Bong Joon-ho n'est plus à présenter.
Détenteur de la Palme d'Or 2019 (marquant également la 1e Palme coréenne de l'histoire pour les 100 ans du cinéma coréen), ce grand plasticien du XXIe siècle reçoit enfin son 1er prix (oui seulement son premier) pour son nouveau long-métrage "Parasite"
Un de mes réalisateurs favoris, découvert à l'époque à la sortie de son film ayant eu le de succès (The Host), monster-movie plaçant au centre la solidarité familiale au centre d'un film de genre tout en exerçant une critique du gouvernement coréen, ayant indirectement créé la menace principale, qui mettra cette famille à l'épreuve.
"Qui sont les parasites ?" Bong Joon-ho étudia la sociologie plus jeune, et après avoir vu sa filmographie le tout résonne comme une évidence, dès Memories of Murder, thriller policier incroyable où 2 policiers (l'un rural et l'autre de la ville) doivent traquer un tueur violeur en se confrontant aux limites accordées par le pays dans les 90's.
Mother (film déchirant où une veuve vivant avec son fils déficient mental, prête à tout pour vaincre les préjugés et laver l'honneur de son fils,accusé d'un crime terrible) ou ses 2 productions plus occidentales que sont Snowpiercer (dystopie post-apocalyptique et métaphore d'un cycle de domination sociale ne pouvant prodiguer d'égalité qu'en arrêtant la machine) ou Okja (conte ayant pour prisme l'opposition entre nature-innocence et un corporatisme despotique voyant la vie comme une viande à broyer) proposaient cette étude des fractures sociales qui habitent non seulement la Corée (pays qui porte encore les stigmates d'une occupation douloureuse, que son comparse Park Chan-wook étudie également), mais également le reste du monde par extension.
A l'instar de son premier film Barking Dog (qui prenait comme décor un immeuble) voire de son court-métrage Tokyo! (où la survie et l'amour ne pouvaient exister qu'en abolissant les barrières invisibles que l'on se crée),Bong Joon-ho revient pour son 7e film à une intrigue au canevas plus simple d'entrée de jeu.
Dès son premier plan, "Parasite" nous introduit la famille de Gi-taek (Song Kang-ho son acteur fétiche étant le patriarche, pour un de ses meilleurs rôles), sans emploi et vivant littéralement à même le sol, dans un habitat précaire et exigu, brillamment dévoilé via un cadre dans le cadre, et une séquence où le fils aîné Ki-woo doit chercher du Wi-fi (pour être en lien avec le reste du monde). Très vite ce dernier se verra offrir un poste de professeur d'anglais pour la fille du couple Park, une riche famille à la demeure gigantesque.
D'entrée de jeu on voit que Bong Joon-ho nous abreuve de sa meilleure mise en scène à ce jour, livrant des plans léchés (sublimés par une photographie glacée et précise et de toute beauté par Hong Kyeong-pyo m'ayant plusieurs fois décrocher la mâchoire) et une réalisation chirurgicale valant 1000 mots, exploitant notamment l'architecture de chaque lieu, distillant avec intelligence tous les indices et ustensiles pour dresser son récit.
Opposition entre un enfer précaire plus bas que le sol, où les poivrots pissent sur les murs, où les chiottes explosent et les "parasites remontent"....face à une habitation épurée et classieuse, où la Corée chic a assimilé la culture américaine tout en jouissant de plaisirs futiles sans même savoir être autonome.
La découverte de la demeure des Park ainsi que du fonctionnement de cette famille est jubilatoire, Bong Joon-ho créant un comique de situation via un décalage socio-culturel, où la plèbe se doit user d'inventivité pour exister et interrompre une exploitation à sens unique.
L'intrigue est écrite avec une maestria et un côté redoutable qu'il serait dommage de divulguer ses ressorts scénaristiques, toujours est-il que "Parasite" est une fable brillante sur cette lutte des classes, parvenant encore une fois à jongler les registres, entre le comique burlesque et grinçant, le drama familial mais aussi le home invasion, le film de casse et d'arnaque, la surprise absurde, le tragique kafkaïen et des moments de tension inouïs.
Une histoire de chausse-trappes qui nous tient en haleine du début à la fin, et offrant des moments de pur cinéma via des images qui impriment la rétine (vous n'oublierez pas de sitôt une séquence avec une tente et une lampe torche, une scène de pluie diluvienne ou encore un plan glaçant de "fantôme dans la cuisine"), et un discours qui si il commence de manière très joviale (allant même vers la bouffonnerie), vire très vite au suspense vers une noirceur absolue et un caractère très inquiétant (notamment via un personnage élément perturbateur totalement aliéné), où l'humiliation des travailleurs et l'impossibilité d'une collaboration est annonciatrice d'une horreur et d'une lutte sanglante censée renverser l'ordre social.
Le casting est irréprochable,que ce soit bien sûr Song Kang-ho en père de famille opportuniste, la très jolie Jo Yeo-jeong (en matriarche Park) ou bien Choi Woo-sik et Park So-dam, interprétant les 2 enfants aspirant à une vie meilleure.
Entre le thriller de genre et la comédie furieuse, manifeste libertaire et signal de détresse social déchirant, "Parasite" est une fable puissante, passionnante, prenant aux tripes de manière universelle, et un immense film d'un cinéaste qui pourtant n'avait plus rien à prouver.
Un chef-d'oeuvre absolu