Insoumis : les secrets du tournage

Insoumis traite de l'affaire Jean Corbo, cet adolescent mort en 1966 en marge des actions menées par le Front de Libération du Québec. Le réalisateur Mathieu Denis explique comment lui est venue l'idée du film : "C'est mon père qui, le premier, m'a parlé de "l'affaire Corbo", il y a de cela plusieurs années. Il avait gardé un vif souvenir de l'histoire tragique de ce jeune adolescent du même âge que lui, mort à 16 ans alors qu'il menait un attentat pour le compte du Front de Libération du Québec (FLQ). Mon père se souvenait surtout des grandes lignes de ce triste évènement, mais son bref récit m'avait marqué."

Mathieu Denis reconnaît s'être inspiré pour Insoumis de films tels que Au revoir les enfants de Louis Malle, Yi Yi réalisé par Edward Yang ou encore Platform de Jia Zangke.

Le réalisateur dit également s'être appuyé sur le poème "Le Camarade" du poète Gaston Miron, portant sur l'affaire Jean Corbo : "J'ai découvert "Le Camarade" au moment où je commençais à ressentir qu'il y avait, dans l'histoire de Jean, un matériel assez riche pour justifier un long métrage de fiction. Le poème de Miron est un texte vibrant qui a quelque sorte balisé mon travail d'écriture, alors qu'après avoir fait une longue recherche documentaire, je me retrouvais avec une masse d'informations à laquelle je devais donner sens. Il y a dans le poème de Miron cette phrase - "tu allais Jean Corbo au rendez-vous de ton geste"- qui scelle en quelque sorte le destin de Jean avant même qu'il ne se soit accompli", explique-t-il.

Avant de commencer l'écriture de son film, Mathieu Denis a souhaité se documenter au préalable sur l'histoire de Jean Corbo et plus généralement, sur la période des évènements du Front de Libération du Québec. Pour ce faire, le réalisateur a compulsé un nombre important d'articles portant sur les activités du Front de Libération du Québec et sur les évènements ayant conduit à la mort de Jean Corbo. D'autre part, Mathieu Denis a également entrepris des recherches afin de retrouver des membres de la famille Corbo ainsi que certains des camarades de Corbo issus comme lui du Front de Libération du Québec. Ce n'est qu'au terme de ce long travail de chercheur que le cinéaste a pu commencer la phase d'écriture du film.

Entre 1962 et 1972, il n'y pas eu qu'une mais plusieurs cellules du Front de Libération du Québec qui furent constituées. Celle évoquée dans le film est celle mise sur pied par Pierre Vallières et Charles Gagnon, que l'on retient pour ses actions violentes en faveur des classes ouvrières que cette faction du FLQ jugeait opprimées. Il y a donc un contexte socio-politique assez marqué dans le film, notamment si l'on songe aux rapports de classes et au fait que Jean Corbo, issu d'un milieu aisé, a basculé dans une cause en faveur du prolétariat.

Insoumis renvoit sur certains points à la situation du Québec d'aujourd'hui, comme le déclare Mathieu Denis : "Il reste un indéniable intérêt dramatique et historique à se remémorer des évènements de la Crise d'octobre 1970, par exemple, ou d'autres évènements ayant marqué l'histoire québécoise. Mais je ne pense pas que de tels épisodes nous en disent long sur le Québec d'aujourd'hui. Alors que le récit de Jean, lui, semble nous ramener directement aux enjeux les plus complexes et les plus criants de la société québécoise d'aujourd'hui : redécouvrir et accepter ce que l'on est collectivement, après deux siècles de lutte et d'affirmation nationale, deux défaites référendaires, et malgré la lassitude ambiante entourant la question nationale. Apprendre, en d'autres mots, à vivre ensemble, dans un Québec transformé par l'immigration et par la vertigineuse mutation sociodémographique des cinquante dernières années."