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    Press Reset, passionnant récit sur la part sombre de l'industrie des jeux vidéo
    Olivier Pallaruelo
    Olivier Pallaruelo
    -Journaliste cinéma / Responsable éditorial Jeux vidéo
    Biberonné par la VHS et les films de genres, il délaisse volontiers la fiction pour se plonger dans le réel avec les documentaires et les sujets d'actualité. Amoureux transi du support physique, il passe aussi beaucoup de temps devant les jeux vidéo depuis sa plus tendre enfance.

    Quatre ans après s'être penché sur les coulisses parfois peu reluisantes de l'industrie des jeux vidéo dans un premier livre, le journaliste spécialisé Jason Schreier frappe aussi fort avec "Press Reset". Saignant et passionnant.

    Jason Schreier

    Le développement d'un jeu vidéo, qu'il soit estampillé triple AAA, c'est-à-dire un jeu très coûteux à produire, ou bien un titre indépendant, n'a rien d'une sinécure. Ou d'un long fleuve tranquille. Et se transforme parfois en véritable chemin de croix pour les équipes de développement qui suent sang et eau durant de longues années.

    Journaliste spécialisé, Jason Schreier travailla au sein de la rédaction du site Kotaku, a écrit pour Wired et de nombreuses autres publications, dont Edge, le New York Times ou encore The Onion News Network. Ayant depuis rejoint l'équipe du fameux site business Bloomberg, Schreier est derrière de nombreux scoops dévoilant les coulisses parfois peu reluisantes de l'industrie vidéoludique.

    Publié chez nous en 2018 par le toujours excellent éditeur Mana Books, son livre Du sang, des larmes et des pixels était une chronique captivante des dessous d'une industrie qui ne ressemble à aucune autre, explorant les affres de la création de certains des plus grands jeux vidéo de ces dernières années. Industrie culturelle la plus lucrative et peut-être la plus influente au monde, elle génère 180 milliards $ de recettes mondiales par an. Très, très loin de celle de l'industrie hollywoodienne, à laquelle on la compare -parfois maladroitement- souvent.

    Y était notamment évoqué le projet avorté par LucasArts de Star Wars 1313, crève-coeur absolu et tué par Disney à l'époque du rachat de l'empire de George Lucas. Ou encore, histoire de rester dans l'actualité avec la sortie de l'adaptation d'Uncharted en salle, la grande douleur des équipes de Naughty Dog pour accoucher d'Uncharted 4, sublime hommage aux films et récits d'aventures Pulp doublé d'une démonstration technique sans égale.

    La malle aux anecdotes croustillantes -et plus d'une fois glaçantes d'ailleurs- de Jason Schreier débordait au point que l'intéressé pensait déjà au second livre qu'il publirait sur le sujet. C'est désormais chose faite aujourd'hui, puisque sort Press Reset : désastres et reconstructions dans l'industrie du jeu vidéo, toujours traduit chez l'éditeur Mana Books.

    On retrouve avec plaisir tout au long des 404 pages (oui, quand même !) de son livre son style à la fois fluide et percutant. "Avec ce livre, je voulais savoir ce que l'on ressentait en travaillant dans un domaine où il est possible de devoir plier bagage et déménager à l'autre bout du pays, du jour au lendemain. Je voulais savoir pourquoi les fermetures de studios et les licenciements sont encore courants, comment ils influent sur les gens, et comment ces personnes s'en remettent" écrit-il en préambule. Et d'ajouter un peu plus loin : "Qu'est-ce que cela fait de lancer une société de jeux vidéo pour la voir s'effondrer ensuite ?"

    La face obscure de Mickey...

    Des neuf chapitres qui composent le livre, tous passionnants, trois ont retenu en particulier notre attention. Le tout premier, déjà, consacré à une légende absolue des jeux vidéo : Warren Spector. Quasi errigé au rang de gourou par la communauté des joueurs, il est un des très grands noms de l'industrie vidéoludique. C'est notamment à lui que l'on doit quelques uns des jeux qui ont marqué l'Histoire des jeux vidéo : Deus Ex, Ultima Underworld, System Shock, Dark Projects : la guilde des voleurs et Deadly Shadows...Des titres mythiques qui, s'ils ne parleront pas forcément aux non initiés, ont en revanche laissé une trace indélébile chez ceux qui y ont joué.

    En 2012, nous avions eu l'immense plaisir de le rencontrer, alors qu'il était de passage à Paris pour y faire la promotion d'Epic Mickey 2. Grand et fin connaisseur de l'univers de Disney, il avait même fait son mémoire de fin d'étude sur les Cartoons de la maison aux grandes oreilles.

    Au milieu des années 2000, la firme s'était mise à racheter à tours de bras des studios de développement, dont celui créé par Warren Spector, Junction Point. Epic Mickey fut un Best Seller sur la console Wii. Epic Mickey 2, bien que multi plateformes, ne se vendra pas autant.

    La sanction fut immédiate : en janvier 2013, Disney fermait le studio de Warren Spector. Le récit dans le livre de Jason Schreier des réunions avec les Excutives envoyés par Disney pour maintenir la pression sur une cadence infernale dans le développement du jeu, puis la liquidation du studio de développement, est glaçant.

    L'occasion de mesurer aussi l'écart des exigences d'une société côté en Bourse, dont les dirigeants s'attendent à des ventes toujours exponentielles, et les considérations d'un homme pris en tenaille entre les exigences des actionnaires et ses propres considérations artistiques. En dézoomant un peu, Disney n'a finalement jamais cessé de donner l'impression de ne pas savoir sur quel pied danser en matière de stratégie de développement concernant les jeux vidéo, au point d'ailleurs d'annoncer en 2016 l'arrêt de l'édition de jeux vidéo.

    Le papa de Bioshock, génie créatif torturé

    Chef-d'oeuvre vidéoludique absolu sorti en 2007, Bioshock a incontestablement marqué d'une pierre blanche le monde des jeux vidéo. Largement influencé par tout un courant littéraire d'oeuvres utopiques et dystopiques au milieu desquelles se trouvent celles d'Ayn Rand et George Orwell, le premier volet de la trilogie des jeux Bioshock plongeait les joueurs dans une extraordinaire ville sous-marine du nom de Rapture.

    Un jeu que l'on doit au Game Director Ken Levine, et dont, hasard du calendrier, Netflix a annoncé mi février l'adaptation longtemps avortée. Le chapitre qui est consacré à cet autre artiste des jeux vidéo revient surtout sur la naissance dans la très grande douleur du 3e volet de la saga, Bioshock Infinite, en grande partie liée à la personnalité torturée de son géniteur. "C'est le genre de Game Director qui a des visions capables de conduire à des chefs-d'oeuvres comme Bioshock, mais qui peut mettre très longtemps à conçevoir ces visions, et aura beaucoup de mal à formuler ses idées à son équipe" écrit fort justement Jason Schreier.

    Echaudé par un développement au très / trop long cours, Levine décida après la sortie de Bioshock Infinite de revenir à une structure plus petite, avec une équipe ultra resserrée. En 2014, il annonçait ainsi la fermeture du studio Irrational Games... Une fermeture évidemment largement bénie par l'éditeur 2k. "Pour les fans, les joueurs, et les cadres de 2k, Ken Levine était Irrational. Irrational était Levine". Un studio qui se confondait tellement avec son fondateur que, lui désormais parti, il ne pouvait lui survivre. Un raisonnement qui a logiquement dû être difficile à avaler pour les membres de l'équipe licenciés...

    L'autre exemple édifiant développé dans Press Reset est celui du studio Visceral Games, avec le tenace sentiment d'un immense gâchis humain et financier. En 2017, Electronic Arts a liquidé le studio, qui était notamment derrière la création de la saga survival- horrifique Dead Space. Comble de l'ironie, EA annonçait en juilllet 2021 un remake du premier jeu de la trilogie...

    Au moment de sa liquidation, Visceral Games s'occupait du développement d'un jeu Triple A basé sur l'univers Star Wars en co-développement avec Motive Studios, qui avait à sa tête l'ex productrice de la saga Assassin's Creed, Jade Raymond. Le titre, pensé comme une expérience narrative et cinématographique à la Uncharted, était d'ailleurs scénarisé par Amy Hennig, scénariste justement de la saga Uncharted, qui avait fini par rejoindre Visceral Games en 2014. De l'histoire ancienne à présent, et bien triste...

    "Press Reset : désastres et reconstructions dans l'industrie du jeu vidéo" de Jason Schreier - édité chez Mana Books - 18€.

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