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    Le cinéma français sait aussi vous faire flipper : La Tour va vous glacer le sang
    Maximilien Pierrette
    Journaliste cinéma - Tombé dans le cinéma quand il était petit, et devenu accro aux séries, fait ses propres cascades et navigue entre époques et genres, de la SF à la comédie (musicale ou non) en passant par le fantastique et l’animation. Il décortique aussi l’actu geek et héroïque dans FanZone.

    Guillaume Nicloux évoque "La Tour", son premier vrai film d'horreur, qu'il a notamment présenté au dernier Festival de Deauville.

    L'éclectisme est-il le maître-mot de la carrière de Guillaume Nicloux ? La dernière fois qu'il s'est illustré au cinéma, c'était pour enfermer Gérard Depardieu et Michel Houellebecq dans un centre de thalasso. Et ce quelques mois après nous avoir emmenés en Indochine dans Les Confins du monde, film de guerre psychologique, pour ne citer que des exemples récents.

    Des longs métrages très différents les uns des autres au premier abord, mais qui se rejoignent autour des notions d'enfermement (physique et/ou mental) et de folie, alors que les récits s'aventurent régulièrement à la lisière de l'horreur. Avec La Tour, il plonge pleinement dans le genre grâce à l'histoire des habitants d'un immeuble pris au piège lorsqu'une matière noire et mortelle entoure le bâtiment du jour au lendemain.

    Un film très sombre, à tous les niveaux, porté par Hatik (révélation de Validé) et qui n'est pas sans faire penser au confinement causé par le Covid, avec cette idée d'enfermement et d'horizon incertain, dont le réalisateur nous a parlé au dernier Festival de Deauville.

    La Tour
    La Tour
    Sortie : 8 février 2023 | 1h 30min
    De Guillaume Nicloux
    Avec Angèle Mac, Hatik, Lina-Camélia Lumbroso
    Presse
    2,8
    Spectateurs
    1,4
    Voir via MyCanal

    AlloCiné : "La Tour" a-t-il eu un point de départ précis ? Une idée particulière qui serait à l'origine du film ?

    Guillaume Nicloux : C'est un processus très particulier lorsque des idées de films s'imposent. Mais le moment du confinement a conditionné, d'une certaine manière, l'émergence du concept de l'histoire. D'une façon à la fois naturelle et inconsciente. C'est pour cela que je dis que c'est sans doute mon film le plus personnel, dans la mesure où il traite de ma première peur d'enfant : la peur du noir totale.

    C'est pour moi une peur ancestrale, qui a conditionné ce que je suis mais aussi mon intérêt pour le film d'horreur et d'épouvante, même si c'est la première fois que je mets très franchement les deux pieds dedans, alors que certains de mes films tendaient à aller dans des directions où c'était aussi souvent présent. Mais de façon un peu détournée.

    Cela fait que les choses se sont imposées. Et elles se sont associées avec la découverte de cette étrange matière qu'est le Vantablack, inventée il y a une dizaine d'années [en 2012, ndlr] et capable d'absorber plus de 99% de la lumière.

    C'est sans doute mon film le plus personnel, dans la mesure où il traite de ma première peur d'enfant : la peur du noir totale

    Il est amusant de vous entendre parler de votre peur du noir, alors que votre métier consiste à attirer des spectateurs dans une salle où l'on éteint la lumière. Est-ce qu'il n'y a pas, inconsciemment, quelque chose qui vous fait exorciser cela à travers vos films ?

    Absolument ! Vous avez raison : on est fasciné par ce qui nous fait peur, et s'enfermer dans le noir pour être ému par la lumière, c'est quelque chose qui participe à votre envie de démarrer quelque chose qui va être à la fois hypnotique et vous emmener dans un voyage, vous transporter. Même si le voyage n'est pas agréable, il est riche en émotions.

    C'est ce qu'on souhaite toujours quand on va s'enfermer dans une salle : oublier le temps présent et être aspiré par quelque chose qui vous transporte et, idéalement, vous transforme dans le même laps de temps, un peu réduit. Et cela vaut même dans une notion de grand spectacle, de pur divertissement ou un cinéma plus méditatif et plus lent, mais qui vous transporte d'une autre façon, vous installe dans une humeur et quelque chose qui va vous emmener ailleurs.

    Est-ce dans cette optique de se confronter à ses peurs que vous avez choisi de ne pas expliquer d'où vient le voile ? Pour que chacun puisse y projeter ce qu'il veut, au-delà des parallèles avec le confinement qui est, lui aussi, arrivé du jour au lendemain.

    Non, car la matière - je préfère dire "matière" que "trou noir" - est l'alibi pour générer le sujet et rentrer dedans. J'ai toujours aimé l'idée qu'on va voir un film d'horreur car il s'y passe des choses horribles. Et, en partant de là, cela permet d'élargir le spectre du film d'horreur.

    Wild Bunch
    Hatik dans "La Tour"

    Vous disiez aimer le film d'horreur, mais c'est la première fois que vous abordez vraiment le genre. Est-ce parce que vous ne trouviez pas le bon projet, ou parce que vous aviez le sentiment que c'était hors de votre portée ?

    Très curieusement, je m'estime extrêmement chanceux dans la mesure où j'ai encore la possibilité de faire des films qui naissent d'un désir. Et ce désir est arrivé à ce moment. C'est très très stimulant quand on arrive à le concrétiser, car la problématique du cinéma, c'est que l'on peut avoir un désir très fort immédiat, mais qui vous transporte dans un autre temps.

    Pas comme un peintre qui, parce qu'il a un feeling à un moment précis, se met à projeter des choses. La complexité du cinéma, c'est qu'on passe par l'écriture, puis par le financement qui nous mène ensuite à un tournage. Et entre ces deux étapes, il peut se passer beaucoup de temps. Il faut alors trouver comment maintenir ce désir intact et aussi stimulant qu'au moment où vous l'avez imaginé.

    On retrouve souvent le motif de l'enfermement dans vos films, qu'il soit physique ou mental. Pourquoi est-ce que cela nourrit autant votre cinéma ?

    Peut-être que si je le savais, j'arrêterais de faire La Religieuse dans un couvent, The End dans une forêt, Les Confins du monde dans une jungle, Valley of Love dans un désert, L'Enlèvement de Michel Houellebecq dans une maison, Thalasso dans un centre de thalasso ou La Tour dans un immeuble (rires) Tout ça est assez mystérieux en fait.

    Le film a été tourné en studio ou dans une vraie tour ?

    C'est une vraie tour. Nous avons eu beaucoup de chance de pouvoir réinvestir la tour et de construire tous les logements à l'intérieur. Donc tout ce que vous voyez était entièrement sur le plateau.

    Et vous avez donc pu adapter les décors à la mise en scène prévue, et non l'inverse ?

    Oui, complètement.

    Le sentiment de malaise participe à la jouissance qu'on a à vivre ces expériences devant un film d'horreur

    Est-ce que le rythme, très elliptique, du récit a été établi pendant la post-production et le montage, ou était-il prévu comme cela dès le départ ?

    Il était écrit ainsi. Chapitré par année ou par mois. Il y a d'autres films, comme dans le cycle houellebecqien [composé de L'Enlèvement de Michel Houellebecq, Thalasso et le futur Dans la peau de Blanche Houellebecq, ndlr], qui obéissent à une autre forme d'écriture et de structure narrative. C'était plus classique ici car La Tour a eu l'avance sur recettes à partir d'un mode de financement traditionnel.

    Le fait d'avoir choisi des acteurs peu ou pas connus était-il délibéré, dans le but que le public puisse s'identifier plus facilement ?

    Il faut savoir que j'ai fait deux rencontres très importantes en très peu de temps. D'abord Gérard Depardieu, avec qui j'ai tourné quatre films en cinq ans. Puis Gaspard Ulliel. Nous avions d'autres projets ensemble et devions d'ailleurs tourner un film au mois de septembre [l'entretien a été réalisé en septembre 2022, ndlr]. Nous démarrions une collaboration qui allait dans une direction intéressante.

    J'ai trouvé un père cinéphilique avec Gérard, et comme un fils rêvé avec Gaspard. Travailler avec eux et nouer une amitié très forte vous nourrit énormément, à la fois sur le plan cinématographique et humain. Et ça a été compliqué pour moi : au moment où nous avons décidé de faire un petit break, il a fallu que je trouve une autre forme d'inspiration et de fraîcheur.

    C'est pour cette raison que j'ai fait [le documentaire] Les Rois de l'arnaque pour Netflix : là je changeais totalement et j'avais affaire, d'une certaine manière, à des inconnus. Donc je pouvais mettre nos collaborations entre parenthèses. Il est difficile de passer derrière Depardieu ou Gaspard, même avec des comédiens confirmés.

    Donc il était rafraîchissant pour moi de travailler avec des jeunes qui n'ont pas d'expérience ou peu. Pour établir un rapport complètement neuf et que l'on invente ensemble. Il a fallu ces deux films, Les Rois de l'arnaque et La Tour, pour que je puisse repartir sur un projet, celui que je suis en train de tourner avec Gérard et Fabrice Luchini [La Petite, attendu le 13 septembre 2023 dans nos salles, ndlr].

    Wild Bunch
    Guillaume Nicloux sur le tournage

    Y a-t-il des films d'horreur qui vous ont influencé pour celui-ci ?

    Pas pour celui-ci, non. Mais j'ai forcément été nourri par cette cinéphilie que j'ai démarrée très tôt dans le genre. Je ne saurais pas en citer un précisément, mais j'ai été impressionné par une multitude de films qui vont du Nosferatu de Murnau à It Follows, en passant par La Dernière maison sur la gauche de Wes Craven ou Shining.

    On retrouve des traces de "Shining" dans "La Tour", avec cette idée d'enfermement qui conduit à la folie.

    Il y a aussi eu Eden Lake, qui établissait une passerelle avec La Dernière maison sur la gauche, dans ce registre des films d'horreur réalistes et sans concession. Qui ne font ni appel au gore, ni au surnaturel. Assez radicaux dans leur traitement et leur aspect très frontal. Le sentiment de malaise participe à la jouissance qu'on a à vivre ces expériences devant un film d'horreur.

    Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Deauville le 3 septembre 2022

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