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    C'est l'un des pires films du cinéma américain : il y a 88 ans, il a provoqué une vague de panique aux Etats-Unis
    Olivier Pallaruelo
    Olivier Pallaruelo
    -Journaliste cinéma / Responsable éditorial Jeux vidéo
    Biberonné par la VHS et les films de genres, il délaisse volontiers la fiction pour se plonger dans le réel avec les documentaires et les sujets d'actualité. Amoureux transi du support physique, il passe aussi beaucoup de temps devant les jeux vidéo depuis sa plus tendre enfance.

    Sorti en 1936, film de propagande américain visant à lutter contre la consommation de marijuana à travers le pays, notamment chez les jeunes, "Reefer Madness" a connu un destin tout à fait singulier.

    Capture d'écran YouTube

    A la fin des années 1990, l'Office of National Drug Control Policy (ONDCP) l'organisme étatique chargé de la lutte anti-drogue aux Etats-Unis, trouva que les spots TV alertant sur la consommation et les ravages des stupéfiants n'étaient pas suffisants. L'époque où, en 1986, la First Lady Nancy Reagan lançait face caméra à l'adresse des américains un "Just Say No" dans une campagne anti-drogue, était déjà un lointain souvenir.

    Décision fut alors prise d'infiltrer les séries TV à succès comme Beverly Hills ou Urgences, pour y marteler les discours anti drogue de manière plus ou moins subtile, puisqu'il était carrément question de développer spécifiquement des arcs scénaristiques sur ce sujet.

    En réalité, le gouvernement américain s'était déjà penché à l'écran sur le problème de la drogue des décennies auparavant. Dès les années 1930 en fait. C'est ainsi qu'un curieux film de commande (propagande) vit le jour en 1938, sous le titre Reefer Madness, autrement connu sous le nom de "Tell The Children", qui sortira chez nous sous le titre éloquent Touchez pas à la chnouf.

    En voici la bande-annonce..

    Réalisé par un certain Louis Gasnier, un réalisateur d'origine française installé aux Etats-Unis, initialement produit par un organisme religieux catholique, ce film d'exploitation tourne autour des événements mélodramatiques qui se produisent lorsque des lycéens sont attirés par des vendeurs, qui tentent de les convaincre d'essayer la marijuana. Après être passés à l'acte, ils deviennent dépendants, les conduisant finalement à être impliqués dans divers crimes tels qu'un délit de fuite, homicide involontaire, meurtre, complot de meurtre et tentative de viol.

    Effet garanti : le film suscita une peur panique dans les foyers américains, avec des parents logiquement horrifiés à l'idée que de supposés dealers arpentent les travées des lycées pour vendre de la drogue à leurs enfants.

    De quoi ravir un homme, Harry Anslinger, devenu en août 1930 le premier commissaire du Federal Bureau of Narcotics, en charge justement de la lutte anti-drogue. Puritain et ultra-conservateur, il fera de la lutte contre le cannabis son cheval de bataille. En 1937, le Congrès fait de la possession de marijuana un crime fédéral, en votant le Marihuana Tax Act.

    Il faudra attendre 1970 pour que le Marihuana Tax Act laisse sa place au Controlled Substances Act après l'affaire Thimothy Leary. Condamné en 1965 à 30 ans de prison pour possession illégale de marijuana, il prouva en appel, en vertu du 5e amendement, que la loi était anticonstitutionnelle, entraînant son acquittement.

    Un film anti-drogue vénéré par les fumeurs de marijuana

    Et Reefer Madness ? Et bien après une brève exploitation en salle, le film fut oublié durant quelques décennies. Jusqu'à ce qu'il soit redécouvert dans les années 70. En 1971, un homme, Keith Stroup, fondateur d'un groupe baptisé NORML (Nation Organization for Reform of Marijuana Laws) militant pour légaliser la marijuana, acheta une copie du film pour 297 $, la fit nettoyer, et projeter dans divers festivals.

    Ce fut un énorme succès, d'autant qu'il fut même diffusé sur les campus américains, en pleine période de protestation contre l'intensification de la guerre au Viêtnam. Il fit même fleurir le compte en banque d'une toute jeune société fondée en 1967 et chargée de le distribuer : New Line Cinema, futur mastodonte qui jouera un rôle majeur dans l'industrie du cinéma puisque le studio sera le distributeur aux Etats-Unis de la saga du Seigneur des Anneaux de Peter Jackson.

    Ce film, classé parmi les pires réalisés dans les années 1930, a inspiré une comédie musicale en 1998 aux États-Unis, qui a elle-même donné en 2005 le film de comédie musicale satirique Reefer Madness d'Andy Fickman. Comme postérité, on a vu largement pire pour une oeuvre aussi singulière. D'autant plus savoureux à mesurer à l'aune de la légalisation du cannabis dans de nombreux Etats américains, depuis 2012.

    Toujours est-il que le film est tombé dans le domaine public aux Etats-Unis. Vous pouvez donc facilement le trouver si vous souhaitez le regarder.

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