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    Bruce Lee : connaissez-vous l'histoire autour du Jeu de la mort, son film inachevé ?
    Maximilien Pierrette
    Journaliste cinéma - Tombé dans le cinéma quand il était petit, et devenu accro aux séries, fait ses propres cascades et navigue entre époques et genres, de la SF à la comédie (musicale ou non) en passant par le fantastique et l’animation. Il décortique aussi l’actu geek et héroïque dans FanZone.

    Ressorti dans nos salles en version restaurée, "Le Jeu de la mort" est officiellement le dernier long métrage mettant Bruce Lee en scène. Mais connaissez-vous toute l'histoire de ce film marqué par la mort de la star pendant son tournage ?

    Le 20 juillet 1973, la nouvelle prend les cinéphiles et amateurs d'arts martiaux de court : Bruce Lee meurt à l'âge de 32 ans dans des circonstances mystérieuses, même si la version officielle évoque un oedème cérébral. Outre de nombreux fans en deuil, il laisse également un film inachevé : Le Jeu de la mort. Un long métrage mis en scène par ses soins dont le tournage débute fin août 1972 et qu'il interrompt en octobre, afin de mettre Opération Dragon en boîte. Les prises de vues doivent alors reprendre moins d'un an plus tard, en septembre 1973, mais le destin condamne ce projet dont ne subsistent que cent minutes de rushes, prises ratées et scène au cours desquelles le Petit Dragon officie derrière la caméra incluses.

    De ce long métrage, le plus ambitieux de la carrière de l'acteur, il ne resta longtemps qu'un fantasme et un pitch : celui de l'histoire d'Hai Tien, champion d'arts martiaux à la retraite contraint d'affronter une série d'adversaires dans une pagode de cinq étages, avec un maître par niveau. Un postulat dont on retrouvera des traces dans une poignée de jeux vidéo (les beat'em all type "Streets of Rage" et "Double Dragon" en tête) et au cinéma, l'exemple le plus récent et frappant, dans tous les sens du terme, étant The Raid, qui reprend notamment cette idée d'unité de lieux et de paliers à franchir.

    Et tandis que beaucoup rêvent de voir ce Jeu de la Mort, le metteur en scène d'Opération Dragon Robert Clouse se charge de le réaliser. Quitte à remanier (pour ne pas dire saccager) tout ce qui avait été fait auparavant, à commencer par le scénario : exit le champion d'arts martiaux à la retraite Hai Tien au profit de Billy Lo, star du cinéma d'action qui refuse de travailler pour le Syndicat du Crime de Hong Kong et reçoit une balle en plein visage. Laissé pour mort, il doit en réalité subir une lourde opération de chirurgie esthétique, ficelle scénaristique XXL bien pratique car permettant de recouvrir le visage du personnage principal de bandages, avant de lui coller une barbe bien fournie.

    Pour le spectateur, le jeu consiste alors à deviner sur quels plans il ne s'agit pas de Bruce Lee, ce qui s'avère assez facile : Robert Clouse n'a conservé que quinze des quarante minutes dans lesquelles il apparaissait. Le reste du temps, il s'agit d'une doublure pas franchement ressemblante, Kim Tai Chung, cachée sous des bandages ou une barbe, quand elle n'est pas filmée de loin et/ou de dos, voire dans la pénombre, avec ou sans lunettes fumées. La palme du trucage le plus voyant revient cependant à cette scène où le visage du Petit Dragon a été collé sur le visage de son remplaçant, à une époque où ce type d'effet spécial était aussi rare que facile à rater.

    Sorti en France le 23 août 1978, Le Jeu de la Mort devient un objet de fascination à plus d'un titre. Parce qu'il s'agit tout d'abord des quinze dernières minutes dans lesquelles Bruce Lee apparaît au cinéma. Ou plutôt les dix dernières, auxquelles quatre minutes de plans issus d'autres films (dont La Fureur du Dragon et son célèbre combat contre Chuck Norris) ont été ajoutées. Sans vergogne aucune, le long métrage intègre des images de son vrai enterrement pour les besoins des fausses obsèques de Billy Lo, alors qu'il est laissé pour mort. Mais c'est aussi parce qu'il constitue le chef-d'oeuvre de la "Brucesploitation" qu'il fascine autant.

    Comme le nom peut le laisser deviner, la "Brucesploitation" regroupe tous ces films d'arts martiaux à petit budget qui ont voulu faire du Bruce Lee à la place de Bruce Lee, après la mort tragique de ce dernier. Et ce quitte à prendre un nom qui ressemble au sien, histoire que l'illusion soit totale. Presque totale. Car si certains s'en sortent sur le plan phonétique, il ne faut pas longtemps pour démasquer les imposteurs que sont Bruce Li, Bruce Le, Bruce Ley, Bruce Lai, Brute Lee, Bruce K. L. Lea, Lee Bruce ou encore ce Bronson Lee, qui tente au passage de surfer sur la popularité post-Justicier dans la ville de Charles Bronson, en associant moustache et arts martiaux. Autant d'aspirants héritiers dont Escale à Nanarland vous présente les visages.

    Malgré son scénario grandement modifié (et qui a alimenté les rumeurs selon lesquelles Bruce Lee avait été assassiné par les Triades, comme son personnage dans le film), Le Jeu de la Mort est aussi célèbre pour de bonnes raisons... qui s'étendent sur une bonne dizaine de minutes : celles dans lesquelles la star d'Opération Dragon est présente, avec son célèbre survêtement jaune. Il s'agit des combats contre Dan Inosanto, Ji Han-Jae et - surtout - Kareem Abdul-Jabbar, basketteur qui culmine à 2m18, soient 41 centimètres de plus qu'un Petit Dragon qui n'a jamais aussi bien porté son surnom.

    Un affrontement mythique, initialement envisagé comme le dernier du film original et dont la pop culture n'a pas tardé à s'emparer. Avec beaucoup de respect et cette idée de passage de flambeau du côté de Jackie Chan (dont l'avènement mettra fin à la Brucesploitation) qui le diffuse sur un écran et s'en sert pour vaincre ses deux ennemis géants dans Niki Larson en 1993. Ou de façon parodique, comme lorsque Rush Hour 3 rejoue la scène en inversant le rapport de force (l'afro-américain Chris Tucker et son 1m85 y viennent aux mains avec le basketteur asiatique Sun Ming Ming, haut de 2m36), ou que Ramzy Bedia enfile son plus beau déguisement de Kareem Abdul-Jabbar pour se défaire d'un adversaire dans La Tour Montparnasse infernale.

    Un ennemi qui revêt ce survêtement jaune et noir devenu iconique et auquel Quentin Tarantino et Uma Thurman rendent un hommage flamboyant grâce au premier volume de Kill Bill, sorti l'année du trentième anniversaire de la mort de Bruce Lee, en 2003. Désormais indissociable du Jeu de la Mort et de son défunt interprète, la combinaison avait à la fois un côté pratique (car assez souple pour ne pas gêner l'artiste dans ses mouvements) et symbolique : en plus de bien souligner le fait que son personnage ne pratiquait aucune forme connue d'arts martiaux, elle lui permettait aussi de mettre en avant sa pensée selon laquelle "il n'est pas nécessaire de porter l'uniforme traditionnel pour être un combattant efficace."

    Une tenue que vous pouvez admirer dans toute sa splendeur sur grand écran, grâce aux salles qui diffusent Le Jeu de Mort, ressorti en version restaurée au même titre que Big BossLa Fureur de vaincre et La Fureur du Dragon. Mais pas dans la suite tournée huit ans après la mort de Bruce Lee et dont la bande-annonce promet son retour "pour un dernier lever de rideau dramatique", "en action dans des scènes jamais dévoilées auparavant." Il s'agit en réalité de séquences mettant Kim Tai Chung en scène, auxquelles ont été ajoutées quelques images du Petit Dragon pour faire croire à sa présence dans ce long métrage qui renoue avec les bon vieux trucages du premier opus : personnage principal de dos puis dans la pénombre, lorsqu'il a bien pris soin de casser l'ampoule qui éclaire la pièce avant de se retourner. Encore une fois, on y voit que du feu. Ou presque.

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