La chine continentale, non contente de nous donner une sublime leçon d’économie de marché est de plus en plus en passe de nous donner une véritable leçon de cinéma. Du cinéma chinois continental le public ne retient peut-être que les sublimes fresques épiques Wu xi pian (litt. film de chevalier errant) signées Ang Lee ou Zhang Yimou telles que Tigre & Dragon, Hero ou Le Secret Des Poignards Volants. Pourtant des réalisateurs comme Xie Jin (Hibiscus Town) Feng Xiaogang (Cell Phone) ou Yi’nan Diao (Uniforme & Train de Nuit) qui nous livre aujourd’hui Black Coal percent en Europe et dans les festivals pour nous proposer un cinéma puissant, sociétal qui se hisse à la hauteur de ses grands frères Hongkongais, Coréens, Japonais tout en ayant sa propre identité dans sa profonde volonté de ne pas leur ressembler.Succédant aux terribles People Mountain People Sea (Shangjun Cai) et A Touch of Sin (Zhang-Ke Jia) deux polars pulvérisant l’idéal de développement économique brutal au profit d’une peinture noire et sans appel des profondes et dramatiques transformations qu’elle entraine, Black Coal est fidèle aux habitudes de son réalisateur qui fait se sujets de société et ambiances glaciales, oppressantes. Des œuvres dans lesquelles, comme dans les films précités, l’on sent toute la fureur latente de la chine contemporaine prête à exploser brutalement à tout moment, dans ses rapports sociaux, dans sa vision des autres, dans le respect des règles et dans le poids de ses traditions, véritable société schizophrène née d’un développement enthousiaste à dévorer le monde et tout sur son chemin. Une société où la chute d’un homme peut entrainer celle de milliers d’autres.Bijou d’une beauté flamboyante, ce récit fascinant multipliant les ruptures de ton de la violence, à la contemplation, de l’amour à la haine, de la fureur à la douceur, de l’intimité à l’impudeur, de silences appuyés en regards fuyants, Black Coal oscille graphiquement entre Nicolas Winding Refn et Michael Mann. Un polar cru, intimiste qui ne trouve pas sa puissance dans le glauque ni le sordide, mais bien dans ces moments de contemplation et lévitation assourdis par le silence de la neige virginale durant lesquels l’enquête progresse lentement, sûrement, se déroule et se développe (parfois un peu trop lentement diront certains) avec toute la difficulté de pas dans la neige, avec tous les pièges qu’elle dissimule, avec toutes les trahisons qu’elle comporte.Filmé presque intégralement de nuit d’hiver dont chaque flocon nous transperce, Black Coal ravive une flamme peu connue dans nos salles du cinéma chinois. Loin d’un cinéma populaire et commercial, loin d’une œuvre cérébrale et métaphysique, loin des clichés que chacun peut avoir en tête, le film renoue avec le polar noir intelligent qui ne trouve pas de salut dans un déchainement de violence, mais s’appuie sur une construction scénaristique impeccable qui pose lentement ses pions et une écriture formidable de ses personnages dont le passé explique le moindre de leurs gestes et de leurs décisions. Un véritable jeu d’artifice que l’on n’oublie pas sitôt la salle quittée. Vous comprendrez quand vous l’aurez vu.