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    Rencontres autour de "Viva Laldjérie"...

    Rencontre avec le réalisateur Nadir Moknèche et ses comédiennes Lubna Azabal et Biyouna autour de "Viva Laldjérie", en salles depuis le 7 avril.

    Après Le Harem de Mme Osmane (1999), le réalisateur algérien Nadir Moknèche dresse avec son second long métrage, Viva Laldjérie, le portrait de trois femmes au bord de la crise de nerfs dans une Algérie qui se relève de quinze ans de terrorisme islamiste. Avec gravité et humour, il lève le voile et brise les tabous (conditions de la femme, adultère, corruption, nudité, homosexualité...) dans un pays meurtri mais qui aspire à la liberté. L'histoire : Goucem, jeune vendeuse (Lubna Azabal) erre entre un amant fuyant et les rues "froides" d'Alger où elle s'abîme dans des raids sexuels sans lendemain. Elle vit dans un meublé avec sa mère, Papicha (Biyouna), une ex-chanteuse de cabaret perdue dans les mirages de son passé. Elles ont comme voisine Fifi (Nadia Kaci), une prostituée "protégée" au grand coeur... Ni putes, ni soumises, trois femmes indépendantes dans Alger... Rencontre avec le réalisateur et ses héroïnes Lubna Azabal, découverte dans Loin de André Techiné, et Biyouna, grande voix algérienne, icône populaire au franc-parler dévastateur.

    AlloCiné : Pourquoi ce titre, "Viva Laldjérie" ?

    Nadir Moknèche : Cela vient de l'un des slogans que scandent les hittistes, ces supporters des stades : "One, two, three, Viva laldjérie !". Les hittistes, provenant du mot arabe 'hit' (mur), sont des chômeurs la plupart du temps analphabètes, que l'on croise souvent adossés contre les murs d'Algérie, portant leur désoeuvrement.

    Quel a été le point de départ de ce film ?

    Nadir Moknèche : Au cours de ma vie, j'ai croisé les personnages de la mère et de la fille. C'est la catégorie de ces gens qui ont gagné de l'argent dans les années 70-80 en Algérie. Ils vivaient dans les nouvelles banlieues, à l'extérieur d'Alger. Mais, avec l'apparition de la guerre civile, ces gens ont quitté leur appartement pour se réfugier dans les centres-villes, généralement dans des pensions. Je trouvais cela triste. Des personnes qui ont perdu énormément et qui sont obligées de se reconstruire. Voilà, le point de départ de l'histoire. J'ai ensuite peaufiné, transformant Papicha, la mère, en ancienne danseuse de cabaret, et sa fille en jeune femme de 27 ans vaguement paumée mais pleine d'optimisme.

    C'est un portrait de trois femmes, une sorte de chassés-croisés dans les rues d'Alger...

    Lubna Azabal : Oui. Après la cavale avec sa mère, c'est le douloureux moment de la survie. Du jour au lendemain, mon personnage, Goucem, se met à travailler chez un photographe pour subvenir aux besoins de sa mère. Cette dernière devient quasiment sa fille. Elle est à la recherche de l'amour, d'une liberté, comme dans un jeu. Elle vit dans une espèce de superficialité, où elle joue avec certaines transgressions. On la voit quelque fois mettre le voile, pour mieux se dévoiler.

    Goucem est en quelque sorte une femme libérée...

    Lubna Azabal : Oui, elle est sans foi ni loi. Elle est tiraillée entre cette envie de tout faire exploser, de mener sa vie sexuelle comme elle l'entend. Quand elle a envie de s'envoyer en l'air, elle s'envoie en l'air. Mais, en même temps, elle a un problème avec cette sexualité. Elle ne l'assume pas jusqu'au bout.

    Nadir Moknèche : Goucem est le fruit de l'Algérie socialo-islamiste. Elle a grandi en réaction aux contraintes, aux principes, oscillant entre désir de normalité et désir de transgression. Elle est tout simplement paumée.

    Elle vit dans des chimères pour faire barrage aussi au machisme et à la lâcheté des hommes...

    Lubna Azabal : Et aussi à l'ennui de la vie. Elle cherche en permanence des issues de secours. Ce n'est pas quelqu'un dans la psychologie, dans la réflexion. Elle n'est que dans l'acte. Elle réagit comme une adolescente de 14 ans.

    "Viva Laldjérie" est aussi le premier film de l'histoire du cinéma algérien à montrer la nudité et évoquer l'homosexualité. C'est pour choquer ?

    Nadir Moknèche : Pas du tout. Je n'ai jamais pensé à ça en écrivant le scénario. C'est vrai que montrer la nudité de Lubna Azabal et de Fifi, la prostituée jouée par Nadia Kaci, c'est une "révolution". Mais, ce sont des femmes déterminées, indépendantes qui vivent comme bon leur semble. Donc, il fallait montrer sans retenue. Je ne voulais pas censurer ni la pensée, ni le corps. Quant à l'homosexualité, c'est un tabou absolu. Et alors ? Je suis un artiste. Si j'ai décidé de montrer ça, cela me regarde. Les Algériens doivent enfin accepter leur sensualité et leurs désirs, qu'ils s'acceptent tout court. Et loin des mensonges.

    Comment s'est passé le tournage à Alger et les rapports avec les autorités ? Cela n'a pas été éprouvant ?

    Nadir Moknèche : Je n'ai eu aucune difficulté de production. J'ai pu avoir tous les lieux que je voulais. On a pu placer la caméra là où je voulais, comme sur la place des Martyrs. Les gens étaient accueillants. J'ai engagé des gens du quartier pour créer une atmosphère naturelle. Ils m'ont dit "C'est bien de montrer la réalité !".

    Biyouna : C'est la première équipe de cinéma à venir après ces années de guerre. Les gens étaient enthousiastes, ravis qu'un film se tourne entre leurs murs, ravis d'être regardés. C'était beau.

    Biyouna, on ne vous connaît pas beaucoup en France. On vous présente comme une Arletty algérienne, une artiste complète...

    Biyouna : Je suis une touche-à-tout. J'ai tout appris à la bonne école, celle des mariages et des cabarets. Je sais faire du tam tam (hilare, elle mime avec ses mains en tapotant sur ma tête, NDLR). J'ai fait aussi des spectacles comme chanteuse et danseuse du ventre dans des cabarets mythiques d'Alger comme le Copacabana, le Koutoubia, le d'Ar El Alia... J'ai écrit aussi tous mes sketchs, car je suis une actrice comique. J'ai même eu un sitcom, Les Bons Voisins, avec ma pomme comme tête d'affiche sur la TV algérienne. Anna Magnani et Irène Papas sont mes actrices fétiches : je me sens proche d'elles, et c'est pour cela que je fais ce métier. Mais aussi pour mon maître, Mahboub Bati, un auteur-compositeur décédé dans le silence : je lui rends hommage dans le film en interprétant Mouaoud Lik. Et mon personnage Papicha dans ce film, c'est moi tout simplement.

    Nadir Moknèche : Je ne manquais aucun sketch de Biyouna à la télé. C'est une star, un personnage populaire, comme il n'en existe plus. Elle fait l'unanimité. Avec sa gouaille, elle impressionne même les Barbus !

    Propos recueillis par Lionel Baillon

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