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    Onoda : un film de guerre ambitieux en 5 photos, commentées par le réalisateur Arthur Harari
    Maximilien Pierrette
    Journaliste cinéma - Tombé dans le cinéma quand il était petit, et devenu accro aux séries, fait ses propres cascades et navigue entre époques et genres, de la SF à la comédie (musicale ou non) en passant par le fantastique et l’animation. Il décortique aussi l’actu geek et héroïque dans FanZone.

    Cinq ans après "Diamant noir", Arthur Harari dévoile son second long métrage : un film de guerre ambitieux tourné en langue japonaise. Il revient avec nous sur ce projet épique et commente cinq photos de "Onoda", en salles le 21 juillet.

    Le Pacte

    Changement de cap radical pour Arthur Harari ! Après Diamant noir, drame policier francophone, le metteur en scène signe un film de guerre qui se déroule sur une île des Philippines. Et en langue japonaise. Un projet ambitieux et un second long métrage ample et maîtrisé, présenté en ouverture de la section Un Certain Regard au 74è Festival de Cannes.

    Adapté d'une histoire vraie, Onoda revient sur le destin incroyable d'un soldat japonais envoyé sur une île alors que la Seconde Guerre Mondiale touche à sa fin, et qui va passer 10 000 nuits sur place. De son ambition à ses défis, en passant par sa durée homérique, le réalisateur revient sur cette aventure et commente cinq photos.

    Onoda - 10 000 nuits dans la jungle
    Onoda - 10 000 nuits dans la jungle
    Sortie : 21 juillet 2021 | 2h 47min
    De Arthur Harari
    Avec Yûya Endô, Kanji Tsuda, Yuya Matsuura
    Presse
    4,4
    Spectateurs
    4,0
    louer ou acheter

    AlloCiné : On dit souvent qu'il est plus difficile de faire un second film qu'un premier. Mais vous, vous n'avez pas cherché la facilité. Comment est né ce projet ambitieux ? Est-ce un long métrage dont vous vouliez faire votre premier avant de changer d'avis ?

    Arthur Harari : Non, ça ne s'est pas passé comme ça. Parce que quand j'ai découvert cette histoire, le projet de mon premier long métrage était déjà en cours. Il n'était pas tourné encore, mais il était lancé.

    J'ai découvert l'histoire et elle était tellement évidente à mes yeux, comme un projet de cinéma que j'avais envie de faire tout de suite, que l'envie a dépassé le calcul, le fait de se demander si c'était compliqué ou non. C'était une envie. Mais après, je n'avais pas encore réalisé le premier film, donc je n'étais pas en train de penser à ce que j'allais faire ensuite. Je n'ai pas pris les choses comme ça. C'était vraiment le désir de raconter ce truc, de faire ce film.

    En le voyant, on a l'impression que "Onoda" appartient à ce type de films qu'on ne fait plus aujourd'hui. Est-ce que cela a joué ?

    Pas directement, non. Je dirais pas que je me suis dit "Ah, on va retrouver la manière dont on faisait des films avant." Mais je suis obsédé par des choses du passé, plus que par des choses du présent. Les formes artistiques qui m'obsèdent le plus sont celles du passé, mais c'est aussi parce qu'il y a un peu plus de passé que de présent, en quantité (rires) Je m'intéresse au présent, mais plutôt comme une espèce de bout apparent de quelque chose qui aurait des racines beaucoup plus anciennes. Donc peut-être que cela vient de là.

    Mais en réalité, ce qui m'intéresse ce sont les choses qui ont une intemporalité, auxquelles on ne peut pas assigner d'époque, de spécificité. Quelque chose qui rejoint une espèce de grand bain, tout en étant précis, singulier, local. Qu'on ne sache pas de quand date de le film et quand s'est passée l'histoire qu'il raconte.

    Des formes précises du passé ont-elles inspiré "Onoda" ?

    Il y en a plein. Des films japonais de Kenji Mizoguchi, d'Akira Kurosawa. Les films philippins de Lino Brocka. Les films de Samuel Fuller, Pierre Schoendoerffer, ou encore Délivrance de John Boorman.

    On sent que vous avez dû surmonter plusieurs défis avec ce film, mais y en a-t-il eu un plus difficile que les autres, que ce soit la nature ou la barrière de la langue ?

    Celui avec lequel, au départ, je ne savais pas du tout comment ça allait se passer, comment faire, celui qui me faisait le plus peur, c'était la langue. Pas tellement cette barrière pour communiquer avec les acteurs, mais plutôt cette espèce de peur un peu fantomatique de ne pas savoir jusqu'au bout, et même au-delà, si ça joue bien dans le film.

    Maintenant j'ai l'impression d'entendre la mélodie et sa justesse. Je l'espère en tout cas. Mais pendant longtemps, j'avais cette peur de ne jamais le savoir car je n'ai pas des oreilles japonaises. Donc j'avais peur de m'illusionner sur le fait que ça ne jouait pas mal. Mais à force de travailler, de les entendre, de communiquer avec eux et d'être tout le temps en contact avec un traducteur japonais, un interprète, jusqu'à la fin de la post-production, j'ai l'impression, au bout d'un moment, d'avoir abandonné cette espèce de crispation et qu'il n'y a plus vraiment de barrières.

    Que, en tout cas, ce qui se fait, ce qui se dit dans le film, les sons qu'on y entend, je les sens. J'ai l'impression, à force de travail et de temps, de m'être acclimaté à cette peur et que ce n'est du coup plus une peur.

    JACOVIDES-BORDE-MOREAU / BESTIMAGE

    Dans un dialogue, il est dit que l'improvisation et l'adaptation sont des clés pour le personnage principal. Était-ce aussi le cas pour vous, sur un film comme celui-ci ?

    Tout dépend de ce qu'on appelle improvisation. Il y a de l'improvisation tout le temps dans la manière de faire les choses, dans la mise en scène, dans la façon de de trouver comment jouer une scène, comment la rendre physique. On a beau être préparés à 4000% - ou essayer de faire en sorte de l'être autant que possible - cette préparation, à tous les endroits que ce soit, est là pour pouvoir nous permettre d'être dans une espèce de disponibilité, d'être capable de changer ses plans, n'importe quand. Quand on est dans le présent de la fabrication.

    Et c'est ça l'improvisation. On ne sait pas exactement comment on va réussir à faire ce qu'on veut faire, même si on a tout découpé et qu'on dit que la caméra sera là, que ça avancera comme ça avec le mec qui va dire ça à un tel moment. Quand les gens sont là en présence, quand on fait les choses, des fois, ça ne marche pas. Souvent même. Il faut donc s'adapter. Et c'est pareil pour les acteurs : ils étaient très préparés, ils avaient leur vision des choses, du personnage, de la scène. Mais il y a un moment où ce qui se passe nécessite qu'on lâche quelque chose, car on ne sait pas comment on va sortir la note.

    L'endroit où il y a le plus d'improvisation, c'est au montage pour moi. Là on a tout. Toutes les ingrédients sont là et il faut faire la salade (rires) Et ça ne marche pas du tout comme on le pensait. Ça n'a pas le goût que l'on pensait, ça ne sonne pas comme on pensait. Donc on va mettre des trucs à un autre endroit, on va refaire des choses, on va faire dire à des acteurs des choses qu'ils n'ont jamais dites, on va retourner des plans parce qu'on se dit qu'il faut que l'on mette la musique au début, ce qui n'était pas prévu.

    Là il y a une forme de l'improvisation, mais quand on aiguise l'outil - car on a un peu plus de temps en plus - plus ça avance et moins c'est improvisé. Le moment où les idées doivent venir, c'est ça la disponibilité de la fabrication.

    Il a fallu combien de temps de tournage et de montage ?

    À peu près trois mois de tournage, et neuf à dix mois de montage.

    Vous avez du mal à arriver à cette durée assez épique de 2h45 ?

    Ah non, on a eu plutôt du mal à passer en-dessous de 3 heures (rires) Le film n'était pas prévu pour être aussi long. Je pensais qu'il ferait 2h20. Mais le rythme du film, le rythme des plans a imposé une durée assez longue, même si je ne voulais pas qu'il soit contemplatif - et je pense d'ailleurs qu'il ne l'est pas. La première version du montage faisait quelque chose comme 3h35 et c'était trop long, on le voyait. Mais il n'y avait pas non plus des ponts qui ne marchaient pas.

    Il fallait trouver le bon rythme et on se disait que 3 heures, ça n'était pas possible donc on a essayé, mais au bout d'un moment c'est devenu organique. C'est venu comme ça et le film a fini par faire cette durée. Tout ça est venu un peu comme ce que je disais sur l'histoire, qui a imposé un certain nombre de risques et de prises de risques ou d'aventures : le rythme du film et sa durée ont été ceux qu'ils devaient être par la force des choses.

    J'espère que le film fournit une multiplicité de possibilités d'abandon du spectateur

    Surtout que la durée se justifie par le fait que le récit s'étale sur 30 ans et qu'il est question de ce temps qui se dilate et des répères que l'on perd.

    L'idée c'était d'être avec les personnages. Et dans un mélange, en permanence, d'action et d'une intériorité qui prend de plus en plus de place, mais de ne jamais être dans un pur ressenti, dans des sensations sur le temps qui passe, sur le vertige. Que ce soit toujours lié à des événements de la narration, et à du présent qui se mêle à vertige qui devient aussi un vertige sur le temps, sur le passé. Il fallait que quelque chose de l'ordre d'un vertige s'installe sans que ce soit sur-signifié.

    Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Cannes le 6 juillet 2021

    ARTHUR HARARI COMMENTE 5 PHOTOS TIRÉES DU FILM

    Une photo que l'on retrouve sur l'affiche, mais…

    Alors ce n'est pas une photo du film, ça n'existe pas (rires) Ça n'est même pas une photo qui a été prise, c'est composite. C'est très troublant pour moi, parce que c'est l'affiche et une image qui est partout maintenant, dans pas mal de journaux. La figure d'Onoda avec sa cape existe [dans la scène d'ouverture, ndlr], mais le fond a été modifié. C'est un graphiste qui a fait ça et je trouve ça très beau, mais ça me trouble parce que c'est une image qui n'existe pas, qui n'a pas été captée dans le réel. Ce qui existe dans le film c'est quelque chose qui ressemble à ça. Il est de dos, il vient. Ce lieu c'est celui qui revient le plus dans le film et que les personnages appellent la Plaine Wakayama, qui est l'endroit à la fois où l'un des camarades d'Onoda est enterré et où un meurtre est commis. C'est l'endroit où il finit par déposer les armes à la fin du film et où il vient se recueillir. C'est une espèce de point névralgique. Et Wakayama était la ville de naissance d'Onoda, qui a renommé cet endroit par rapport à cela, ce qui veut dire quelque chose de l'ordre d'une centralité, d'une origine, d'un retour. C'est un peu le centre temporel et spatial du film, donc ça a beaucoup de sens que cette image ait été transférée à cet endroit. Mais ça me trouble car ça n'est pas une image du film.

    Une photo différente selon les époques ?

    Pas exactement. Il y a des moments où l'image a plus de textures par la force des choses, par des histoires de lumières, de sensibilité, d'exposition. Ce qu'on a cherché, c'est une grande profondeur de champ la plupart du temps. Et en même temps une sensualité qui ne soit jamais clinique. Je ne voulais pas non plus que le film soit vintage, au sens de le faire comme s'il avait été réalisé à telle ou telle période. On peut voir des références. Le film est tourné en numérique, mais l'idée était qu'il y ait une espèce d'incertitude. Que l'on se demande quel outil a été utilisé avant de l'oublier pour juste se laisser aller à une forme de transfiguration de la réalité dans une expérience formelle qui soit un peu singulière. Comme pour beaucoup d'aspects du film, on a essayé de mêler des choses un peu paradoxales.

    L'influence d'Akira Kurosawa ?

    Oui, il y a quelque chose qui a été sans doute dans ma tête de Kurosawa. Des scènes collectives assez géniales, notamment dans un film que j'adore, qui s'appelle Vivre. Mais il y a deux autres réalisateurs qui, vraiment, ont influencé cette image et ces scènes : Hou Hsiao-Hsien et Hong Sang-Soo, qui sont des cinéastes très différents de Kurosawa mais qui, à mon sens, continuent une forme de tradition qui n'est pas que japonaise : celle de l'ivresse collective. Quelque chose que j'aime énormément sur la photo.

    "Onoda", vrai film de guerre ?

    Oui c'est un film de guerre. C'est objectif. C'est un film sur des gens en guerre. Mais c'est effectivement un film où la guerre n'arrive quasiment jamais. Elle arrive de manière extrêmement brutale à trois ou quatre moments. La violence qui est convoquée a à voir avec la guerre, puisqu'ils pensent qu'ils sont en guerre jusqu'au bout. Mais des vraies scènes de guerre, de combat, il y en a une ou deux. Mais c'est un film de guerre. Entre autres. Ce que j'espère, c'est que c'est beaucoup de choses à la fois et qu'en fait. Que c'est par strates que ça fonctionne, que la porte d'entrée est un film de guerre et qu'à un moment, on traverse ça et que l'on passe à d'autres strates, d'autres niveaux de lecture. Et moi ce que j'aime dans les films, comme spectateur notamment, c'est quand tous les niveaux de lecture sont possibles. Mais qu'en même temps, même si on n'en choisit qu'un, ça fonctionne. C'est comme ça que cela peut être le plus ouvert en termes d'approche pour les spectateurs : quelqu'un qui voudrait voir le film comme un film de guerre, j'aimerais qu'il y prenne du plaisir et une intensité. Quelqu'un qui voudrait voir dans le film quelque chose de l'ordre d'un vertige métaphysique ou existentiel, j'espère qu'il le voit. Quelqu'un qui voudrait faire une expérience poétique, qui ne s'intéresserait qu'au Japon… J'espère que le film fournit une multiplicité de possibilités d'abandon du spectateur.

    Face-à-face

    Ah j'aime beaucoup cette image ! Je l'aime beaucoup et c'est même moi qui ai insisté pour qu'elle soit dans les photos officielles. J'adore cette image parce qu'elle vient d'une scène que j'aime beaucoup. Elle doit énormément aux comédiens, car elle serait infaisable avec des acteurs qui n'auraient pas l'intensité de ceux-là. Il y a quelque chose qui s'est passé avec les deux. C'est une image qui, pour moi, dit beaucoup sur le film, sur une espèce de truc souterrain du film : une sorte de relation père-fils bizarre, qui se décline sous plusieurs facettes. Et en même temps qui, de prime abord, ne ressemble pas à ce que l'on projette du film même en l'ayant vu. On voit la jungle et tout ça, mais pour moi il y a une espèce de truc intrinsèque du film là-dedans. Dans ce rapport où il y a un fil qui n'est jamais cassé entre le personnage d'Onoda et celui de son mentor, qui est pourtant très peu présent, physiquement, dans le film. Donc cette scène, le moment de cette espèce de prise de pouvoir très paradoxale du mentor sur Onoda - paradoxale parce qu'il prend le pouvoir et lui donne une liberté en même temps - il fallait que cela imprime tellement fort pour continuer à imprégner le cerveau d'Onoda et celui du spectateur. C'est aussi pour cela qu'elle est aussi longue et tortueuse. J'aime beaucoup. Parce qu'il y a beaucoup de sueur dedans, d'épreuves physiques du personnage et de l'acteur qui dégoulinait de sueur parce qu'il faisait extrêmement chaud et qu'il avait bu un peu. Très bon souvenir de tournage.

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