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    Jacques Perrin : "Le monde sauvage et libre, ce n’est pas un monde redoutable"

    Avec "Les Saisons", les réalisateurs Jacques Perrin et Jacques Cluzaud réinvestissent le règne animal au coeur de tout en se retournant sur 20 000 ans d'histoire. Une histoire sauvage, paisible, mouvementée et dont on pourrait apprendre beaucoup...

    Pathé Distribution

    Jacques Perrin a marqué plusieurs générations de spectateurs et, ce, à plusieurs niveaux. Acteur de légende qu'on a pu apprécier dans des films comme Cinema ParadisoLa 317ème Section ou encore Le Petit Lieutenant, membre à part entière de l'univers féérique de Jacques Demy (Peau d'âne, Les demoiselles de rochefort), Jacques Perrin ne s'est jamais enfermé dans un seul genre et sous une seule casquette. C'est donc très naturellement que cet amoureux des grands espaces s'est tourné vers le documentaire dédié à la nature et aux animaux, d'abord à la production (Microcosmos, 1996) puis à la réalisation (Le Peuple Migrateur 2001, Océans 2009), en compagnie du réalisateur Jacques Cluzaud.

    Amoureux de la nature, Jacques Perrin est aussi un grand passionné d'Histoire. Les Saisons, le nouveau film qu'il réalise avec Jacques Cluzaud, est la plus belle et forte combinaison de ces deux passions. A lui seul, ce film qui s'appréhende plus comme un conte que comme un documentaire, entreprend un véritable voyage dans le temps. Un voyage où le spectateur redécouvre non plus la mer ou les airs mais la grande forêt des territoires européens où les animaux ont évolué des millénaires durant. Un territoire qu'ils ont partagé avec les Hommes avant que ces derniers ne l'empiètent, l'empiètent, l'empiètent de plus en plus jusqu'à la contrôler... Rencontre au plus près des animaux avec un éveilleur de conscience.

    Allociné : Après "Le Peuple migrateur" et "Océans", vous revenez avec "Les Saisons", qui est un projet également très ambitieux mais complètement différent. L'animal est à nouveau au coeur de tout mais, cette fois, c'est aussi un film historique. Comment vous avez eu cette idée, on peut dire un peu folle, de vous attaquer à 20 000 années d’histoire ?

    Jacques Perrin : Dans un premier temps, on voulait s’attaquer à la faune européenne. Parce qu’à chaque fois qu’on parle de nature, on parle de pays lointains où l’exotisme est apparent. Là, il n’y avait pas d’exotisme, on repartait de chez nous. La première chose qui s’est imposée à notre observation, c’est qu’il n’y avait pas grand-chose… Qu’est-ce qu’on allait regarder ? Il y a bien quelques lapins qui courent dans des campagnes qui ont fait raser toutes les forêts. Et là, on s'est dit qu’il y avait peut-être une solution. On [s'est dit qu'on allait] reprendre l’histoire universelle, non pas des hommes, mais une autre histoire universelle qui est celle des animaux…

    Reprenons toute cette histoire..."

    Avant, cette Terre pouvait s’appeler le territoire des autres, le territoire des animaux. Et si on se basait complètement sur les animaux, sans parler de l’Homme ? [Forcément, dans notre film, on voit tout de même] par réaction ce qu'on fait les Hommes, leurs traces. Quand on sait que l'agriculture, ça a été de faire rétrécir les forêts, quand on sait que les routes ont barré, bitumé, pavé tous ces espaces pour en faire des territoires qui deviennent de plus en plus réduits. Les animaux sont donc obligés de traverser des passages qui sont les routes accessibles à l'Homme mais pas aux animaux, ce qui représente un danger [pour eux]. Là, on s'est dit : "Reprenons toute cette histoire".

    Galatée Films

    On l’a reprise en allant aux confins de l’Europe, en Laponie, en Norvège, en Pologne et dans d’autres anciens pays de l’est. On s’est aperçu que ces animaux qui ont été malaimés, on les avait repoussés aux frontières. Nous y sommes donc allés. Quand nous sommes allés dans le Parc National de Bialowieza en Pologne, il y avait des bisons. C'était merveilleux de trouver les bisons, de [les voir faire] des cavalcades étourdissantes dans la forêt.

    Pour trouver les ours, il fallait que nous nous rendions dans une autre partie de l’Europe, [en Roumanie]. Là, on a découvert des ours phénoménaux. Premièrement, des ours qui vivent libres dans la nature ! Dans ce pays, il y en a 6000. 6000 ! Et qui sont libres ! Donc, les gens font attention. [Mais, cela montre] qu'il y a une coexistence qui est possible. Une coexistence avec les bisons, avec les ours, même si lorsqu'ils sont véritablement adultes, mieux vaut se méfier...

    On a beaucoup à apprendre sur la relation tranquille que l'on peut avoir avec les animaux"

    C'est la même chose pour les loups. Nous sommes allés en Italie, en Espagne et dans les anciens pays de l’est... Il y a des loups partout ! Nous avions une meute avec nous, [composée de] huit loups, qui parcouraient la forêt, qui cavalaient dans des espaces qui étaient d'abord fermés par la forêt et puis ouverts. On disait à nos techniciens : "Je vous en supplie, ne faites pas peur aux loups". Le loup, c'est un animal qui aime comme tous les autres et nous étions devenus leurs protecteurs. Ils venaient vers nous et se révélaient comme des chiens. 

    Je sais qu'en France, on ne les aime pas tellement. Il y a même des battues. Récemment, il y a une vingtaine de loups qui ont été abattus et, de quelle façon... Au fusil à lunettes à bord d'un hélicoptère. Tout simplement parce qu’on a peur du loup. Mais, c'est effroyable, il ne faut pas avoir peur. Comment se fait-il que, dans les autres pays limitrophes, ça se passe bien ?

    Galatée Films

    On essaie de sensibiliser les gens pour dire que le monde sauvage et libre, ce n’est pas un monde redoutable, bien au contraire. [Pour dire aussi] qu’on a beaucoup à apprendre sur la relation tranquille que l'on peut avoir avec les animaux. Ce qui existait primitivement. Les animaux n’avaient pas peur de l’homme au tout départ. Puis, les hommes ont commencé à chasser, comme beaucoup d'animaux, et ils ont fait peur.

    Il faudrait réapprendre tout ça et, pour le montrer, [on a voulu] faire comme au Moyen-âge et comme il y a 2000 ans à peu près, et créer des séquences où l'on voit ce que c'est que des animaux sauvages. Des loups qui courent derrière des chevaux, des sangliers qui sont traqués par des loups, des loups que l'on abat au 19ème siècle... Mais, pourvu qu'on les comprenne et qu'on soit dans la même condition que les animaux. Pour le film, on a créé des systèmes où l'on peut traverser la forêt à toute allure. Et vous savez, quand vous allez dans la forêt, il y a un barrage, c'est le mur d'arbres où les animaux arrivent à se faufiler. Et nous, avec les engins que nous avons fabriqués, on devait [pouvoir les suivre partout.]

    Comment ressentir ce que ressent l'animal ?"

    A chaque film, vous inventez effectivement de nouvelles techniques, de nouveaux engins assez extraordinaires pour pouvoir être au plus près des animaux...

    Oui, c’est ça qui est amusant. On est des grands enfants, on s’amuse à des jeux d'instruction et de construction. C'est toujours la même démarche : Comment être à côté de l’animal ? Comment ressentir ce que ressent l’animal ? Comment faire pour être à proximité, à un mètre, à cinquante centimètres un peu plus, sans jamais utiliser le téléobjectif ou le zoom... C'est aussi allier la proximité à la vitesse. Raconter un animal, ce n'est pas montrer une photographie, ce n'est pas aller dans un musée.

    Raconter un animal et voir sa façon de vivre, ça signifie aller à toute vitesse. On a donc mis au point des engins qui foncent sur les arbres mais qui les évitent, qui passent par-dessus et à côté des haies... Que l'on ressente le vertige de la course effrénée de ces animaux. Ca a été long mais on y est arrivé. On y est arrivé, non pas pour la performance, ce n'est pas intéressant pour nous, mais simplement pour être à côté de l'animal. A côté, pour le voir dans son exubérance, dans sa liberté de mouvements et de vie.

    Galatée Films

    Et justement, y a t-il un animal ou un comportement qui vous ait particulièrement marqué au cours du tournage ?

    Comme ça, à brûle-pourpoint, [je dirais] le petit renardeau. C'est un petit animal qui est adorable. Sinon, lorsqu'on voulait faire la course avec les loups derrière les chevaux, on se disait qu'on n'y arriverait jamais. On pensait qu'il allait falloir faire d'un côté les loups, de l'autre les chevaux, parce que sinon les loups allaient bouffer nos acteurs chevaux. Puis, petit à petit on les a rapprochés. Et petit à petit, s'est même installé un jeu entre eux.

    Et quand on a lâché les chevaux puis après les loups, on s'est aperçu qu'ils s'amusaient. Les loups sautaient par-dessus les chevaux comme s'ils allaient les dévorer. C'était un plaisir. Un plaisir parce que chacun était dans des territoires qui lui appartenait. Parce qu'il y avait un plaisir de se comporter ainsi, un plaisir de courir à vive allure.

    Ces courses, qui duraient un kilomètre, il fallait les baliser parce que vous imaginez que si une meute de loups s'était enfuie dans le village voisin, la DSV (Direction des services vétérinaires), le maire, la préfecture... Tout le monde aurait été après nous. Ce n'était pas possible. Quand on arrivait, on délimitait donc et, à la fin de la course, il y avait un côté réservé aux loups et un autre réservé aux chevaux. Chacun se dirigeait naturellement vers son espace. Cela nous donnait la joie de devenir animal parmi les animaux...

    20 000 ans d'histoire animale racontée par Jacques Perrin :

     

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