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    Oscars : ces trois documentaires ont gagné une statuette mais (presque) personne ne les connaît
    Olivier Pallaruelo
    Olivier Pallaruelo
    -Journaliste cinéma / Responsable éditorial Jeux vidéo
    Biberonné par la VHS et les films de genres, il délaisse volontiers la fiction pour se plonger dans le réel avec les documentaires et les sujets d'actualité. Amoureux transi du support physique, il passe aussi beaucoup de temps devant les jeux vidéo depuis sa plus tendre enfance.

    Dauphins, Guerre du Vietnam et droits des mineurs américains : trois sujets très différents mais trois documentaires extraordinaires primés aux Oscars, qui méritent une séance de rattrapage.

    "Je vois le documentaire comme une des dernières formes de la liberté d'expression" nous avait confié en 2015 le réalisateur Hubert Sauper, à qui l'on doit entre autre Le Cauchemar de Darwin, extraordinaire documentaire aux allures de polar d'une noirceur abyssale, et cité à l'Oscar du Meilleur documentaire.

    S'il diffère naturellement par sa forme des oeuvres fictionnelles, le champ émotionnel ouvert par le documentaire peut être d'une puissance absolument dévastatrice. Parce qu'il aborde des sujets touchant parfois à l'intime, des questions qui nous heurtent profondément et nous interrogent, sur notre rapport au monde, aux autres et au vivant. Dans ce registre, jamais on n'aurait pensé être aussi ému par le bouleversant La Sagesse de la pieuvre, oscarisé à juste titre en 2021.

    Depuis 1941, l'académie des Oscars récompense chaque année une oeuvre documentaire. Certaines sont très connues du grand public : Bowling For Columbine de Michael Moore en 2002 par exemple, ou La Marche de l'empereur, en 2005.

    Mais il y a des documentaires oscarisés beaucoup, beaucoup moins connus. En tout cas chez nous. Et qui, croyez-nous sur parole, mérite plus que largement le détour. En voici trois.

    The Cove - la baie de la honte

    "J'aimerais que ces films n'aient pas besoin d'être faits" déclarait tristement Luc Besson, venu présenter le documentaire The Cove - la baie de la honte lors du Festival du cinéma américain de Deauville en 2009. On a pu reprocher bien des choses au cinéaste. Mais certainement pas d'avoir eu la lucidité et le courage de distribuer en France ce terrible et bouleversant -on pèse nos mots- documentaire.

    Le sujet ? Après s'être fait connaître dans les années 60 par la série Flipper, l'ex-dresseur de dauphins Ric O'Barry est aujourd'hui un défenseur acharné des cétacés. A Taiji, au Japon, il se mobilise contre le massacre de plusieurs milliers de dauphins par an, perpétré à l'abri des regards. Avec l'équipe de l'Oceanic Preservation Society, O'Barry entreprend de révéler la vérité sur Taiji au monde entier...

    EuropaCorp Distribution

    Couvert de prix dans divers festivals internationaux, notamment à Sundance où il remporte en 2009 le Prix du Public, récompensé par l'Oscar du Meilleur documentaire en 2010, The Cove - La Baie de la honte est un documentaire choc tourné dans l'illégalité et en caméra cachée, et tout à la fois ahurissant, bouleversant, intelligent et essentiel.

    C'est aussi le douloureux combat d'un homme, Ric O'Barry, fondateur malgré lui du business du dauphin, qui a passé les 35 dernières années de sa vie à lutter contre une industrie qu'il a initiée.

    Côté japonais, la ligne n'a pas vraiment changé. La Préfecture de Wakayama publia dans la foulée de la sortie du documentaire une réponse officielle, le condamnant sans surprise. La chasse reste donc toujours ouverte pendant 6 mois, et pas question de mettre fin à cette tradition vieille de 400 ans, comme le déclarait encore en janvier 2014 le maire de Taiji, Kazukata Sangen.

    Et lorsque l'Ambassadrice des Etats-Unis au Japon à l'époque, Caroline Kennedy (fille de JFK), s'en est émue publiquement dans un tweet officiel, celle-ci fut sèchement renvoyée dans ses cordes au sein des réseaux sociaux japonais.

    En 2018, la cinéaste japonaise Megumi Sasaki consacra un documentaire sur l'après The Cove, intitulé A Whale of a Tale. L'occasion de vérifier que, des années après le film choc oscarisé, la blessure restait vive à Taiji. Tout en constatant que la consommation de chair de baleine et de dauphin est largement ignorée par la jeune génération, au point de s'éteindre progressivement. Sauf chez les irréductibles et les tenants d'une tradition séculaire...

    Hearts & Minds

    "Nous devons être prêt à nous battre au Viêtnam. Mais la victoire finale dépendra du cœur et de l'esprit des hommes qui vivent là-bas". Ce sont les termes d'un très fameux discours prononcé par le président américain Lyndon B. Johnson, le 4 mai 1965. "Gagner le cœur et l'esprit des hommes", une formule qu'il a même martelé pas moins de 28 fois dans ses discours, entre 1964 et 1968.

    C'est aussi le nom choisi par le cinéaste Peter Davis pour son extraordinaire documentaire, l'un des plus importants jamais réalisés, qui eut un immense impact émotionnel et politique : Hearts & Minds.

    En voici la bande-annonce..

    La guerre du Viêtnam survient à un moment où les conventions hollywoodiennes sont en train de craquer et le gouvernement, voulant la maintenir dans un cadre limité, se garde bien de mobiliser les cinéastes pour leur faire glorifier un conflit de plus en plus impopulaire.

    Hearts & Minds fut l'un des tout premiers films à pointer publiquement les agissements -secrets ou non- de la politique extérieure des Etats-Unis, montrant "à chaud" les séquelles de la guerre du Viêtnam. C'est qu'au moment où le documentaire est réalisé, les Etats-Unis étaient encore en pleine négociations secrètes avec le Nord Viêtnam pour tenter de mettre un terme au conflit, négociations qui aboutiront aux Accords de Paris en 1973.

    Projeté au Festival de Cannes en 1974, il reçu un accueil très favorable. Mais sa distribution aux Etats-Unis posa problème. Devant son sujet sulfureux, le distributeur du film jeta l'éponge, tandis que les risques de procès se multiplièrent, retardant d'autant la sortie du film sur le territoire américain. Peter Davis réussit finalement à trouver un nouveau distributeur, et le film sortit en 1975, quelque temps avant la cérémonie des oscars, d'où il repartira auréolé de l'Oscar du Meilleur documentaire.

    L'annonce de la récompense fut conspuée par certains, jugeant le film anti-américain, tandis que d'autres applaudirent. Frank Sinatra, qui était maître de cérémonie pour la remise des Oscars en 1976, dénonça publiquement le documentaire et la récompense qu'il obtint.

    BBS Productions

    Combinant des images filmées des combats, images d'archives et témoignages de vétérans et activistes anti guerre, personnalités politiques mais aussi des acteurs de premier plan comme le général Westmoreland, commandant des opérations militaires américaines de la guerre du Viêtnam entre 1964 et 1968, Hearts & Minds est une radiographie dévastatrice et bouleversante d'une nation en proie au doute et déchirée par ce conflit, dont les plaies ne se sont jamais refermées.

    L'occasion aussi de lancer un vibrant appel à un éditeur vidéo; ce chef-d'oeuvre du documentaire n'ayant hélas jamais eu les honneurs d'une parution en DVD chez nous, encore moins en Blu-ray. Il reste en tout cas un énorme travail pour évangéliser autour du film : il n'a que quatre malheureuses notes sur sa fiche...

    Harlan County, USA

    La brutale et sanglante Histoire de la lutte des mineurs américains pour leurs droits a souvent été évoquée dans les fictions américaines, et nous a parfois, par bonheur, donné de très grands films, et même des chefs-d'oeuvre. Traître sur commande de Martin Ritt par exemple, dans lequel Sean Connery trouve rien de moins qu'un des meilleurs rôles de sa carrière.

    Ou la bataille de Matewan, terrible prélude qui débouchera sur un soulèvement général des mineurs de la région de Virginie en 1921 ; année au cours de laquelle une armée de 10.000 d'entre eux s'opposa à 3000 hommes de loi, briseurs de grève et soldats. Un événement qui fut le plus grand soulèvement de travailleurs dans l'Histoire des États-Unis, et le plus grand soulèvement armé depuis la guerre de Sécession.

    Cabin Creek Films

    Du côté des documentaires, les terribles conditions de vie des mineurs ont aussi largement été évoquées. Le plus fameux d'entre tous est l'œuvre d'une femme, une immense réalisatrice deux fois oscarisées, formée à l'école du cinéma direct : Barbara Kopple.

    A 28 ans à peine, elle signait un des plus grands documentaires du XXe siècle : Harlan County, USA, sorti en 1976. Pendant plus d'un an, elle suivit les 180 mineurs de charbon de Brookside, dans le Comté de Harlan situé dans le Kentucky, lancés en 1972-1973 dans une grève d'une dureté implacable pour lutter pour leurs droits face à la Duke Power Company.

    En voici la bande-annonce...

    Kopple et son équipe ont passé des années avec les familles représentées dans le film, documentant les difficultés qu'elles rencontrent alors qu'elles font grève pour des conditions de travail plus sûres, des salaires décents, et au bout du compte leur simple droit à la dignité : certaines familles vivaient dans des taudis n'ayant même pas l'eau courante...

    Rien n'est épargné, entre les témoignages des mineurs atteintes de silicose, causée par des dépôts de poussière de charbon dans les poumons, l'entrée des femmes dans la lutte, les briseurs de grèves et les brutales descentes de police, les échanges de coups de feu aussi. C'est une page à la fois très douloureuse et fière de l'Histoire de la lutte des mineurs américains qui s'écrit sous nos yeux.

    Comme un écho aussi à la terrible guerre du Comté de Harlan, survenue dans cette même région, de 1931 à 1939, qui opposa déjà les mineurs de l'industrie du charbon face à leurs exploitants et aux autorités locales, entre série d'escarmouches, exécutions, et attentats à la bombe.

    Cabin Creek Films

    Bercé par une fantastique bande originale, avec les légendaires chanteurs de country et bluegrass Hazel Dickens, Merle Travis, Sarah Gunning et Florence Reece, Harlan County, USA est un documentaire exceptionnel et bouleversant, du cinéma coup de poing engagé et viscéral.

    Si l'oeuvre fait outre-Atlantique largement partie du patrimoine cinématographique, on s'étonne tristement qu'un tel chef-d'oeuvre du genre n'ait même pas encore eu les honneurs d'une parution sur support physique chez nous, pas même en DVD.

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