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    Se7en, entre projection-test catastrophique et fin imposée : le pari fou de David Fincher a 25 ans
    Olivier Pallaruelo
    Olivier Pallaruelo
    -Journaliste cinéma / Responsable éditorial Jeux vidéo
    Biberonné par la VHS et les films de genres, il délaisse volontiers la fiction pour se plonger dans le réel avec les documentaires et les sujets d'actualité. Amoureux transi du support physique, il passe aussi beaucoup de temps devant les jeux vidéo depuis sa plus tendre enfance.

    Le chef-d'oeuvre absolu de David Fincher, "Se7en", sorti il y a tout juste 25 ans, a redéfini les codes du thriller. Pourtant, entre une projection-test catastrophique et une fin exigée par les producteurs, le cinéaste a dû batailler pour s'imposer.

    New Line Cinema

    Il y a tout juste 25 ans, le 31 janvier 1996, sortait dans les salles obscures un film qui allait pulvériser et redéfinir les codes du thriller : Se7en de David Fincher. Avec plus de 4,9 millions d'entrées, le film reste à ce jour le plus grand succès du cinéaste; très loin même devant son second meilleur succès en salle qui fut L'étrange histoire de Benjamin Button et ses 2,59 millions de spectateurs. Se7en, une oeuvre qui a durablement marqué la mémoire cinéphilique et la rétine des spectateurs. Un film d'une noirceur abyssale, un film à suspens, un thriller, un film d'horreur... Se7en est tout cela à la fois. Mais c'est surtout l'un des films les plus originaux, provocateurs et troublants sortis des écuries d'Hollywood depuis des décennies.

    Attention, ce qui suit comporte un spoiler majeur. Donc si vous n'avez encore jamais vu le film (mais est-ce seulement possible ?), passez votre chemin !

    Une projection-test catastrophique

    Pourtant, l'affaire fut bien mal engagée pour Fincher. C'est que le cinéaste est un habitué des bras de fer avec les studios. Déjà, à l'époque de la sortie de son Alien 3, les pontes de la Fox furent pris de panique à l'issue de la projection test. La major ordonna à Fincher de faire des reshootings. Mais, même avec cela, et devant le désastre annoncé ou attendu, le studio remonta le film dans le dos de l'apprenti cinéaste.

    Seven
    Seven
    Sortie : 31 janvier 1996 | 2h 10min
    De David Fincher
    Avec Brad Pitt, Morgan Freeman, Gwyneth Paltrow
    Presse
    3,6
    Spectateurs
    4,5
    louer ou acheter

    Moins d'une poignée d'années avant son Fight Club, qui donnera lui aussi quelques cheveux blancs aux Executives de la Twentieth Century Fox devant le nihilisme de son oeuvre, c'était au tour de son chef-d'oeuvre Se7en d'affronter le verdict de la projection-test. Le réalisateur livrera d'ailleurs lui-même cette anecdote à propos de celle-ci, dans le commentaire audio du film : "je me tenais assis à l'arrière de la salle, je crois que j'étais avec Bob Shaye [NDR : à l'époque, le PDG du studio New Line Cinema], lorsque trois femmes s'approchent, et l'une d'elles dit aux deux autres : "les gens qui ont fait ce film devraient être tués". Sympa... Quant à Brad Pitt, lui aussi présent à cette projection, il évoquera celle-ci quelques années plus tard : "lorsque le film s'est achevé, les lumières se sont rallumées, et j'ai regardé les personnes dans la salle. Ils se sont tous levés de leurs sièges et sont sortis [...]. Je me souviens avoir regardé Fincher et lui avoir dit : "Oh mon dieu ! Mais qu'est-ce qu'on a fait ??? Qu'est-ce qui se passe ?"

    "Le film de la tête dans la boîte"

    Se7en fut ainsi mal noté par le public à l'issue de la projection. Point de crispation majeur : la fin retenue, d'un atroce pessimisme, avec le destin tragique du personnage incarné par Gwyneth Paltrow. Mais Fincher, Brad Pitt et  Morgan Freeman tenaient absolument à cette fin.

    Pour Fincher, "l'histoire commence comme un polar et se transforme en film de moeurs, en un pacte avec le Diable. Quand je suis arrivé à la fin [NDR : à la lecture du script de Andrew Kevin Walker] à la tête dans la boîte, j'ai simplement pensé, wow, ce ne sera pas un mec qui saute dans une voiture filant à toute vitesse, qui traverse la ville en grillant tous les feux rouges, qui sort son badge, qui grimpe aux escaliers de secours... C'est fini. Elle est morte. C'est terminé". C'est précisément cette fin écrite par Walker qui a convaincu le cinéaste de faire le film.

    Mais après avoir parlé avec son agent, le réalisateur comprend qu'il a reçu, par erreur, une version précédente du scénario. Il lit la dernière version et trouve, à son grand désarroi, qu'elle fonctionne nettement moins bien. Dans celle-ci, restée à l'état de storyboard (visible ici), c'est Somerset qui tue John Doe, sauvant ainsi la carrière de son collègue en se sacrifiant, alors qu'il était tout proche de la retraite.

    Quand Fincher parle du projet du film à l'un des producteurs et lui demande pourquoi la fin désormais restée à l'état de storyboard est celle qui est retenue, ce dernier lui répond qu'il est tout simplement hors de question que le film se termine avec cette tête dans un carton. Aidé par Morgan Freeman et Brad Pitt, Fincher parvient à faire fléchir les producteurs : pour lui, la fin pessimiste originale est la condition sine qua non pour faire le film : "j'ai simplement dit : dans cinquante, soixante ans, quand nous ne serons plus là, quelques jeunes réunis autour d'une bouteille parleront du film qu'ils auront vu la veille à la télé, en fin de soirée, et l'un d'entre eux dira "Je ne me souviens plus du nom de l'acteur, mais c'est le film où la camionnette arrive à la fin et où le mec a une boîte avec une tête dedans. Le film de la tête dans la boîte" raconte Fincher.

    La fin que nous connaissons, grandiose et atroce, révèle une vision du monde d'un terrible pessimisme. Une fin qui nous fait comprendre que même un monde qui n'est ni beau ni juste mérite, quelque part, que l'on se batte pour lui. C'est tout le sens de l'ultime réplique magistrale de l'oeuvre, lorsque Somerset cite Hemingway. Cette réplique fut d'ailleurs ajoutée d'un commun accord entre Fincher et les producteurs, adoucissant, à peine, la noirceur d'un tableau apocalyptique des méandres de l'âme humaine.

     

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