Film qu’on ne présente plus, adaptation du célèbre roman de Lyman Frank Baum, le Magicien d’Oz fait partie de ces grands récits initiatiques qui ont marqué des générations de spectateurs. Mais s’il compte autant dans le cœur de beaucoup de cinéphiles, c’est peut-être pour la force de son allégorie : "au-delà de l’arc-en-ciel" il y aurait donc tout un imaginaire en technicolor, de la même manière qu’il y a un monde à explorer une fois éteintes les lumières des salles obscures, un monde passé du noir et blanc à la couleur (comme pour Dorothée) peu de temps avant la sortie du film, et qui permettrait à chacun d’échapper, pour un court instant, à la grisaille du quotidien. Pouvoir cathartique du cinéma.
A ce titre, la scène de la découverte du pays d’Oz mérite d’être considérée comme un grand moment de cinéma : après que la maison de Dorothée se soit écrasée sur le sol, la jeune fille, encore tourneboulée, ouvre la porte. S’offre alors à ses yeux (et aux nôtres) un pays placé sous le signe du merveilleux, qui semble avoir été peint aux couleurs de l’arc-en-ciel effectivement, avec ses décors chatoyants et ses personnages délicieusement fantasques. Excellente trouvaille des scénaristes : ce monde n’est en fait qu’un rêve, ce que le roman ne suggère jamais. Ainsi les trois ouvriers du Kansas, inventés de toutes pièces pour le film, ont-ils déjà le visage et le caractère de leurs futurs personnages. Ils joueront donc également l’épouvantail, l’homme en fer blanc et le lion peureux. Réalité et imaginaire se mêlent subtilement. Le pays d’Oz est un songe dans lequel Dorothée pourra purger ses désirs, ses angoisses – désir de fugue compris, c’est le parti pris "moralisateur" assez daté du film mais qu’on retrouve dans bien des récits initiatiques, qu’on pense à Pinocchio par exemple.
Le rêve de Dorothée pourrait bien se lire comme une allégorie du 7ème art, "l’usine à rêves" comme on l’appelle parfois, et on ne s’étonnera pas que des cinéastes comme David Lynch (il y en a d’autres : Demy, Spielberg…), dont la cinématographie tient peut-être davantage du cauchemar que du rêve, ait fait plusieurs fois référence au Magicien d’Oz dans Sailor et Lula (1990).