Dès ses premières secondes, un plan en contre-plongée qui donne le vertige sur une cour d’université, Joachim Trier donne le la et nous hypnotise avec « Thelma ». Un film dont l’esthétique, soignée voire léchée, frôle la perfection sans que cela ne soit jamais prétentieux mais au contraire en totale symbiose avec le propos. Le cinéaste norvégien nous caresse le regard et il est indiscutable que de visionner une œuvre à la beauté plastique si aboutie est un pur plaisir. C’est l’un des principaux atouts du long-métrage. Sa mise en scène nous oppresse petit à petit et parvient à nous faire ressentir que quelque chose cloche, elle pèse sur nos esprits et sème le doute sur la teneur de ce qui se passe à l’écran. Certaines séquences sont glaçantes de beauté mais aussi très anxiogènes, elles mettent légèrement mal à l’aise. On est face à une œuvre qui inscrit le fantastique dans la réalité mais loin de tout naturalisme.
Après deux drames réussis et assez lourds psychologiquement, le cinéaste étonne en investissant le terrain du film fantastique, sans pour autant oublier de soigner ses personnages et de leur sculpter des caractères fouillés qui permettent l’identification. Mais on est très loin du fantastique hollywoodien, abêtissant, tel qu’on a pu le voir par centaines dans des films sans âme destinés à effrayer les adolescents ou les ménagères avec des effets spéciaux numériques et des sursauts de bas étage. On est plutôt dans l’essence même du genre, un fantastique pur et dur, à l’ancienne, comme on n’en voit plus beaucoup au cinéma mais qui refait une percée depuis quelques années avec des films indépendants comme « The Witch » ou It follows ». Du fantastique qui laisse place à l’imagination, laisse des questions en suspens et recouvre plusieurs interprétations possibles. Dans la tonalité, on peut voir des similitudes avec son comparse scandinave de « Morse », Tomas Alfredson.
Dans « Thelma », la religion occupe une place prépondérante avec la notion de Mal, de Foi et la bigoterie et le puritanisme en toile de fond. Dommage qu’on ait du mal à cerner le point de vue du réalisateur à ce sujet et qu’il n’utilise cela qu’en des termes contextuels. A y regarder de plus près, l’histoire est très réduite. Peu d’informations nouvelles ou de rebondissements viennent égrainer le film. Tout est question de perception. Le peu d’informations importantes est distillé au compte-gouttes ce qui leur donne davantage de poids mais rendent le rythme parfois languissant. Il est vrai que le long-métrage prend peut-être un peu trop son temps et qu’un quart d’heure de moins n’aurait peut-être pas été préjudiciable. L’histoire d’amour lesbienne donne quant à elle un atout supplémentaire et accouche de la scène la plus mémorable et diablement belle de ce film éthéré, celle de l’opéra. Le fait de clôturer l’œuvre en laissant pas mal de choses en suspens, réduisant le spectateur à se faire sa propre interprétation peut tout autant frustrer que séduire, un peu à la manière d’un épisode de « X-Files ». Envoûtant, captivant et parfaitement maîtrisé dans la narration comme dans sa mise en place visuelle, « Thelma » n’est pas un chef-d’oeuvre mais une très intéressante surprise où l’effroi se fait discret et par petites touches.