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    Dietland sur Amazon Prime : pourquoi faut-il (re)découvrir cette série satirique avec Julianna Margulies ?
    Julia Fernandez
    Julia Fernandez
    -Journaliste Séries TV
    Elevée à « La Trilogie du samedi », accro aux séries HBO, aux sitcoms et aux dramas britanniques, elle suit avec curiosité et enthousiasme l’évolution des séries françaises. Peu importe le genre et le format, tant que les fictions sortent des sentiers battus et aident la société à se raconter.

    Trop sombre ? Trop radicale ? La série férocement féministe de Marti Noxon ("Sharp Objects") diffusée en 2018 sur AMC n'aura eu droit qu'à une saison. Centrée sur une héroïne obèse en quête d'acceptation, elle apparaît plus d'actualité que jamais.

    Erik Madigan Heck/AMC

    Diffusée en 2018 sur AMC, Dietland est créée par Marti Noxon, showrunneuse de la remarquée mini-série Sharp Objects avec Amy Adams, adaptée du livre éponyme de Gillian Flynn. Auparavant, Marti Noxon a fait ses armes en écrivant plusieurs épisodes de Buffy contre les vampires au début des années 2000 sous la houlette de Joss Whedon, avant de contribuer à de nombreuses séries comme Mad Men, Brothers & SistersGrey's Anatomy ou encore unREAL.

    Dans Dietland, nous suivons le parcours d'Alicia Kettle, surnommée Plum ("prune") à cause de son obésité. Rédactrice fantôme pour le courrier des lectrices d'une des plus puissantes éditrices de mode de New York, elle ne supporte plus le regard des autres et les régimes inefficaces. Décidée à subir une intervention chirurgicale risquée pour obtenir le corps de ses rêves et être enfin heureuse (croit-elle), elle va alors croiser la route d'une mystérieuse organisation féministe terroriste, qui fait disparaître des hommes accusés de violences sexuelles... et jette leurs corps du haut des gratte-ciels. 

    Dans le rôle de Plum, la talentueuse Joy Nash trouve enfin un rôle à sa mesure, après plusieurs apparitions notables dans The Mindy Project et Twin Peaks : The Return. Face à elle, la redoutable Kitty Montgomerry est incarnée par une Julianna Margulies aussi cruelle que caustique, qui ferait presque passer Meryl Streep dans Le Diable s'habille en Prada pour une enfant de choeur. Bien plus qu'un récit initiatique sur une héroïne qui ne répond pas aux standards de beauté, Dietland prend des allures de manifeste politique lorsqu'elle s'attaque au patriarcat.

    Une série à charge contre les diktats de la beauté

    "Les femmes ont du mal à accéder aux sphères de pouvoir parce qu’elles ont intégré cette haine de soi. Quand j’écris, et que le public s’identifie à mes personnages, c’est la preuve qu’en tant que femmes, on compte" déclarait Marti Noxon lors d'une masterclass au festival Séries Mania en 2018. Dans Dietland, Plum, mal dans sa peau, voudrait être invisible, mais elle doit encaisser quotidiennement insultes et brimades sur son poids, quand elle ne fait pas l'objet de fétiches sexuels tordus ou de conseils paternalistes de ses amis inquiets pour sa santé. Elle incarne cependant une voix, à l'écoute des jeunes ados complexées qui lisent le magazine de mode tenu par Kitty Montgomerry, en servant à cette dernière de gratte-papier. Un paradoxe qui illustre à lui seul toute la cruauté du système patriarcal : vendre un idéal de beauté inatteignable pour les jeunes filles à coups d'articles de mode, et ainsi alimenter tout un système de complexes les incitant à multiplier les régimes et les achats de cosmétiques. 

    Une fois que tu as vu la Matrice, tu ne peux plus reculer

    Au fil des épisodes, Plum est amenée à comprendre que les régimes sont une vaste supercherie vouée à contrôler le corps des femmes. Le générique animée de la série, dans lequel nous voyons notre héroïne gravir péniblement une montagne de malbouffe afin d'atteindre le Die(t)land avant de mourir de faim à son sommet, le corps squelettique et décharné, est particulièrement glaçant. Or plus elle maigrit, plus les hommes se retournent et la suivent à la trace. A quel prix ?

    Complexes, troubles alimentaires, scarifications, dépression, dénigrement de soi, dismorphophobie... La liste des séquelles physiques et psychologiques pour les femmes qui tentent de rentrer dans le moule est interminable. Mais la série de Marti Noxon ne se contente pas de faire le constat du coût du patriarcat et ses conséquences tragiques sur les femmes : elle prend le parti radical de répliquer par la violence. Car comme le dit l'un des personnages féminins à Plum, une fois les oeillères du patriarcat enlevées, le quotidien nous paraît soudain insupportable.

    Quand les féministes contre-attaquent

    Dietland incarne une véritable bouffée d'air frais en mettant en avant une galerie de femmes "réelles", à mille lieues des actrices américaines encore trop souvent sveltes et hypersexualisées. Au-delà de son héroïne grosse, de nombreux rôles secondaires reflètent toute la diversité des femmes, par leurs origines ethniques, leur âge (beaucoup de rôles secondaires sont tenus par des actrices de cinquante ans et plus) ou encore leur handicap (le personnage de Sana notamment, victime d'une attaque à l'acide qui l'a laissée avec une partie du visage mutilé.) Une représentativité encore trop rare à l'écran - mais la série ne s'arrête pas là dans sa réflexion sur le corps féminin et son idéal impossible, la glamourisation de la violence ou encore la culture du viol omniprésente (notamment dans la pornographie). Elle propose une réponse radicale : celle de la violence et de la loi du Talion à travers le groupe féministe radical intitulé "Jennifer".

    Are you a good witch or bad witch ?

    Lorsque les membres de Jennifer enlèvent des hommes reconnus comme agresseurs pour les séquestrer, elles portent un costume de sorcière menaçant, cheveux blancs en pagaille et visage tortueux. Lorsque Leeta (Erin Darke), une mystérieuse jeune femme qui tente de venir en aide à Plum, lui demande si elle est "une bonne ou une mauvaise sorcière", la série renvoie à l'usage de la sorcière comme une figure de prise de pouvoir féministe et d'émancipation, et tisse une réflexion sur les moyens d'action radicaux dans le militantisme pour faire évoluer les mentalités.

    Si la série se termine en demi-teinte, en noyant quelque peu la force de son propos dans des intrigues secondaires alambiquées et oublie certains personnages secondaires en cours de route, elle termine sur une note ouverte douce-amère pour Plum et sa nemesis Kitty, qui se révèle plus nuancée qu'elle n'y paraît. Mais en dépit d'un joli succès critique, Dietland n'aura bénéficié que d'une seule saison, plombée par des audiences décevantes en fin de parcours et par les représentants d'AMC sans doute refroidis par la perspective du salaire mirobolant de Julianna Margulies si la série devait rempiler pour une saison 2.

    Lors de sa conférence au festival Séries Mania, Marti Noxon admettait que si la série était arrivée au bon moment pour se vendre auprès d'un diffuseur, le timing était en revanche moins évident pour le public, déjà lassé par les récits épinglant la misogynie et le patriarcat issus de l'actualité post-#MeToo. Une décision regrettable au vu de toutes les promesses de la série, qui aurait grandement bénéficié d'épisodes supplémentaires - et à minima, d'une véritable conclusion - pour exploiter pleinement la force de son propos. 

    Dietland, disponible sur Amazon Prime :

     

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