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    A Beautiful Day : "Joaquin Phoenix est le meilleur acteur du monde !"

    A l'occasion de la sortie ce mercredi de "A Beautiful Day", prix du meilleur scénario et prix d'interprétation à Cannes pour Joaquin Phoenix, nous avons rencontré la cinéaste Lynne Ramsay, qui nous a parlé un peu de ce chef-d'oeuvre et de son cinéma.

    SND

    AlloCiné : A Beautiful Day est un peu le Taxi Driver du 21ème siècle, d'ailleurs on a pu le lire à plusieurs reprises dans la presse. Etait-ce quelque chose que vous aviez en tête lorsque vous avez décidé de faire le film ?

    Lynne Ramsay : C'est effectivement une comparaison très flatteuse qui a été faite par un journaliste [du Times]. Je ne pensais pas vraiment à Taxi Driver, mais c'est vrai que ça se passe à New York, c'est un personnage tourmenté, il y a la fille... Paul Schrader est un grand scénariste et Taxi Driver est aussi un thriller psychologique, je pense que c'est la raison pour laquelle les gens font le rapprochement. Ce n'est pas quelque chose que j'avais à l'esprit, mais c'est un classique et je pense qu'il y a pire que de se retrouver dans la même phrase que Taxi Driver ! Honnêtement, en préparant le film, je regardais plutôt des documentaires sur la corruption, la mondialisation de la violence. Je regardais très peu de films à ce moment-là, en fin de compte, et je ne peux pas vraiment citer de références précises. Certaines personnes ont parlé de Psychose, mais la séquence en question, avec Joe et sa mère, c'était vraiment improvisé ! Ce moment où vous tournez une scène et où vous réalisez que vous avez une petite pépite entre les doigts. Cela n'arrive pas souvent, mais quand c'est le cas, vous le savez tout de suite et c'est très excitant.

    Cela apparaît comme une évidence, mais pourquoi avoir choisi Joaquin Phoenix pour incarner Joe ?

    Parce que c'est le meilleur acteur du monde !

    C'est vrai…

    Bon, j'ai travaillé avec plein de comédiens brillants. John C. Reilly est un acteur fantastique, on va certainement travailler sur un western ensemble, ça me réjouit beaucoup. Tilda Swinton, Ezra Miller, Samantha Morton… Cela ne m'était jamais arrivé d'avoir quelqu'un en tête dès le début, habituellement je suis assez ouverte tout au long du processus de développement, mais là, c'était très clair. Je ne savais pas du tout s'il accepterait, mais à chaque fois que je parlais du projet, pour moi ça ne faisait aucun doute et je disais à tout le monde : « C'est Joaquin Phoenix, c'est Joaquin Phoenix. » Mon producteur anglais, James Wilson, le connaissait de Buffalo Soldiers et je l'ai supplié de me donner son e-mail. Il connaissait un peu mon travail. Je l'ai finalement appelé et je lui ai dit que j'écrivais un script, que je n'avais pas encore fini, mais que je pensais vraiment à lui pour le rôle. Il m'a dit : « Oui, bien sûr, envoie-le moi. » Au début il ne comprenait rien à ce que je racontais au téléphone ! [Lynne Ramsay a un fort accent écossais] C'était la première fois que je travaillais avec un acteur sans l'avoir rencontré de la même manière que c'était la première fois qu'il acceptait de travailler avec un cinéaste sans l'avoir rencontré, donc c'était un peu étrange. Nous devions apprendre à nous connaître, nous trouver, mais il est arrivé tôt dans la préparation et il a créé ce personnage très physique, désorienté, d'une manière très surprenante, c'était génial. Ça a été un challenge, j'ai dû enlever plein de choses du scénario, qu'on n'avait pas le temps de tourner car il avait d'autres obligations, donc on était en tension constante, mais en raison de cette effervescence, beaucoup d'idées sont nées pendant le tournage.

    SND

    Comment avez-vous travaillé sur l'alchimie entre Joaquin Phoenix et la jeune actrice, Ekaterina Samsonov ?

    J'ai déjà dirigé avec des enfants acteurs, mais j'aime quand ils ne sont pas trop dans la conscience de la caméra. Ekat, c'est comme ça qu'on l'appelle, n'avais rien fait auparavant, elle était vraiment très naturelle, et elle avait une vraie fraîcheur. Joaquin m'a beaucoup aidé, il a fait beaucoup d'improvisation avec elle et elle y est allée. Il y a quelque chose chez elle qu'on ne peut pas expliquer. Ses parents sont russes, ils pratiquent la nage olympique, ce sont des gens très impressionnants, très durs. Elle est encore une enfant, mais elle est très intelligente, elle savait que c'était un sujet assez sombre et elle y apportait une vraie sensibilité et dégageait quelque chose de très lumineux. Elle a cette qualité qu'avait Tatum O'Neal quand elle était enfant, ce même naturel et j'espère que c'est quelque chose qu'elle arrivera à garder.

    Vos films sont très durs, avec une dimension parfois très sordide, pourquoi cela ?

    Celui-ci en particulier est basé sur une novella, un court roman assez rude, c'est une histoire new-yorkaise très dure, mais je voulais en faire un film à la fois écrasant et palpitant. Je crois que le monde est devenu un endroit assez fou, on vit dans une époque bizarre où personne ne comprend vraiment ce qui se passe, comme si on plongeait dans un abysse on ne sait pas à quoi se raccrocher, c'est donc un monde assez sordide dans une certaine mesure. Un film est une expérience émotionnelle,

    Malgré tout, il y a de l'espoir dans A Beautiful Day...

    Pour moi, c'est un film sur un homme qui revient à la vie, au travers de cette gamine. Ce n'est pas lui qui sauve la fille. Il y a ce dialogue à la fin où il lui demande où elle veut aller et elle lui dit qu'elle ne sait pas et il répond qu'il ne sait pas non plus, c'est une vrai question existentielle : « Où on va ? » Mais ce n'est pas que ça, le film touche à d'autres choses, il y a même des moments assez drôles, Joe est parfois assez pathétique, et puis il refuse de laisser cette gamin seule dans ce monde de fou. On a beaucoup parlé du personnage avec Joaquin, on ne voulait pas que ce soit simplement un gars confronté à la violence du monde.

    Joaquin Phoenix dans A Beautiful Day

    La plupart de vos films sont des adaptations, mais vous écrivez toujours les scénarios de vos films, en quoi le processus d'écriture est-il important pour vous ?

    C'est le moment où je peux prendre mon temps. Je discute beaucoup en amont avec le directeur de la photo, avec Joe Bini mon monteur, Paul Davies, mon ingénieur du son. J'ai toujours un temps de préparation très court, cinq ou six semaines, donc l'écriture est le moment où je peux vraiment penser à ce que le film va être. C'était difficile car il a fallu couper vingt pages de scénario quand on est arrivés à New York car on n'avait pas assez de temps et d'argent. Toutes les histoires que j'ai adaptées sont davantage « inspirées par » que de véritables adaptation. Mon prochain film sera probablement une histoire originale, comme l'était mon premier film. J'ai eu la chance que les auteurs de chaque œuvre que j'ai adaptées aient tous accepté de me laisser le faire à ma manière. Jonathan [Ames, l'auteur de Tu n'as jamais été vraiment là, dont est adapté A Beautiful Day] a adoré le film. C'était un moment très spécial pour moi, quand il a vu le film à Londres. Il l'avait vu à Cannes, mais c'était un peu surréel et je pense qu'il était un peu submergé. Il m'a dit que c'était très beau et ça m'a vraiment touché, car j'ai pris beaucoup de libertés, notamment par rapport au personnage, dans ce film en particulier.

    Tilda Swinton vous surnomme « the real McCoy », une expression qui souligne votre authenticité en tant que cinéaste, le fait que ce que vous réalisez n'a jamais été vraiment vu auparavant. Pensez-vous que la densité de votre cinéma tient que bien qu'étant très dur, il comporte aussi une dimension très poétique ?

    En tant que réalisatrice, c'est très difficile pour moi de répondre à cette question. Pour ma part, je le perçois comme une espèce instinct de ce qu'il convient de faire ou pas lorsque je réalise quelque chose. J'essaie d'être aussi créative que possible. Avant, j'étais photographe et j'ai toujours prêté beaucoup d'attention aux détails, mais tout ce que je peux vous dire, c'est juste que j'adore vraiment faire des films. Je me sens toujours comme une étudiante en cinéma, je continue d'apprendre avec chaque nouveau film que je fais, j'essaie d'aller dans des directions différentes, mais toujours dans la recherche, pour le spectateur, de l'émotion et de l'immersion dans l'expérience cinématographique.

    Quel est votre premier souvenir de spectatrice ?

    C'est Ne vous retournez pas, de Nicolas Roeg, c'était à la télévision. Je crois que c'est un film que je n'étais pas forcément censée voir, j'étais un peu jeune pour cela, je devais avoir six ou sept ans. C'était un film d'horreur, un très bon film d'horreur, totalement captivant, et je ne pouvais pouvais pas détourner mes yeux de l'écran. La séquence d'ouverture de ce film est absolument phénoménale, Nicolas Roeg est un grand réalisateur. Le film est vraiment resté ancré dans mon esprit et quand je l'ai revu, des années plus tard, je m'en souvenais parfaitement.

    DR

    Y a-t-il un film qui a influencé, plus que les autres, votre décision de devenir réalisatrice ?

    Je viens d'un milieu ouvrier et populaire et c'était vraiment compliqué d'imaginer que je ferais des films. Je suis un peu tombée dedans par hasard. J'étais photographe, et puis j'ai été acceptée en école de cinéma. C'est là que j'ai vu le film de Maya Deren, Meshes of the Afternoon, qui m'a beaucoup marquée. C'était une cinéaste d'avant-garde américano-russe, une femme extraordinaire. Je me souviens que j'avais trouvé ça vraiment merveilleux. Et puis il y a deux films qui m'ont particulièrement bouleversée quand j'avais quinze ans, que mon copain de l'époque m'avait montrés. Blue Velvet, de Lynch, et Tous les autres s'appellent Ali de Fassbinder. C'était dans un cinéma très cool de Glasgow et j'étais avec ce garçon qui était un anarchiste, très drôle et qui adorait le cinéma. Il m'a initiée à un cinéma un peu alternatif, car mes parents aimaient beaucoup les films hollywoodiens des années 1950. Quand j'ai découvert Blue Velvet, je me suis vraiment dit : « Oh mon dieu, je n'ai jamais rien vu de tel ! » Des gens sortaient de la salle, personne n'était préparé à ça. J'ai pensé : « Ce médium peut vous faire ressentir ça, c'est incroyable ! » Shining, de Kubrick, m'a fait une impression similaire ! J'adore Pasolini, Fellini, j'ai été bouleversée par La Strada. Il y a plein de films qui ont été très importants pour moi, Rocco et ses frères de Visconti, Persona de Bergman… Je ne sais pas s'ils m'ont fait réaliser que je voulais devenir cinéaste, mais ils m'ont fait prendre conscience de la puissance émotionnelle du cinéma.

    BORDE-MOREAU / BESTIMAGE

    Vous étiez dans le jury à Cannes en 2013 lorsque La Vie d'Adèle a remporté la Palme d'or. Vous étiez d'accord avec ce choix ?

    Pour ma part, je soutenais vraiment La Grande Belleza, je trouvais qu'il méritait la Palme d'or. J'étais contente qu'il gagne l'Oscar du meilleur film étranger. J'adore l'acteur, Toni Servillo, mais j'adore aussi Bruce Dern, donc j'étais ravie qu'il ait le prix d'interprétation pour Nebraska. Les actrices de La Vie d'Adèle étaient prodigieuses, on a tous ressenti le film comme une véritable performance, quelque chose de très fort. C'était vraiment un super jury, il y avait Cristian Mungiu, avec qui j'étais récemment en Roumanie, Spielberg qui est génial car c'est il connaît tous les films, Nicole Kidman, qui est remarquable, elle est super intelligente, Noami Kawase, une grande cinéaste… Même si j'aurais voulu que La Grande Belleza ait la Palme, on respectait tous les qualités de mise en scène de La Vie d'Adèle, et être dans ce jury était une très belle expérience, sauf pour les talons hauts ! J'avais tellement mal aux pieds à la fin, avec ma sœur on a même envisagé de créer une entreprise de costumes qui s'appellerait « tuxeda », et pas « tuxedo », qui ferait des super smokings que les femmes pourraient porter pour toutes les grandes occasions. Nicole Kidman se tenait toujours près de moi, et je la suppliais : « S'il te plait, Nicole, tu pourrais te mettre ailleurs ? » Elle est si grande et moi je suis toute petite et elle avait toujours des talons immenses ! A part ça, c'était vraiment génial, j'avais emmené mon neveu et il était comme au paradis.

    Quels sont vos projets pour la suite, Tilda Swinton nous disait il y a quelques jours que vous devriez travailler de nouveau ensemble ?

    Oui, il y ce projet qui nous tient à cœur à toutes les deux, inspiré d'un roman très intéressant des années 1970 écrit par Muriel Spark, qui s'appelle The Driver's Seat. C'est une écrivaine que j'adore, elle a écrit The Prime of Miss Jean Brodie, qui est par ailleurs un de mes films préférés. Avec Tilda, on en a énormément parlé, c'était très étrange car on avait cette même idée, donc on s'est dit qu'il fallait la réaliser ensemble ! J'ai aussi cet autre projet avec Casey Affleck, mais j'ai besoin de temps pour décider de ce que je vais faire après A Beautiful Day, car tout a été très vite avec ce film, j'ai à peine pu prendre une pause après Cannes et j'ai envie de passer un peu de temps avec ma fille, qui a bientôt trois ans. Maintenant, c'est au public de découvrir le film. Je ne revois quasiment jamais mes films une fois qu'ils sont finis. D'ailleurs, j'ai revu Ratcatcher il n'y a pas si longtemps, lors d'une projection à UCLA, c'était très chouette de le revoir après toutes ces années. Quoi qu'il en soit, rien ne me rend plus heureuse que de créer, donc je vais vite me remettre au travail. J'adorerais travailler avec Tilda, John C. Reilly, Samantha Morton, Ezra Miller, qui était une vraie découverte pour moi. Et Joaquin, cela va de soi !

    La bande-annonce de A Beautful Day, en salle dès mercredi : 

     

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