signer une affaire en or avec le contrat de la Warner qui devait produire mes deux ou trois films suivants, et j’ai perdu un an ou deux à leur proposer des projets qu’ils n’ont cessé de refuser. Et puis j’ai rencontré la scénariste de ce film [Marilyn Goldin, ndlr] qui m’a dit qu’elle avait un super scénario. C’était une dure à cuire, un peu comme le personnage qu’elle avait écrit. Mais je crois qu’on n’a jamais développé son histoire comme on aurait dû le faire. Pour finir, ça faisait une bonne série B. On avait surtout la jeune Stockard Channing dans le premier rôle qui était une sorte de James Cagney au féminin !

    "Morgan Freeman, le plus grand acteur américain ?"

    Vous avez aussi découvert Morgan Freeman, à qui vous avez offert son premier grand rôle dans La Rue, un film très sympathique avec Christopher Reeve. Un an plus tard, vous l’avez fait jouer à nouveau dans Clinton and Nadine, un téléfilm.

    Il n’était déjà pas si jeune que ça quand je l’ai rencontré, pourtant. Dans ma tête, je voulais quelqu’un de plus jeune parce qu’il devait jouer le rôle d’un mac à New-York, et la plupart de ces gars-là sont bien plus jeunes qu’il ne l’était déjà. Mon directeur de casting me l’a mis dans les pattes, on a commencé à parler, on a découvert qu’on était presque voisins, la discussion prenait bien… Et puis en plein milieu de la conversation, il a sorti une banane et il a commencé à l’éplucher. Je me suis dit qu’il fallait du cran pour faire ça au cours d’un entretien. Après quoi, il l’a bouffée en entier ! Je suis sûr qu’il l’a fait exprès. Il savait très bien ce qu’il faisait. C’était une façon de détendre l’atmosphère. Je me souviens avoir parlé de lui à ma femme en rentrant chez moi. J’ai même modifié un peu le scénario pour lui. Ça a changé sa carrière. Il n’avait pas fait grand-chose, avant, hormis un petit rôle dans Brubaker de Stuart Rosenberg. La célèbre critique Pauline Kael a commencé son article sur le film par : "Morgan Freeman, le plus grand acteur américain ?". Ce n’est pas rien, pour un début ! Aujourd’hui, si je faisais un film, je ne pourrais plus l’engager. Il serait trop cher pour moi.

    Cannon France

    Vous voilà maintenant à Lyon, et ce n’est pas la première fois !

    Je suis déjà venu cinq ou six fois pour le Grand Lyon Film Festival et j’étais déjà là en 1995 pour le centenaire du cinéma. Je suis vraiment un des membres fondateurs du Festival Lumière. Je connais Thierry (Frémaux) depuis longtemps, il est dans la clique des plus grands cinéphiles du monde.

    C’est toujours un moment spécial, pour vous, de venir ici ?

    C’est le meilleur festival au monde. Ça rassemble le public autour des gens qui ont fait le cinéma à travers les âges. Rien qu’en marchant dans la rue, les gens viennent vous saluer directement. Ça vous fait descendre de votre piédestal. Je connais bien Cannes et bien que Thierry se donne tout le mal du monde pour rendre le festival convivial, c’est un trop gros événement. Ici, c’est beaucoup plus sympa et on retrouve les grandes figures du Festival de Cannes dans une atmosphère plus décontractée. Il y a aussi que la France m’a beaucoup donné et c’est toujours une bonne occasion de retrouver mes amis français. Hier, j’ai pu revoir Vincent Lindon que je n’avais pas croisé depuis des années. Je l’adore. Catherine Deneuve, je l’avais photographiée quand elle avait 17 ans et on est restés en contact depuis !

    Les gens m'associent toujours à mes photos de mode, mais les clichés que je fais dans la rue m’importent tout autant.

    Vous faites toujours de la photo ?

    Oui, en ce moment, je m’intéresse aux choses que les gens jettent par terre. Des débris, des détritus, des emballages… J’aime la texture des plastiques qui se font rouler dessus par des automobiles dans les rue de New-York. C’est presqu’un travail d’archéologue car dans cinquante ans, la planète en sera recouverte. Nous sommes imprudents, ces matériaux ne se dégradent pas. On ne sait pas quoi en faire et il va bien falloir finir par écrire des lois. Les gens sont trop négligents. J’y pense pour une exposition sur le travail que je fais dans la rue. Les gens m'associent toujours à mes photos de mode, mais les clichés que je fais dans la rue m’importent tout autant. J’en parle en ce moment avec mon éditeur pour sortir quelques recueils qui s’intéresseraient à mon travail de façon plus complète. Il y a même parfois un peu d’ironie dans ma façon de voir le monde !

    La bande annonce de Panique à Needle Park, deuxième film de Jerry Schatzberg

     Propos recueillis à Lyon par Gauthier Jurgensen le jeudi 13 octobre 2016

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