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    Gérardmer 2018 : rencontre avec Nicolas Boukhrief

    Entre deux séances de la compétition au festival de Gérardmer, nous avons rencontré le réalisateur Nicolas Boukhrief, membre du jury composé par Mathieu Kassovitz. L'occasion de discuter un peu de ses premières amours : le cinéma de genre.

    PATRICK BERNARD / BESTIMAGE

    AlloCiné : En tant que membre du jury long métrages, quel regard portez-vous sur les films ? Est-ce le journaliste en vous qui se réveille, est-ce le réalisateur ?

    Nicolas Boukhrief : Alors, journaliste, je ne le suis plus depuis plus de vingt-cinq ans, donc pour qu'il se réveille il faudrait vraiment aller le chercher très loin, et le réalisateur ne se réveille que quand je m'ennuie. Quand un film ne m'attrape pas, je le vois se décomposer. Sinon, je suis comme tout le monde devant un film, s'il m'émeut, s'il me surprend, s'il me choque, je prends le train en marche et je me laisse emporter. 

    Vous avez un attachement particulier au cinéma de genre, ce sont un peu vos premières amours, comment l'expliquez-vous ?

    J'ai un attachement particulier au cinéma fantastique même, c'est pour ça que j'ai accepté de faire partie de ce jury. Habituellement, je refuse d'être jury dans les festivals car j'ai du mal à comparer un mélodrame japonais et un film d'action américain et un film poétique italien, c'est trop vaste, trop difficile de déterminer les raisons pour lesquelles tel ou tel film doit avoir un film. Là, on vient voir des films qui appartiennent tous à la même famille, en quelque sorte, et comme c'est un genre que j'adore, je me sens à peu près autorisé à décider lequel je préfère. 

    Cet attachement, je l'explique par le fait que c'est un cinéma qui fait partie de mon ADN de jeune cinéphile. Dans les années 1970, les plus grands cinéastes ont commencé par ce genre. Spielberg c'était Duel, De Palma c'était Carrie, on voyait quand même beaucoup de chefs-d'oeuvre. Fellini faisait du fantasitique, Huit et demi, c'est du fantastique, incontestablement, Buñuel, Kubrick faisait 2001 : L'Odyssée de l'espace, Shining... Il y avait beaucoup de fantastique qui passait pas là, et comme c'est un genre qui a toujours la capacité à vous surprendre, à vous étonner, à être incroyablement poétique ou incroyablement fort ou choquant, c'est un genre qui vous permet toujours de repousser les limites. 

    "Cet attachement au genre, je l'explique par le fait que c'est un cinéma qui fait partie de mon ADN de jeune cinéphile."

    Quels sont vos maîtres ? 

    C'est une question très large... Cela va de Nosferatu de Murnau, à The Witch, qui est sorti l'année dernière ou Interstellar de Christopher Nolan. Il y en a trop, il y a les Italiens, Mario Bava, Dario Argento, les Anglais, Terence Fisher...

    S'il fallait retenir un film ? 

    Franchement, je ne pourrais pas. Je pourrais vous dire très en vrac, parce que ce sont les premiers qui me viennent à l'esprit, Prince des Ténèbres de Carpenter, Rosemary's Baby de Polanski... Il y en a tellement, c'est comme si on me demandait de choisir un livre. Pour les gens qui n'aiment pas le fantastique, c'est un tout petit genre, qui produit très peu de chefs-d'oeuvre, un truc mineur, mais pour les gens qui aiment ça, c'est un continent ! 

    La question suivante sera peut-être un peu plus simple... Quel est votre premier souvenir de film d'horreur ?

    C'est Fantasia, quand j'avais cinq ans et qu'arrive Le Sacre du Printemps sur la musique de Stravinsky, avec le tyrannosaure qui arrive et qui se met à déchiqueter un pauvre diplodocus, ça m'a totalement terrorisé, à tel point que ma mère a dû me faire quitter la salle. C'est la première fois que j'ai découvert que le cinéma pouvait faire très peur. 

    C'est compliqué de faire du cinéma de genre en France, est-ce que les choses bougent ? 

    Non, il y a un vrai problème, c'est qu'il y a une défiance vis à vis du cinéma de genre français, alors que n'importe quelle production de Jason Blum peut faire 300 000 entrées. Même un film comme Grave, qui a eu une presse dithyrambique, a fait trois fois moins que n'importe film de Jason Blum, genre Insidious 18. Et c'est pareil pour les polars. Il y a vraiment une défiance, car à force de ne pas en faire ou de les faire à petit budget, ça a créé la déception dans le public et il va falloir du temps pour que ça change. 

    "Le torture porn est pour moi un genre quasi fasciste,profondément décadent."

    Vous avez dit dans une interview que vous avez donnée à notre micro que "le cinéma français n'est pas très politique". Quid du cinéma de genre français ? 

    Que dire ? Le polar français est-il politique ? Il peut être sociologique, mais politique, pas vraiment. Le film d'horreur français ? De mon point de vue, Grave, par exemple, est un film sociologique, pas politique. C'est un film qui aborde la question du véganisme, mais à ma connaissance, ce n'est pas un film politique, je n'ai pas même l'impression que ce soit un film contre la souffrance animale, ce qui serait véritablement politique. On parle de Revenge, qui est en compétition ici, qui serait un film très féministe, alors je demande à voir, mais sinon, non. Les films ont du mal à se faire, donc quand ils se font, ils faut qu'ils satisfasse les attentes des chaînes. A l'inverse, les films de genre peuvent être, à l'inverse, complètement réac'. Par exemple le torture porn est pour moi un genre quasi fasciste, dans sa démarche propre. Il n'est pas fait pas des fascistes, mais la notion de torture porn en soi, c'est profondément décadent. D'un point de vue politique, c'est un sale genre, que j'exècre. 

    Avez-vous l'envie de revenir dans un futur proche au cinéma de genre ?

    Oui, j'ai du mal à parler de mes projets car je suis un peu superstitieux, mais oui. En revanche, je ne raisonne pas du tout en fonction du genre, lorsque je fais un film, mais en fonction de l'histoire. D'ailleurs, tout est genre ! Certaines histoires nécessitent des flingues, j'aime bien ça, mais si ce n'est pas le cas, ce n'est pas un problème. Je peux en parler car il en a déjà parlé, Pierre Lemaître m'a contacté il y a un an pour me donner à lire le roman qu'il a fait après Au revoir là-haut, qui s'appelle Trois jours et une vie en me disant qu'il aimerait que ce soit moi qui adapte cette histoire. C'est un livre que j'ai trouvé très beau. C'est très Simenon, en quelque sorte. C'est en train de se mettre en place !

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