Certains films ont déjà une vie avant leur projection, surtout si on ne va pas les voir dès leur sortie. Sur Hunger on a entendu beaucoup de choses, bien souvent opposées, toutes se rejoignant cependant dans un ressenti radical, fut-il de rejet. L'histoire, on la connait. Ulster 1981, les prisonniers de l'IRA entament la "grève des couvertures et de l'hygiène" afin que le statut de prisonnier politique leur soit restitué. La "dame de fer" ne cède pas. Une autre grève est décidée, celle de la faim, dont Bobby Sands fut la figure emblématique. Le film se construit autour d'un axe central, véritable noeud d'un récit qui, bien que linéaire, multiplie les ruptures de ton. Cet axe, longue séquence filmée en plan fixe, oppose Bobby Sands et un prêtre venu le visiter. Toutes les clés de compréhension sont là, au travers d'un dialogue presque philosophique sur le sens de la liberté, la valeur de la vie, le pourquoi des luttes. Avant cela, les personnages nous sont présentés un par un, presque sans dialogue, jusqu'à ce que celui de Bobby Sands n'apparaisse. Après, enfin, on ne suit quasiment plus que lui dans la lente déchéance qui le conduira à la mort. Dire à propos de ce film, que sa stylisation nuit à l'émotion est une pure connerie. Il est au contraire, d'une intelligence rare. Le travail du cadre, la violence frontale jamais dissimulée, la minutie employée pour peindre un système d'un incroyable perversité, dans lequel la brutalité des uns conduit les autres à enduire les murs de merde, vider leur pisse dans les couloirs, arborer leur nudité comme une arme, est d'une efficacité redoutable. Toute idée d'humanité est balayée, si ce n'est, au détour d'un regard, dans l'anéantissement d'un jeune policier, le refus d'un prêtre, la compassion d'un infirmier, l'amour d'une mère. Beau, brillant, douloureux, profond, source de multiples questionnements, le film de Steve McQueen constitue une expérience cinématographique suffisamment rare pour être soulignée.