Frank Darabont, metteur en scène, producteur et scénariste à la carrière aléatoire, réalise l’un de ses meilleurs films en mettant en scène, en 1995, une nouvelle emblématique de Stephen King. Les évadés, le titre français étant scandaleusement déplacé, reste aujourd’hui dans les annales comme l’un des plus beaux films ayant pour trait l’univers carcéral. Non pas qu’il soit en course pour le titre du plus réaliste d’entre tous, Les évadés est tout simplement un film magique, une étonnante fresque doucement poétique sur la condition humaine lorsque l’homme est mis en cage. Entre envie irrépressible de liberté, soit de mettre les voiles, et peur inconsidérée de mettre un pied dehors, dans un monde maintenant inconnu, les détenus de Shawshank, dont bon nombre sont inculpés à perpétuité, voient leurs vie bouleversées par l’apparition d’Andy. Coupable ou victime, peu importe. Seul compte finalement la vie à l’intérieur des murs du pénitencier, grand complexe ou règne discipline et religion, d’apparat, et violence, bien sûr.
Darabont se serre du meilleur de l’œuvre écrite du King, en y ajoutant la juste dose de nouveautés en vue de parfaire une adaptation cinématographique majeure. L’atout premier du film vient sans conteste de Morgan Freeman, de ses légendaires réparties en voix off, de sa touchante personnalité, à la fois résignée et pleine d’espoir. Non seulement l’acteur incarne un modèle pour l’énigmatique Andy, mais il tresse également les liens entre différents personnages, tous détenus depuis longtemps, tous sensiblement réfractaires à l’idée de revivre libres. Tim Robbins, quant à lui, dans le rôle principal, le rôle de sa vie, ne cesse d’étonner. A la fois tonique et plein d’entrain, il noie parfois les séquences sous un mutisme, une nonchalance étonnante. Quoiqu’il soit, tout le monde est ici excellent, à quelques exceptions près, et le tire-larme peu donc entreprendre son œuvre. Oui, Les évadés est un film sensible, qui sans réel dramaturgie noire au programme, parvient tout de même à émouvoir par la richesse de ses dialogues.
Bien entendu, le film de Frank Darabont passe par toutes les étapes nécessaires dans un processus d’humanisation paradoxale de détenus prétendument meurtrier. Ici, les années 90 obligent, la prison n’est pas qu’enfer, elle est aussi le havre des grands penseurs. Inutile pourtant d’en débattre. Peu importe la crédulité dont doit faire preuve le public, toujours est-il que les émotions affluent, notamment à la sortie de prison d’un vieil homme, solitaire et inadaptable à la nouvelle société, qui choisit au final la seule solution viable. Si le final n’est pas foncièrement à la hauteur de deux heures précédentes, il n’en reste pas moins que l’œuvre de Darabont est symbolique d’un cinéma qui privilégiait jadis les beaux discours, les belles émotions, aux brutes séquences de réalisme.
Icône pour certains du drame dans les années 90, Les évadés ne semble pas réellement prendre de l’âge. Certes, la réalisation sans trop d’apparat de Frank Darabont, le jeu très sobre des comédiens, n’entreront pas dans la légende. Les décors sont eux aussi plutôt modeste mais qu’importe du moment où le film touche son public, sont très large public. Même si l’on ne peut défaire un tel ouvrage d’une certaine naïveté, même si ce type de production entraîne derrière elle son lot de guimauve, difficile pourtant d’y faire l’impasse. Voilà qu’à peine 20 ans avant notre époque, le cinéma étant avant tout une histoire de magie, de rêve. Si maintenant, la majorité des productions ont inlassablement les deux pieds sur terre, l’on se pose pourtant la question. Pourquoi ne produit-on plus de film tel que celui-ci? Notons que Frank Darabont retravaillera quelques années plus tard sur un autre récit carcéral issu de l’imaginaire de Stephen King, je parle ici du non moins célèbre La ligne verte. 17/20