Sidney Lumet affirmait que "Le prince de New York" était son film le plus abouti. Celui au sein duquel il estimait avoir réussi à ne pas laisser transparaître un point de vue, laissant le spectateur complètement libre d'orienter son opinion. Qui connaît bien la filmographie de Lumet sait que le réalisateur depuis ses débuts fracassants en 1957 avec "Douze hommes en colère", s'interroge sur le fonctionnement des institutions régaliennes ou démocratiques de son pays, principalement la police ("The offence", "Serpico", "Le prince de New York", "Contre enquête") et la justice ("Douze hommes en colère", "The verdict") mais aussi les médias ("Network") ou la politique ("Point Limite", "A bout de course", "Les coulisses du pouvoir"). S'il fait des incursions plus ou moins heureuses dans différents genres cinématographiques, c'est bien dans les films posant question qu'il donne son meilleur, sachant entremêler ses préoccupations humanistes avec le suspense indispensable pour se rallier les faveurs des studios et des spectateurs. Lumet qui n'écrit jamais ses scénarios (il fera deux exceptions pour "Contre-enquête" et pour "Jugez-moi coupable"), se délecte d'histoires montrant l'inévitable corruption qui infiltre ces institutions ayant en charge le bon fonctionnement de l'Etat démocratique. Pris dans l'engrenage ou voulant en dérégler le fonctionnement pervers, l'homme seul se heurte tout d'abord à ses propres contradictions puis à l'instinct de survie d'un système basé sur un darwinisme des plus prosaïques. L'histoire de Robert Leuci qui avait dénoncé la corruption qui sévissait au sein de l'unité d'élite en charge des affaires de drogues du New York City Police Department ne pouvait donc que l'intéresser. D'abord dans les mains de Brian De Palma, le projet n'a pas mis longtemps à atterrir dans celles de Lumet qui était sans aucun doute le réalisateur ad hoc pour adapter à l'écran le livre de Robert Daley (ancien commissaire du même service) qui relate les confessions intimes de Robert Leuci. On peut penser que "Le prince de New York" n'est qu'une simple redite pour Lumet, le thème évoqué semblant très proche de celui de "Serpico" sorti huit ans plus tôt. Il faut alors se dire que Lumet y a certainement vu l'occasion d'offrir une vision plus complexe du phénomène de la corruption. Là où Serpico (Al Pacino) pouvait être vu comme une sorte de chevalier blanc, Robert Leuci renommé pour l'occasion Danny Ciello (Treat Williams) est lui-même au cœur du système ce qui interroge forcément sur ses motivations et sur les difficultés supplémentaires qu'il devra surmonter pour dénoncer ses propres copains. C'est d'ailleurs autour de l'évolution psychique de Ciello que Lumet articule son propos, le film étant régulièrement scandé par des maximes en surimpression relatant l'état d'âme de l'inspecteur dans la phase qui va suivre. Par exemple après qu'il a été approché par le procureur en charge de l'affaire (Peter Friedman) et qu'il commence à porter un mouchard pour piéger ses interlocuteurs habituels, se fait jour une période palpitante où l'adrénaline est à son maximum décrite par Ciello par la phrase : "C'est un jeu, j'aime ça !". Juste derrière alors qu'il tentera vainement d'écarter ses partenaires de l'enquête, il dira : " Personne ne prend plus soin que moi de ses partenaires". Par ce procédé astucieux renforcé par un travail d'orfèvre sur la lumière avec son nouveau chef opérateur, Andrzej Bartowiak, Lumet suit pas à pas la progression psychologique de son héros qui doit affronter en permanence son propre regard accusateur sur ce qu'il est train de faire. Certains ont déploré le manque de notoriété de Treat Williams et peut-être aussi son manque de charisme. Ce choix de casting n'est surtout pas innocent de la part de Lumet qui voulait à travers cet acteur relativement anonyme impliquer au maximum le spectateur dont Lumet souhaitait qu'il se pose en permanence la question : "Qu'aurais-je fait à sa place ?". Lumet était très satisfait du "Prince de New York" certainement parce qu'il lui avait permis de se situer au point d'équilibre du débat et de saisir au plus près grâce au témoignage de Robert Leuci, l'ambiguïté qui habite chacun d'entre nous. Long de trois heures qui ont paru longues à certains critiques, le film montre un Sidney Lumet en maîtrise totale de son art qui a parfaitement retenu la leçon d'efficacité du "French Connection" de William Friedkin (1971) qui avait frappé par son style documentaire. Cette filiation n'est sans doute pas étrangère au sujet du "Prince de new York". En effet plusieurs des collègues dénoncés par Robert Leuci avaient participé activement au démantèlement du réseau de la "French connection" qui était le sujet central du film de Friedkin. Cette gloire soudaine leur avaient permis d'imposer leurs propres règles de fonctionnement qui leur avaient valu le surnom de Princes de New York. On retiendra l'image de la fin du film montrant Danny Ciello devenu instructeur, faisant face stoïquement à un étudiant qui se lève comme va bientôt le faire le spectateur du film, refusant d'être initié par une "balance". Une dernière fois Lumet opiniâtre, nous rappelle que son film comme son cinéma de manière plus générale a vocation à nous faire réfléchir sur notre propre positionnement moral face à ces dérives presque consubstantielles au fonctionnement de la démocratie.