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    Gérard Depardieu à Barbara : "C'est ta voix qui rythmait mes fugues..."
    Olivier Pallaruelo
    Olivier Pallaruelo
    -Journaliste cinéma / Responsable éditorial Jeux vidéo
    Biberonné par la VHS et les films de genres, il délaisse volontiers la fiction pour se plonger dans le réel avec les documentaires et les sujets d'actualité. Amoureux transi du support physique, il passe aussi beaucoup de temps devant les jeux vidéo depuis sa plus tendre enfance.

    Grand admirateur de celle que l'on surnommait "la dame en noir", travaillant avec elle sur le spectacle "Lily Passion" en 1986, Gérard Depardieu adressa à la chanteuse Barbara quelques temps plus tard une superbe lettre. En voici un extrait.

    Bestimage

    Par sa poésie engagée et la beauté mélodique de ses compositions, la chanteuse Barbara est un des grands noms de la scène française. Nombre de ses chansons sont devenues des classiques de la chanson française, notamment Dis, quand reviendras-tu ?, Nantes, Au bois de Saint-Amand, Göttingen, La solitude, Une petite cantate, La Dame brune, L'Aigle noir, Marienbad, Ma plus belle histoire d’amour... Pour n'en citer qu'une poignée. Barbara est justement au coeur du dernier film de Mathieu Amalric, sobrement intitulé Barbara, qui n'est pas tant un biopic qu'une étude du personnage, incarné à l'écran par une impeccable Jeanne Balibar.

    Ci-dessous, la bande-annonce du film...

    En 1985, Barbara co-écrit avec Luc Plamondon la musique et le texte de la pièce Lily Passion, où elle joue et chante avec Gérard Depardieu, qu'elle a rencontré au début des années 80. Sorte d’autobiographie romancée, Lily Passion est l’histoire d’une chanteuse qui voue toute sa vie à son public. Elle triomphe à la première représentation qui a lieu au Zénith de Paris, le 21 janvier 1986.

    Très grand admirateur de la chanteuse, Gérard Depardieu lui adresse quelques temps après une superbe lettre, dont voici un extrait.

    Chère Barbara,

    Je viens juste de raccrocher. Ta voix n’est pas près de me quitter. Il y a une pépite d’or aux creux de mon oreille pour le reste de la journée. Un coup de fil, c’est une lettre sonore. Sans cet appareil, nous serions restés à des milliers de kilomètres l’un de l’autre, toi au Japon et moi à Bougival. Il faut savoir souffrir d’une absence, mais un petit coup de fil, comme on avale un cachet pour apaiser l’angoisse, cela ne fait pas de mal.

    Ta voix m’a toujours paru s’élever vers le ciel. Ton âme est un son, une mélodie. Tes mots, par miracle, se matérialisent. Il y a cette rime que j’adore : « Notre amour aura la fierté des tours de cathédrales. » Je te le jure, ta cathédrale, je la voyais, elle s’élevait dans l’air, juste devant moi. La chanson avait un pouvoir, une force incroyable pour le petit vagabond échappé de Châteauroux, elle ma ramenait toujours dans les moments les plus sombres sur l’île aux mimosas.

    Toi que j’ai souvent cherché

    À travers d’autres regards

    Et si l’on s’était trouvé

    Et qu’il ne soit pas trop tard

    Pour le temps qu’il me reste à vivre

    Stopperais-tu ta vie ivre

    Pour venir vivre avec moi

    Sur ton île aux mimosas.

    J’avais comme ça, quelques phrases, sur moi, des rimes revigorantes, aussi efficaces qu’une giclée de prune.

    Dis, quand reviendras-tu

    Dis, au moins le sais-tu

    Que tout le temps qui passe ne se rattrape guère

    Que tout le temps perdu ne se rattrape plus

    À douze ans, j’avais l’impression d’avoir tout perdu :

    Mais j’avais une maison

    Avec presque pas de murs

    Avec des tas de fenêtres

    Et qui fera bon y être

    Et que si c’est pas sûr

    C’est quand même peut-être

    Tu te rends compte, « si c’est pas sûr, c’est quand même peut-être. » Avec un truc pareil, je crois qu’on peut continuer à marcher longtemps. J’adorais le lyrisme naïf de Jacques Brel. Mais c’est ta voix qui rythmait mes fugues. Je marchais comme un forcené avec tes chansons dans ma tête. C’était mon baluchon et je t’assure que je n’avais pas besoin de walkman !

    Tout à l’heure, au téléphone, j’ai deviné ta voix trembler. Tu as souvent peur qu’elle s’évanouisse comme dans ces contes où une fée capricieuse vous prête un don provisoire et fragile. Et parfois, c’est vrai qu’elle fout le camp, que tu ne peux plus chanter. Tu cesses d’être en harmonie. Quand on perd sa voix, cela provient d’une audition brouillée. Tu dois sourire : je parle comme un plombier. Mais c’est bien quand on a trop de rumeurs, de parasites à l’intérieur de soi que tout se brise, se fracture. À quinze ans, lorsque j’ai commencé à suivre des cours de comédie, je ne comprenais rien à ce que je lisais. Emmerdant. Mon professeur, Jean-Laurent Cochet, nous a conduits chez un spécialiste pour des tests de sélection auditive. Il s’appelait Alfred Tomatis. Il s’est rendu compte que j’entendais plein de sons, beaucoup plus que les autres. Cette longueur d’écoute m’empêchait d’émettre. Mon oreille gauche était moins sensible que mon oreille droite, et j’étais beaucoup trop réceptif aux sons aigus. J’étais mal réglé quoi ! Avec trop de bruits et de fureur dans le buffet. Au bout de quelques séances, j’ai pu à l’aide d’un micro me corriger, retrouver au fur et à mesure l’usage de la parole ! Il me suffisait alors de lire une seule fois un texte pour le réciter aussitôt par cœur… J’ai l’impression que tu n’es pas convaincue, que tu attribuerais tes problèmes de voix à des phénomènes magiques, des rites d’envoûtement, à la fatalité. Mais tu es une femme fatale ! Avec ta belle solitude, ta robe noire, entre le deuil et la nuit. Tu vis avec ta voix. Ce sont des rapports de couple. Elle te quitte, puis elle revient, elle revient toujours. Personne ne pourra s’immiscer entre vous. Tu vis dans une chasteté élective, retirée du monde, pour éviter que ta vois s’abîme ou… ou… qu’elle soit « emportée par la foule » qui nous roule, et qui nous fouille…etc. Tu as une vision de medium sur les êtres, au-delà des jugements, plus vive que l’instinct, une sorte d’intuition supérieure. Tu me fais penser à une mère, mais à une mère des compagnons, celle qui donne à boire et à manger à l’ouvrier d’élite pendant son tour de France. Elle ne met pas au monde, elle reçoit le voyageur.

    Avec Lily Passion, tu as [...]

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