Il est loin le temps où Clint Eastwood était résumé de manière caricaturale à un fasciste ! En 2009, il décide de réaliser un film concernant Nelson Mandela à la limite de l’hagiographie.
En effet, il est assez évident qu’Invictus est loin d’être objectif sur le premier Président noir d’Afrique du sud. Il est montré comme étant beaucoup plus ouvert d’esprit que son entourage de la première heure, ou du moins comme étant moins dominé par l’esprit de vengeance : il a compris que la fin de l’Apartheid ne doit pas découler sur le même régime dans le sens inverse mais sur une société où les gens vivent ensemble malgré leurs différences. Il est montré comme un homme dont la vie privée a été sacrifiée (il est séparé de sa femme et de ses enfants) au but qui régie tous ses agissements : la politique de réconciliation entre noirs et blancs.
Cet aspect non objectif de la part d’un réalisateur dont l’œuvre était jusque là dominée par l’ambiguïté pousse ainsi le réalisateur à omettre certains aspects n’allant pas dans le sens de celle-ci
(l’équipe d’Afrique du sud était loin d’être aussi mauvaise au départ dans la réalité que dans le film, il y a de forts soupçons de corruption de l’arbitre du match contre la France, les joueurs des All Blacks ont été étrangement atteints d’une intoxication alimentaire deux jours avant la finale, il y a des soupçons de dopage dans l’équipe d’Afrique du sud suite à certains décès suspects…)
. Cette façon de manipuler la réalité peut être vue comme étant le principal défaut du film mais n’est pas le seul. En effet, on peut reprocher au film certaines omissions scénaristiques
(on ne sait pas si Mandela a suivi les recommandations du médecin de se reposer suite à son malaise, ce qui rend cette séquence inutile ; on ne voit pas réellement comment l’équipe sud-africaine a fait progresser son niveau de jeu…)
et, chose assez inédite chez le cinéaste, une réalisation trop emphatique du match final (ralentis presque grossiers, effets sonores exagérés…).
Toutefois, ces défauts, même s’il ne faut pas les oublier, ne doivent pas gâcher le plaisir que l’on prend devant une œuvre prônant l’humanisme avant tout. Il faut dire que le nombre d’hommes politiques véritablement exemplaires est suffisamment réduit pour ne pas pardonner à un réalisateur de volontairement oublier certains aspects réduisant ce côté héroïque quand, à côté de cela, il nous livre un très beau film redonnant espoir dans le genre humain et qui possède, somme toute, de nombreuses qualités.
Ainsi, Eastwood nous montre de façon assez crédible les tensions qui existaient (et qui existent hélas toujours) dans ce pays qui venait de connaitre un tournant historique. Il montre aussi clairement que Mandela voyait avant tout le rugby comme un moyen d’arriver à ses fins politiques plus que comme quelque chose qu’il aimait profondément et que le pays était constitué de deux populations qui se côtoient et se jugent sans réellement se connaitre (cet aspect est symbolisé par les gardes du corps noirs et blancs qui se détestent au début et qui deviennent progressivement amis en travaillant ensemble).
Mais ce qui domine tout le film est l’interprétation de Morgan Freeman. Nelson Mandela avait déclaré que, si un jour il devait être incarné à l’écran, il aimerait que cela soit par Morgan Freeman. Il s’avère qu’il avait tout à fait raison car l’acteur (qui travaille pour la troisième fois sous la direction d’Eastwood après Impitoyable et Million dollar baby) est juste impérial. Il arrive à faire oublier le véritable visage de l’ancien détenu politique devenu Président et à l’incarner littéralement en lui apportant toute l’humanité et le charisme que le rôle nécessitait.
Ainsi, même s’il possède parfois un côté hollywoodien un petit peu trop hagiographique et mensonger, Invictus reste un magnifique film qui permet d’exalter ce qu’il y a de meilleur dans l’être humain et de mettre en scène un des rares personnages politiques que l’on peut réellement qualifier de grand homme.