Le cinéma français a toujours été avide de dialoguistes brillants. Après Jacques Prévert et Henri Jeanson, Michel Audiard a su imprimer très profondément une patte inimitable, qui reste d'ailleurs absolument inégalée aujourd'hui. Dans un extraordinaire mélange de gouaille et un sens de l'observation sociale capable de pousser très loin et très profond, Audiard typait ses personnages comme personne.
Ses dialogues étaient entièrement au service de ses talents. Parmi eux, sa collaboration avec Jean Gabin fut absolument exceptionnelle : pas moins de 17 films ensembles à partir de Gas-oil, en 1955. "On dit que je faisais parler Gabin; ce n'est pas vrai, Gabin avait un merveilleux langage dans la vie" racontera Audiard dans une entretien accordé à la revue Cinématographe. "Quand on a parlé plusieurs fois avec un acteur, on sent bien la tournure de son langage, son tempo, ses silences le cas échéant..."
"Ma situation dans le cinéma n'était pas tellement reluisante"
De cette fructueuse entente entre ces deux monstres du cinéma français, on cite le plus souvent des oeuvres restées fameuses : Les Vieux de la vieille, Le Baron de l'écluse, Un singe en hiver, Le cave se rebiffe, Le Président... Le drapeau noir flotte sur la marmite, en revanche, est loin de venir en tête de liste lorsque l'on convoque le souvenir de leur filmographie commune.
Dans ce film dialogué et réalisé par Audiard sorti en 1971, adapté d'un roman de René Fallet, "Il était un petit navire", Gabin y incarne un vieux loup de mer (rouflaquettes incluses) du nom de Victor, épicier et patron tyrannique qui ne cesse de parler à sa famille de son passé de marin, bien que ceux-ci ne l'ont jamais cru. Lorsque son neveu gagne un concours de maquette de bateau et est chargé d'en construire un à échelle réelle, Victor va tenter de s'imposer comme le patron de la petite équipe...

"C'est un film tout à fait charmant" commentait Jean Gabin, invité dans l'émission Monsieur Cinéma animée par Pierre Tchernia, en 1971. Un film au titre tout à fait singulier aussi. Le titre-phrase était une des marques de fabrique d'Audiard.
"Michel prétend qu'il m'a pris cette expression" lâche Gabin dans l'émission; "or elle n'est pas de moi. C'est une très vieille expression. Mais il fut un temps où, après la guerre, ma situation dans le cinéma n'était pas tellement reluisante, disons les choses... Et je disais qu'à cette époque-là, le drapeau noir flottait sur la marmite. Il a donc pris ce titre qu'il m'a attribué, alors que ca ne vient pas du tout de moi".
Petite pépite toujours un peu cachée et longtemps devenue introuvable en DVD, Le drapeau noir flotte sur la marmite a bénéficié d'une belle édition en Blu-ray chez l'éditeur Coin de mire, qui fait toujours un beau travail éditorial autour de son catalogue.