Bergman Island : les secrets du tournage

Le film a été présenté en compétition au Festival de Cannes 2021.

Lors des repérages de son film À travers le miroir en 1960, Ingmar Bergman est tombé sous le charme de l’île de Fårö, petite île de la mer Baltique située à quelques kilomètres au nord de l'île de Gotland en Suède. Le réalisateur y tourna cinq autres longs-métrages : Persona, L'Heure du loup, La Honte, Une passion et Scènes de la vie conjugale. Il y fit construire une maison avec vue panoramique sur la mer et y meurt en 2007.

Fascinée par l’œuvre et la vie de Bergman, Mia Hansen-Løve était comme aimantée par cette île : « Isolée au milieu de la mer baltique, elle incarne un idéal à la fois effrayant et attirant, austère et exaltant, c’est le lieu de l’intégrité artistique absolue à laquelle j’associe Bergman. » À la mort du cinéaste, son héritage fut racheté par un homme d’affaires norvégien, permettant de ne pas le disperser. Il a par ailleurs créé, avec Linn Ullmann (la fille de Bergman et Liv Ullmann), une fondation permettant, selon le souhait de Bergman, à des artistes ou à des chercheurs de tous horizons de résider dans une de ses maisons pour y développer un projet, sans obligation de lien avec son œuvre. C’est via cette fondation que Bergman Island est né : « À ma connaissance, je suis la seule à y avoir travaillé sur un scénario ayant un rapport direct avec Bergman ». 

Travailler sur Bergman Island a été, de l’aveu de Mia Hansen-Løve, « un bonheur unique ». « Bergman Island est peut-être le premier de mes films qui s’est écrit “ tout seul ”, sans la souffrance à laquelle j’associe le processus de l’écriture. J’ai eu le sentiment que s’ouvraient des portes qui étaient restées fermées jusque-là, et c’était l’île qui le permettait. » Elle s’est rendue pendant plusieurs années sur l’île de Fårö pour travailler, sans jamais s’en lasser : « Je n’ai jamais éprouvé une telle euphorie dans le travail préparatoire d’un film. »

Bergman Island a une thématique double : c’est un film sur l’amour du cinéma, et notamment de Bergman, mais aussi un film sur une double histoire d’amour. Mia Hansen-Løve revient sur la construction de son film, qui « découle du sujet, que je pourrais résumer à deux questions qui se rejoignent, celle du couple et celle de l’inspiration. Au sein d’un couple de cinéastes quelle est la part de solitude, la part de complicité ? D’où vient la fiction, comment se fraie-t-elle un chemin jusqu’à la page d’un scénario ? J’avais depuis longtemps le désir de faire un film sur ce thème mais c’est lorsque j’ai eu l’idée d’emmener ce couple de cinéastes à Fårö et d’utiliser les paysages et le monde de Bergman comme toile de fond que le projet s’est incarné. »

Bergman Island entremêle deux récits, si bien qu’on ne sait plus ce qui appartient au futur, au passé, à la réalité et au rêve. La réalisatrice témoigne : « Cette confusion reflète bien le processus de l’écriture qui est le mien ; j’ai parfois l’impression que faire des films me permet de récréer des souvenirs qui tendent à se substituer à la réalité qui les a inspirés. »

La partie avec Mia Wasikowska et Anders Danielsen Lie a été tournée en été 2018 et l’autre partie a été mise en boîte l’été suivant.

Avec le chef opérateur Denis Lenoir, Mia Hansen-Løve a décidé de tourner en scope, format qu’elle n’avait utilisé jusque-là que sur Eden. Selon elle, cela lui a permis de s’approprier l’île à sa manière, sans en être prisonnière. « C’était le format qui rendait le mieux justice à ce qui m’impressionnait le plus : l’immensité de la mer et du ciel, l’absence d’habitations, de gens, de végétation parfois, bref le vide. En fait, le scope s’est à un moment imposé comme une évidence mais ce choix je l’ai vécu comme un affranchissement. Et cet affranchissement, c’est au fond ce que raconte le film. Bergman Island est l’histoire d’une émancipation. »