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    Fleur de Tonnerre : "la plus grande serial killer que la Terre ait porté"

    Rencontre avec la réalisatrice Stéphanie Pillonca et la comédienne Déborah François à l'occasion de la sortie de Fleur de Tonnerre, "une femme complètement à part, la plus grande serial killer que la Terre ait porté".

    Bestimage

    Stéphanie Pillonca

    AlloCiné : Ce film a été une longue aventure. Comment tout a commencé pour vous, et comment avez-vous découvert ce livre ?

    Stéphanie Pillonca, réalisatrice et scénariste : C’est Jean Teulé, pour lequel j’avais adapté Le Magasin des suicides pour le théâtre, qui m’envoie le roman, dédicacé, à la sortie. Je le lis d’une traite et je me dis "ouah !". Je dis à mon mari : "si j’étais réalisatrice de cinéma, je le ferai tout de suite !" Et puis, le temps passe. Je fais mes documentaires. Et mon producteur me dit : "maintenant, ce serait bien que tu t’attelles à autre chose, et peut être que tu penses à de la fiction". Spontanément, j’ai donné le nom de Fleur de tonnerre. On est partis à la librairie, il a acheté un exemplaire du roman.

    Il y avait d’autres réalisateurs qui étaient sur les rangs, qui avaient demandé à l’adapter. J’ai réussi à convaincre Jean de me le confier pour mon premier film. Je trouve que ça a été très long, mais finalement, deux ans et demi à partir du moment d’écriture de l’adaptation, jusqu’au premier jour de tournage, on était dans un timing raisonnable. Mais c’est vrai que c’est compliqué. Parce que ce n’est pas quelque chose dans le marché en ce moment qui est attractif.

    Un film historique, c’est toujours compliqué.

    Un film historique, c’est toujours compliqué. Un film historique, que sur une femme, c’est compliqué. Que sur une femme qui tue. Ce sont pas mal de facteurs qui font que ce n’est pas le genre de films sur lequel tu vas spontanément parce que tu dis "oh, ça va plaire à la famille…" C’était difficile, c’est dur de faire un premier film, oui.

    Vous disiez que l’idée de faire de la fiction était venue du producteur, mais était-ce quelque chose auquel vous pensiez ?

    Non, jamais. Je n’y pensais pas du tout. J’ai eu beaucoup de vies avant. Je n’y pensais pas car je trouvais ça prétentieux. J’ai fait des courts métrages, des docs de création pour Arte qui ont une approche cinématographique, mais je n’y croyais pas du tout. Pour moi, c’était un autre monde. Ca m’a été proposé, donc voilà, c’est différent. 

    Estelle Chaigne - JPG Films - Nexus Factory - Umédia

    Dès la lecture du livre, vous avez pensé que ça ferait un super film. Qu’est ce qui a retenu votre attention ?

    C’est la vie de cette femme, son parcours, sa singularité… C’est une femme complètement à part, la plus grande serial killer que la Terre ait porté : plus de quarante meurtres reconnus ! Comment peut-on tomber si bas, se laisser absorber, tomber dans de telles abimes ? Que s’est-il passé dans sa toute petite enfance? Quel est l’environnement ? Est-ce qu’elle a été conditionnée ? Pourquoi la société n’a pas été capable de lui donner la main, de l’extirper de cette folie ? La femme m’a émue. Sa solitude, sa douleur…

    La femme m’a émue. Sa solitude, sa douleur…

    J’ai eu envie de montrer le parcours de cette femme. De manière générale, j’ai envie de filmer les femmes différentes, de leur donner une tribune. Les femmes me touchent le plus haut point, dans toute leur richesse, dans tous leurs combats, dans toutes leurs difficultés. J’avais envie de raconter son histoire parce que c’était une femme pas comme les autres. Et puis cinématographiquement parlant, c’est vrai que l’empoisonneuse, c’est un trésor. Il y a le fantasme, la sensualité, le mystère…. C’est auréolé de quelque chose de fantastique.

    Avez-vous pris beaucoup de liberté avec le roman ?

    Je me suis beaucoup écartée du roman, au même titre que Jean [Teulé] qui s’est inspiré du fait historique pour faire son roman, s’était écarté du fait réel. Je me suis donc écartée des deux, parce que j’ai imaginé cette femme. Je l’ai fantasmée. J’ai voulu essayer de comprendre, avec, peut être, ma sensibilité, toutes les recherches que j’ai faite sur elle, en marchant dans ses pas pendant 2 ans en Bretagne, en retrouvant le village de son enfance, en lisant les recueils, les essais d’historiens bretons... J’ai voulu la retrouver.  Je l’ai imaginée. 

    Estelle Chaigne - JPG Films - Nexus Factory - Umédia

    C’est Déborah François qui incarne ce personnage. Qu’est-ce qui vous a plu chez elle ?

    Ce qui est fou, c’est que forcément quand vous faites un premier film, vous pensez à des tas d’actrices. Des actrices viennent sur votre chemin… Après, il y a les rencontres et les personnes qui s’imposent. Je crois beaucoup en la providence, beaucoup aux gens qui viennent sur votre chemin, ce n’est pas pour rien. Déborah avait cette volonté. Déborah a dit : "ce rôle-là, il est pour moi, je ne laisserai personne ne me le prendre". Quand vous sentez pour un premier film, difficile à monter, une telle volonté d’amour, c’est un cadeau !

    Déborah François a été exemplaire, dans le don, la générosité…

    Elle a été exemplaire, dans le don, la générosité… Je connaissais sa filmographie. C’est un Stradivarius. C’est un cadeau de pouvoir la diriger. J’admire l’actrice qu’elle est, mais la femme qu’elle est m’émeut. C’est vrai que je serai éternellement reconnaissante parce qu’elle a tout donné. On s’attache beaucoup. En fait, j’ai découvert quelque chose que je ne connaissais pas, pourtant j’ai été assez souvent sur les plateaux, j’ai été un petit peu comédienne. C’est l’amour ! La vulnérabilité du comédien sur le plateau, sa fragilité, sa mise en danger… C’est quelque chose qui m’a ému, de voir le comédien donner autant.

    J’ai aimé cette fusion, cette relation absolue et unique. C’est beau. Franchement, ça m’a grisée. Rien d’organique, de physique, bien entendu. C’est le cœur à cœur, c’est sublime. Rien que pour ça, j’y retourne. Rien que pour ça, je me battrai pour faire d’autres films, pour cette qualité de relation que vous pouvez avoir soudainement avec quelqu’un. 

    Estelle Chaigne - JPG Films - Nexus Factory - Umédia

    Déborah François

    Comment qualifieriez-vous ce tournage qui a sans doute été intense ?

    Déborah François, actrice : En tant qu’être humain, c’était éprouvant. Heureusement que j’avais Stéphanie et qu’on était justement -et on est d’ailleurs toujours- très proches, et assez fusionnelles. Elle était là, elle a été ma famille, elle a été d’un énorme soutien pour moi. Parce que oui, c’était difficile de jouer cette femme. D’abord d’accepter l’idée, parce que, voilà, on joue une criminelle, quelqu’un qui a tué des enfants, des femmes, des hommes…

    C’était difficile parfois d’aller chercher la noirceur et les failles.

    C’était difficile parfois d’aller chercher la noirceur et les failles. Il fallait trouver les failles de son propre passé, de sa propre enfance, et les exploiter. C’est très introspectif. Je ne l’ai pas vécu bien tous les jours, on va dire ça comme ça (rires). De faire des scènes dans lesquelles on a des crises, on se met dans des états très particuliers. Nerveusement, à la fin de la journée, on sent que… (elle souffle) quelque chose est parti. Mais c’est ça qui est bien dans le métier d’acteur aussi, c’est que ça lave ; ce qui est parti est parti !

    Comment vous êtes vous préparée ?

    J’ai beaucoup lu sur les empoisonneuses, sur Hélène Jégado en particulier. C’est une empoisonneuse particulière par le fait que la grande majorité des empoisonneuses le font soit par appât du gain, soit pour se débarrasser d’un mari gênant, d’un père gênant, de quelqu’un qui est proche d’elles… Les femmes tuent de façon personnelle. Hélène Jégado tue de façon personnelle, mais ne tue pas des gens qu’elle connaît personnellement depuis longtemps. Ce n’est pas parce qu’elle a un grief contre ces personnes. C’est elle avec elle-même. C’est interne. C’est vraiment une folie qui lui est propre.

    C’est vraiment une folie qui lui est propre.

    J’ai rencontré plusieurs psychologues, notamment des gens qui travaillent avec des gens violents, qui ont commis des crimes. J’avais besoin de parler avec ces gens pour pouvoir mettre le doigt sur le syndrome clinique, pour pouvoir être cohérente avec ça, ne pas faire de faux pas vis-à-vis de ça. C’était presque pour moi comme si j’avais appris le piano. Ca se voit si quelqu’un ne sait pas jouer du piano. C’est quelque chose de sérieux. Là, c’était un peu pareil. Il y a une logique de l’illogisme en fait ! Il y avait une certaine cohérence à avoir même dans la folie.

    Après, c’était plus de l’introspection, chercher en moi, chercher sur chaque scène ce qu’il pouvait se passer. Elle a des états qui pourraient se ressembler mais elle ne les a pas du tout pour les mêmes raisons. Il fallait pouvoir marquer une différence. Il fallait vraiment nourrir le personnage.

    J’ai fait des cours de cuisine aussi, avec Jean Imbert ! Il a eu la gentillesse de nous accueillir dans les cuisines de son restaurant pour me donner quelques trucs. Car au-delà de tuer, elle aime aussi beaucoup cuisiner. C’est un vrai truc important pour elle, c’est une cuisinière itinérante. Elle aime faire à manger. Ce qui est drôle, c’est que d’habitude on nourrit les gens pour qu’ils puissent continuer à vivre, et elle les nourrit aussi pour qu’ils puissent mourir.

    La bande-annonce de Fleur de Tonnerre 

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