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    De Titane à L'Événement, retour sur une année exceptionnelle pour les réalisatrices françaises

    Alors que L'Evenement, Lion d'or, sort dans les salles ce mercredi, et Titane, Palme d'or, arrive en DVD/Blu-ray, retour sur une année exceptionnelle pour le cinéma français et ses réalisatrices. Recueil de témoignages sur cette année qui va marquer.

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    C'est une photo devenue virale en quelques instants. Sur ce cliché, on voit réunies Audrey Diwan, réalisatrice de L'Evénement et Lion d'Or 2021, Chloé Zhao, réalisatrice de Nomadland (et actuellement en salles, des Eternels), Oscar du meilleur film 2021, et Jane Campion, réalisatrice de la toute première Palme d'or remise à une femme, en 1993, pour La Leçon de piano.

    Lion d'or, Oscar, Palme d'or... En 2021, ces trois récompenses les plus prestigieuses dans le monde du cinéma ont toutes été remises à des réalisatrices (en l'occurrence, Julia Ducournau pour la Palme d'or, avec Titane), soit deux françaises sur trois récompensées.

    Ce "Grand Chelem" ne s'était encore jamais produit dans l'Histoire. Comment expliquer cet alignement des étoiles ? Simple coincidence ou faut-il y voir un phénomène particulier ?

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    Alors que L'Evenement d'Audrey Diwan arrive sur grand écran ce 24 novembre, et Titane de Julia Ducournau vient de sortir en DVD / Blu-ray, nous avons tenté d'en savoir sur les coulisses de cette année particulière. Nous avons recueilli divers témoignages à l'occasion du Festival du film international de Saint Jean de Luz qui se tenait le mois dernier.

    "Ce sont avant tout des bons films. C’est surtout ça qui compte", lance Thierry Klifa, réalisateur, ancien critique cinéma et président du jury du FIF St Jean de Luz, qui a distingué L'Evénement cette année. "Evidemment, il y a une charge symbolique que la Palme d’or et le Lion d’or soient attribués à des réalisatrices."

    Après son Lion d'or, L'Evénement primé au Festival de Saint Jean de Luz

    "Pour moi, le problème n’était pas nécessairement que les femmes soient sélectionnées ou pas dans les festivals, poursuit Thierry Klifa. C’était surtout, à la base, qu’on leur donne la possibilité de faire des films déjà, et qui ont toujours été d’une grande qualité. C’est vrai qu’il y a de plus en plus de réalisatrices, de réalisatrices à qui l’on donne les moyens de faire les films qu’elles ont envie de faire".

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    Et d'ajouter : "C’est formidable qu’Ava Cahen soit directrice de la Semaine de la critique (section parallèle du Festival de Cannes), Irène Jacob Présidente de l'Instut Lumière… Tout ça sera formidable quand ce ne seront plus des symboles, que ça sera juste normal. Meme si ça met du temps, je pense qu’il y a quelque chose qui rentre dans les mentalités."

    Tout ça sera formidable quand ce ne seront plus des symboles, que ça sera juste normal.

    "Cela donne de l’espoir, résume Marion Desseigne-Ravel, cinéaste venue présenter Les Meilleures, son premier long métrage à Saint Jean de Luz (sortie au printemps 2022). Je pense que c’est une bonne chose surtout pour les générations d’après. Moi, ça y est, j’en fais du cinéma. Le travail de m’autoriser à en faire est fait. Je viens d’une petite ville de province, je ne suis pas dans le milieu, je suis une femme, je vais quand même essayer d’y aller."

    "Mais j’espère que des ados qui ont aujourd’hui 17-18 ans, quand ils voient Julia Ducournau et d’autres avoir des prix se disent que c’est possible. On vit une période assez excitante aujourd’hui sur la question de la représentation. C’est beaucoup plus divers que quand j’avais 18 ans."

    A 22 ans, Anamaria Vartolomei, jeune comédienne dont on va beaucoup parler ces prochains jours (et très certainement au moment des César) incarne justement elle-aussi cette nouvelle génération. Elle tient le rôle principal de L'Evenement, Lion d'or 2021.

    Les femmes se réapproprient la place qui leur a été refusée.

    "J’entends « on donne enfin aux femmes leur place, enfin de la lumière ». Mais ce n’est pas vraiment ça. Les femmes se réapproprient la place qui leur a été refusée. Ce n’est pas quelqu’un qui leur autorise quoi que ce soit. C’est elles-mêmes qui s’en emparent."

    Comment a-t-elle réagi au Lion d'or pour L'Evénement, et au fait, plus largement, de prendre part à cette année particulière ? "Je ne peux qu'en être fière et de me dire « je suis une jeune femme, j’ai besoin de ces modèles en tant que jeune actrice ». De voir autant de femmes exposer leur regard, leur point de vue, être célébrées, être écoutées et être vues, c’est déjà énorme, et il faut que ça continue. Un film sur l’avortement comme celui-là, il n’y en a pratiquement pas, et je pense que c’est très important que ça soit en plus du point de vue féminin, que ça soit une femme qui pose son regard."

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    Pour Audrey Diwan, réalisatrice de L'Evenement, sur les écrans ce 24 novembre prochain, "il y a un mouvement qui s'opère". Avant de préciser : "ce mouvement s'opère à la base. Si plus de femmes sont récompensées, c'est parce que plus de femmes font des films. Je pense que c'est bêtement mathématique."

    L'Evénement
    L'Evénement
    Sortie : 24 novembre 2021 | 1h 40min
    De Audrey Diwan
    Avec Anamaria Vartolomei, Kacey Mottet Klein, Luàna Bajrami
    Presse
    4,1
    Spectateurs
    3,9
    louer ou acheter

    Comment voit-elle cet élan ? "C'est un acte de confiance de l'industrie à l'origine des projets. Pour L'Evenement, nous avons bataillé. Le film était dur à faire. Ça a été dur de convaincre, mais c'est dur de convaincre parce que le sujet n'est pas facile. Ma mise à la mise en scène, mes désirs étaient assez radicaux. Mais on y est parvenu, avec le concours d’Edouard Weil et Alice Girard, mes producteurs, qui ont tenu bon."

    "C'est un acte de confiance qui nous permet, à l'autre bout du spectre, d'être récompensées. Je pense qu'il faut vraiment scruter ce qu'il se passe à l'origine. On m'a aussi permis de de choisir Anamaria Vartolomei, et parce que j'ai une confiance infinie en son talent et son intelligence, de porter à l’écran un visage nouveau."

    On nous laisse un peu plus les coudées franches, et pour moi, c'est ce mouvement qui doit s'intensifier.

    "Nous avons un peu conjugué les problématiques de ce que l'industrie peut considérer comme des difficultés. Il n'empêche qu'on nous laisse un peu plus les coudées franches, et que pour moi, c'est ce mouvement qui doit s'intensifier. Et si c'est le cas, il faut s'attendre à voir plus de femmes encore être récompensées. C'est simple. C’est ce qui fait que beaucoup d'hommes ont reçu des prix jusque-là, c'est qu'ils étaient nombreux à faire des films", conclut-elle.

    "Par rapport au nombre de réalisatrices, d’autrices talentueuses qu’il y a, finalement il n’y en a pas assez qui sont primées", considère Nadège Beausson-Diagne, comédienne, prochainement au casting de Chère Léa, et membre du jury du FIF Saint Jean de Luz 2021. "Comme c’est une exception que cela existe, on a l’impression que ça pourrait être une forme de phénomène. Enfin, il y a une ouverture ! Mais je trouve qu’il n’y en a pas assez."

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    "Je me dis que ça bouge, mais ça ne bouge pas encore assez, poursuit-elle. C'est parce qu’on en parle, et c’est normal qu’on en parle. Ça devrait être banalisé en fait. Je me dis plus : « on y va, il y a encore du boulot ». Il faut encore dépoussiérer un cinéma hétéro patriarcal. (...) Par rapport aux prix, je sais qu’il y a des gens qui disent qu’il faut faire attention, qu'il ne faut pas trop en remettre ! C’est comme si on devait s’excuser d’être là ! Eh bien non ! Ce n’est que le début d’une manière de penser autrement. Egalement parce que certains hommes s’emparent de ces questions, et qu’ils se remettent en question."

    Outre Cannes, Venise et les Oscars, le Festival de San Sebastian qui s'est tenu en septembre dernier a mis au premier plan des réalisatrices européennes

    "On dit toujours en ce qui concerne la culture que tout est politique. En ce qui concerne une sélection de festival, tout est politique,  analyse Patrick Fabre, délégue artistique du FIF de Saint Jean de Luz. Il suffit d’avoir cette volonté politique pour que les choses changent."

    "Plus on montrera qu’elles ont du talent, qu’il y a des propositions de cinéma, qu’il y a des propositions de récit qui sont différentes, plus elles pourront s’exprimer, et plus il y aura non seulement de premiers films, mais des deuxièmes et des troisièmes… Parce que le problème se pose là aussi : la longévité et la régularité des carrières".

    Se pose aussi la question de la longévité des carrières.

    "Le fait qu’on présente le 6ème film d’Audrey Estrougo, Suprêmes, qui a fait tous ces films en l’espace de 13 ou 14 ans, c’est une carrière exceptionnelle de longévité et de régularité pour une femme. Alors que Dieu sait qu’elle s’est battue pour faire ses films. Mais des Catherine Corsini, des Tonie Marshall, il n’y en a pas beaucoup."

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    "Je ne sais pas si le cinéma c’est comme le tennis. L’année où vous avez un Yannick Noah, garçon de ma génération, qui gagne à Roland-Garros. Le lendemain, vous avez un enfant sur deux en France qui veut faire du tennis ! Je ne sais pas si le fait qu’une femme remporte la Palme d’or ou le Lion d’or fasse que demain toutes les petites filles de France veuillent être réalisatrice. Mais je pense quand même que ça peut encourager, et en tout cas, c’est un vrai signal, c’est impossible d’y échapper."

    "Tous ceux qui voulaient faire l’autruche par rapport à ça ne peuvent pas. Je pense que ça va ouvrir un peu. Après, il faut que ça dure. C’est ça le problème. Il ne faut pas que ça soit juste une mode, que sur trois ans, toutes les filles qui veulent faire des films féministes façon L’Evenement… Je pense qu’on va commencer à entendre des producteurs qui vont dire : dis donc, j’ai l’idée d’une fille qui couche avec une moto ou qui s’envoie en l’air avec un hélicoptère ! Ca, il va y en avoir des tentatives… Mais de toute façon, ça aura du bon. Il faut juste voir si ça va durer et ce que ça va donner. En tout cas, là, ça fait sacrément parler", conclut Patrick Fabre.

    Recevoir la Palme d'or à 37 ans c'est... Le seul truc que je puisse faire maintenant, c'est d'avancer comme si de rien n'était.

    Comment Julia Ducournau voit-elle l'après Palme d'or ? "Recevoir la Palme d'or à 37 ans c'est... comment dire ? Soderbergh, qui l'a reçue à 25 ans pour son premier film, a dit un truc génial en recevant son prix : "Eh bien maintenant, je ne peux que faire moins bien !" Cette sensation-là m'a traversée, c'est sûr, et elle me retraversera encore. Et je peux vous dire qu'elle est terrifiante. Donc le seul truc que je puisse faire maintenant, c'est d'avancer comme si de rien n'était. Si je conscientise trop ces éléments, je ne pourrai faire que moins bien, comme dirait Soderbergh", a-t-elle confié à nos confrères Première cet été.

    Titane Palme d'Or à Cannes 2021 : "Merci au Jury de laisser entrer les monstres"

    Audrey Diwan, nous a partagé ce que lui a confié Chloé Zhao, comme un conseil pour l'après Lion d'or. "Ce qui est intéressant, c'est qu'on parlait seulement de cinéma [lors de la rencontre immortalisée en photo, cf début de l'article), et pas de la place des femmes au cinéma. D'ailleurs, Chloé Zhao, à ce titre, m'a tout de suite attrapé en me disant :  « Quand on te dira que le jury a choisi une femme répond leur de notre part à tous qu'on a choisi un film ». Donc c'était intéressant, passionnant, à l'endroit de la discussion sur le cinéma en général, sur la manière de créer, sur ce qu'on cherchait chacune. Et ce que les gens retiennent beaucoup de cette photo, c’est qu’on est trois femmes !"

    Et d'ajouter : "Il y a un peu comme une antithèse entre ce qu'on a vécu et ce que les gens ressentent. Après, je suis toujours heureuse de faire partie et d'assister à l'événement et au couronnement de réalisatrices", souligne-t-elle.

    "Ce qui sera formidable, c’est quand on n’en parlera plus ! Quand on parlera des films sans distrinction, ça veut dire qu’on aura atteint l’objectif qu’on se doit d’atteindre", conclut Thierry Klifa.

    La bande-annonce de L'Evenement d'Audrey Diwan, en salles mercredi 24 novembre:

    Tous les propos ont recueillis au Festival du Film International de Saint Jean de Luz, en octobre 2021, par Brigitte Baronnet (à l'exception des propos de Julia Ducournau, par nos confrères de Première)

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