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    Daniel Darc, Pieces of My Life : pour mieux comprendre "l'un des artistes français essentiels du rock et de la chanson française"
    Vincent Garnier
    Vincent Garnier
    -Rédacteur en chef
    Cinéphile omnivore, Vincent « Michel » Garnier se nourrit depuis de longues années de tous les cinémas, sans distinction de genres ou de styles. Aux côtés de Yoann « Michel » Sardet, il supervise la Rédac d’AlloCiné et traque les Faux Raccords.

    Il est mort en 2013... On pensait tout connaître de lui. Et voilà qu'apparaît sur nos écrans "Daniel Darc, Pieces of My Life" de Marc Dufaud et Thierry Villeneuve, un documentaire saturé d'images inédites consacré au plus punk des chanteurs français.

    UFO Distribution

    AlloCiné : Pourriez-vous présenter Daniel Darc à ceux qui ne le connaissent pas encore ?

    Marc Dufaud : Daniel a été le chanteur de Taxi Girl groupe post punk parisien qui décrochera plusieurs hits majeurs avant de se déliter. Mais le groupe est encore aujourd'hui l'un des plus intéressants de son époque et au-delà mélange de froideur de violence extrême et épuisé par les drogues Daniel publie un premier album fin 80 - l'époque est propice à la pop rock frenchie il a tout pour devenir au côté de Daho, des Rita, Bashung l'un des fers de lance du french rock pop. Mais les difficiles années 90 effacent son nom des tablettes médiatiques - la parution de "Crève Coeur" en 2004 va lui valoir une attention. On a parlé de retour, de consécration etc. Comme disait Fred Lo, l'album aura permis d'amener Daniel à la place qu'il mérite. A savoir à l'imposer comme l'un des artistes français essentiels du rock et de la chanson française.

    Dans Daniel Darc, Pieces of my Life, le chanteur apparaît comme à la jonction de plusieurs époques, comme s'il était le fils spirituel de Sid Vicious, Vince Taylor et Johnny Cash, et en même temps le père de la scène punk rock française.

    Il y a deux parties dans cette question. Oui, effectivement, Daniel est bien à la conjonction de plusieurs époques, même si sa trajectoire est atemporelle par sa singularité, elle épouse les contours de son temps. Sur le plan artistique, le plus marquant à mon sens c'est sa connexion originelle avec le punk - le punk n'a pas uniquement tout renversé, il a tout inversé - le laid est beau etc. -, il a également permis l'émergence d'une scène rock française enfin dotée d'une véritable identité (à des années lumières du rock yéyé). S'y est aggloméré assez vite ce que les Anglo-Saxons nomment le "songwriting", en l'occurence une écriture neuve, en rupture parfois, mais au final inscrite dans la longue tradition de la chanson française à texte (la connaissance de la chanson française de Daniel était surprenante : il aimait les chansonniers du Chat Noir, Rollinat, Richepin, Bruant, Frehel, les Zazous, Marianne Oswald, Vian et combien d'autres...). Outre la profondeur de ses textes, par le placement de sa voix, Daniel s'impose comme l'un des grands artisans de cette identité. Avec Gainsbourg, Bashung, il aura décomplexé le rock en français via des paroles fortes et un phrasé très particulier, qui aura inspiré plusieurs générations de chanteurs souvent plus connus que lui. Car son influence est restée longtemps confidentielle. Il veillait à faire sonner ses mots soit par leur choix soit par une façon de placer sa voix tout à fait unique ses textes sombres parfois obscurs, auront évolué vers une épure minimaliste / la dette du rock de la pop et même de la variété français envers Daniel dès l'époque Taxi Girl est à mon sens énorme. Tous lui doivent beaucoup (Daho, Lescope, Fauve, et même Marc Lavoine et consorts). Père du punk ? Cash et Taylor, oui si on veut, ne serait-ce que parce que, comme eux, Daniel était un survivant. Mais ces noms ne résonnent pas plus qu'Elvis, Iggy ou Johnny Thunders ... au point qu'on pourrait les intervertir. En France, Johnny Cash a longtemps été considéré comme un ringard country facho par les mêmes qui l'ont quasi sanctifié quelques années plus tard. Jusqu'au milieu des années 2000, la country et tout ce qu'elle représentait et véhiculait, était méprisé. Je ne suis pas certain que ceux qui aujourd'hui s'en réclament connaissent suffisamment bien par exemple l'immense discographie de Cash plongeant aux racines de la musique blanche américaine dans ce qu'elle a de plus redneck- sans tomber moi-même dans la caricature que je souligne, on a tendance à se fagoter des beautiful losers, à leur ériger des statues, des anti-héros à la Vince Taylor qui, une fois disparus, deviennent plus grands qu'ils n'étaient. Daniel a longtemps été assimilé à une sorte de légende urbaine en perdition, on s'est complu à le figer en artiste maudit autodestructeur avec ce que cela comporte d'approximations, d'outrance, de voyeurisme et même de cynisme.

    Ce qui fascine chez lui c'est justement cet entre-deux, un pied sur le bitume, l'autre dans le show-business, un pied dans la normalité, l'autre à la lisière de la folie.

    C'est le show bizz qui a mis un pied dans Daniel Darc, et encore, il a fallu du temps avant qu'il ne s'y risque. "Un pied sur le trottoir et l'autre qui brise une vitre" ("Nijinsky"). En fait, avec cette métaphore tout est dit. Ca répond très bien à la question. Après 2004, les médias ont eu une révélation. Révélation de l'année puisqu'il a décroché la victoire de la musique catégorie "Révélation" ! On le souligne dans le film, le succès qu'il a retrouvé après 2004, l'unanimité des médias à son égard, tout cela était aussi inattendu que formidable. Daniel appréciait ce succès, ça ne fait pas de doute, il l'a accueilli avec gratitude, avec une humilité dénuée de toute once d'amertume pour cette bonne raison qu'il avait traversé "son désert" sans se plaindre jamais de quoi que ce soit. D'un autre côté, mais c'est lié, ce succès n'a rien changé à sa façon de vivre. C'est ce qu'on a voulu souligner Thierry et moi dans Pieces of My Life et ce qui était bluffant quand même. Pour ce qui est de la folie, je ne crois pas - je vois plus ça comme une inadaptation majeure et intrinsèque à son époque et à cette société (par intrinsèque, je veux dire, qu'il ne s'est jamais agi d'une posture ou d'une forme de rébellion étayée par des convictions diverses souvent très honorables par ailleurs). Daniel l'évoque avec précision dans le film lorsqu'il explique que, môme, ce genre de différence est isolante au point qu'on se croit fou. Mais cette inadaptation était complétée par le regard aigu, transversal, absolument pertinent et très spirituel qu'il posait sur son temps.

    Contrairement à la plupart des biopics ou des documentaires sur des artistes disparus, vous n'édulcorez rien, et surtout pas ses addictions. Comme si vous teniez à souligner qu'elles faisaient partie intégrante de Daniel Darc, au même titre que sa voix ou son visage.

    Difficile de parler de drogue sans tomber dans l'approximation le lieu commun / c'est un sujet qui ne peut s'appréhender à la légère. Oui, à un moment "X" Daniel a renoncé à renoncer comme il est dit dans le film. De toute façon, cette notion de détox-rémission a quelque chose d'assez hypocrite et surtout, surtout, elle est un joli conte de fée. Pour faire court, l'addiction ne se limite pas être clean ou non. Avec ou sans produit, on n'est jamais "sorti d'affaire". L'addiction est une fragilité, un combat, une séduction, permanente, omniprésente, obsessionnelle. Il faut "dealer" avec ! Peter Perrett chantait "The Beast" pour l'expliquer. C'est une marque, un tatouage à vif toujours menacé d'infection et toujours douloureux. L'addiction est une façon de vivre, de sur-vivre (tous les sens du terme). Bien sûr que la came est un piège mais comme disait Roger Gilbert Lecomte : "Certains êtres ne peuvent survivre qu'en se détruisant eux-mêmes". Cette destruction est lisible, nommée a posteriori. Lorsque l'on consomme, aucune chance que ce soit en pensant "allez, je me fous en l'air". Cette notion de destruction s'immisce dans une relecture a posteriori et globalisante (les overdoses sont et ne sont que des "accidents"). Il n'était pas question de tronquer, ni même d'édulcorer toute cette lecture dans le film. Thierry (Villeneuve, également réalisateur du film) et moi étions non seulement d'accord mais intransigeants. Le seul problème c'était de trouver la bonne focale, lla distance "utile" pour rester le plus authentique possible. En une ligne, oui, Daniel était stupéfiant !

    Le spectateur découvre un amateur de culture fin et lettré, qui cite Lautréamont, jubile en écoutant Ginsberg déclamer un poème...

    Incontestablement, Daniel était "doté" (je déteste le mot) d'une culture absolument effarante, via une mémoire - dysfonctionnelle mais prodigieuse -, via une capacité d'assimilation rapide et rare - le cinéma, la littérature, le rock ont été les moteurs de sa vie. La culture, il la concevait dans une certaine urgence, comme nourriture essentielle d'une quête intime spirituelle, ce qu'on appelle la voie sèche en théologie. Il ne faut pas prendre ça à la légère. Cette culture n'avait de sens pour lui, comme pour moi, que si elle s'incarnait dans la vie que l'on mène (way of life), que si elle l'alimentait. Un exemple : je suis protestant, c'est ma religion de naissance. Or, au moment où Daniel s'est intéressé au protestantisme, sentant que c'était sa voie, il en a assimilé en profondeur les arcanes, il a absorbé et digéré des ouvrages aussi ardus et indigestes que la dogmatique, les oeuvres de Luther, Calvin, Hus et j'en passe, la Bible de Crébillion etc. Mais Daniel ne fut ni ne voulut être un "spécialiste" de quoi que ce soit. On s'en fout ! Ce qui importe c'est ce que ça apporte !

    De combien d'heures de rushes disposiez-vous en entamant le montage ?

    Des rushes on en a des tonnes. J'ai filmé Daniel sur tous les supports possibles au cours de ces 25 années, le plus souvent dans des moments précis soit comme démo essais, spontanés ou scénarisés en amont de films que je voulais faire (comme Godard, je voulais m'affranchir du scénario), soit à la faveur de concerts, répétitions, d'enregistrements etc. BIen sûr, il y a aussi des images perso avec l'émergence des portables mais celles-ci relèvent de l'intime. Thierry et moi avons dû malgré tout opérer des choix drastiques avec chevillée au corps la volonté de faire sens. On se défiait tous deux d'un film hermétique qui ne parlerait pas à tous, ma proximité devait servir cette idée force. Mais je vous avoue qu'il reste tellement de choses à montrer et à dire - j'aimerais notamment monter le concert de l'Entrepôt de 1995, par exemple -, que je n'exclus pas de replonger un jour dans cette masse. On verra ! "Pieces of my Life 2" pourquoi pas, c'est la mode après tout !

    Pour finir, jouons au jeu auquel vous soumettez Daniel Darc dans votre film. Réagissez aux mots suivants...

    RELIGION : Voie + Foi + (# religion souvent) difficulté humain trop humain (bof à voir)

    BLASPHEME :

    PUNK : Elvis Presley

    DROGUE : sur-vie

    DANIEL DARC : anam cara

    La bande-annonce de Daniel Darc, Pieces of My Life :

     

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