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    Interview : discussion avec Bruno Todeschini autour d'"Antigone 34"

    Dans "Antigone 34", Bruno Todeschini est Victor Carlier, un médecin déchu énigmatique et magnétique, un personnage ambigu et déstabilisant, un homme cassé mais digne malgré tout. AlloCine a rencontré le comédien qui évoque également "Odysseus", en tournage pour Arte actuellement, et quelques rencontres déterminantes dans sa carrière (Patrice Chéreau, Arnaud Desplechin, Nobuhiro Suwa...) et des films importants qui ont jalonné son parcours : "Un couple parfait", "La Sentinelle", "Son Frère"...

    AlloCine : Victor Carlier est un personnage "sans...". Sa femme et sa fille sont mortes, il n'est plus médecin, il a perdu des années de sa vie en prison. On n'a aucune idée de qui il était vraiment avant ces drames...

    Bruno Todeschini : Le passé du personnage c'est une cuisine personnelle que l'on se fait. Ce qui est bien, pour un projet comme celui-là, c'est qu'on est ensemble à Montpellier pendant un bout de temps. On n'est pas à Paris. On a le temps d'être ensemble, d'aller au restaurant, de parler entre nous. Même si le personnage de Prudhomme [ndlr: interprété par Xavier Gallais] est l'ennemi de Carlier dans la série, c'est toujours bien d'avoir ces rapports. Je ne parle pas forcément des rapports sur le plateau, même si c'est bien de les cultiver, mais ça se crée aussi en amont, ça se travaille. Ensuite, imaginer le passé d'un personnage comme celui de Carlier, c'est une cuisine propre à chaque acteur. En ce qui le concerne, il faut par exemple réfléchir sur ses rapports avec sa femme, se rendre compte que c'était un mec qui avait sa clinique, qui était installé à Montpellier, une ville de province où tout le monde se connait.

    Le personnage sur le papier est fait de vides et c'est à vous, comédiens, de les remplir. Ce sont des espaces de création...

    En général dans les séries on voit l'"intérieur" des gens. Pas dans Antigone 34. Jamais.

    Les trois personnages principaux fonctionnent d'ailleurs selon le même procédé. Par exemple, la psychologue, interprétée par Claire Borotra, demande à ce que les policiers lui fassent confiance mais elle est la personne la plus méfiante. Et les explications sur ce paradoxe sont rares voire inexistantes...

    Elle ne fait confiance à personne.

    Pour en revenir à Carlier, c'est un personnage difficile à définir. Lui-même le dit d'ailleurs. Une de ses premières répliques tourne autour du fait qu'il n'y a pas de mot pour définir un père qui perd son enfant. Cette réplique vous a accroché à la lecture du scénario ?

    Complètement. Immédiatement. Et puis il y a ce qui se passe juste après. Ce mec-là, à qui on annonce que sa fille est morte, se recueille auprès d'elle et, quelques instants plus tard, alors qu'il est seul, se met à l'ausculter. J'adore ça.

    Bruno Todeschini dans Antigone 34

    ©Mascaret Films/France Télévisions

    Cette scène-là est étonnante parce qu'elle remet en cause tout de suite ce personnage. On en vient à se demander s'il est bien le père de cette fille...

    C'est exactement ça. Et il faut aussi comprendre que Carlier n'a pas revu sa fille depuis 11 ans. Même si c'est son enfant, il ne la connait plus vraiment. Et puis il y a la dimension médicale...

    On a justement l'impression qu'il y a un commutateur dans sa tête et qu'il arrive à mettre sa peine de côté pour redevenir médecin, ou plutôt qu'à ce moment-là il fait passer son objectif avant tout le reste...

    Oui tout à fait et du coup on ne sait plus s'il feignait la peine ou pas. Je pense que j'ai aussi accepté ce rôle pour cette ambiguité du personnage.

    Juste à cause de cette scène ?

    Non, j'ai vu quelque chose dans cette scène, sur ce personnage, qui est développé ensuite. En fait, j'avais lu ce scénario il y a 3 ans. A l'époque, le projet s'appelait "Numerus Clausus" et j'avais dit non d'ailleurs, aussi parce que j'étais pris. Les scénaristes sont revenus vers moi il y a à peu près un an. Même si j'avais dit non à l'origine, même si je trouvais des choses inabouties, dans les épisodes 2 et 3 notamment, des petites choses m'avaient intéressé. Dans cette nouvelle version, d'après mes souvenirs en tout cas, ce qui n'était alors pas abouti l'est. En tout cas suffisamment abouti pour que je m'y intéresse vraiment. Et puis ce mec-là, ça me plait de le jouer. C'est intéressant. Je déteste jouer les mecs trop clairs, qu'ils soient bons ou mauvais d'ailleurs. J'aime ajouter des touches d'ambiguité ou de mystère.

    Bande-Annonce de la série Antigone 34 :Antigone 34

    ©Mascaret Films/France Télévisions

    Un de vos rôles que je préfère est issu d'un de mes films de chevet, "La sentinelle", et on est en plein dans l'ambiguité dont vous parlez...

    Ça aussi, c'était du bonheur.

    Carlier est un personnage en marge. Il ne fait partie d'aucun cercle. Par exemple, il n'est plus médecin. D'ailleurs en parlant de son ancien métier, il y a une autre phrase qui le définit bien, lorsqu'il dit que ce n'est pas parce qu'il est radié que le serment d'Hypocrate n'a plus aucune importance pour lui... Il aide la police mais il est aussi utilisé par eux.

    Oui, peut-être, mais lui n'utilise jamais les gens. C'est toujours généreux. Pour aider les gens. Il n'embrouille pas. On le voit avec Paco [ndlr : interprété par Moussa Maaskri], mais aussi avec les flics. Personne ne peut dire que Carlier l'a embrouillé. C'est direct.

    Vous avez donc été contacté il y a 3 ans pour ce même projet. Qu'est ce que les scénaristes ont vu chez vous pour qu'ils persévèrent ?

    Je n'avais pas reposé la première version du scénario en me disant que je détestais. Quand mon agent m'a appelé pour me dire que Brice Homs [ndlr : le co-créateur d'Antigone 34] voulait me revoir pour ce projet, j'ai un peu hésité au début. Je me rappelais pourquoi j'avais dit non, mais j'avais aussi le souvenir que ce n'était pas non plus totalement inintéressant. Il m'a donc envoyé le scénario et j'ai trouvé ça pas mal du tout.

    Carlier est aussi intéressant parce qu'il a des rapports faussés avec tous. Il est trahi par tout le monde...

    A part Paco.

    Moussa Maaskri et Bruno Todeschini dans Antigone 34

    ©Mascaret Films/France Télévisions

    C'est vrai. Donc il est trahi par presque tout le monde. On le menace. On l'utilise. On le manipule. C'est un homme qui ne devrait avoir confiance en personne et qui pourtant malgré tout avance !

    C'est un médecin... C'est un médecin ! C'est-à-dire quelqu'un qui choisit étant petit de soigner les gens, d'aider l'autre, son prochain, même s'il se prend des coups... Ce n'est pas parce que quelqu'un lui fait une crasse qu'il en oublie le pardon.

    Chose étonnante d'ailleurs, Carlier n'apparait jamais comme une victime...

    C'est ce qu'il dit à Prudhomme d'ailleurs. Ce dernier lui dit : "Si t'as envie de me flinguer, flingue-moi !" et Carlier lui répond qu'il ne tue pas. Il garde sa dignité malgré tout. Il cherche, c'est un mec en quête de vérité. S'il y avait une suite à la première saison, on le retrouverait à Barcelone à soigner les gens.

    Et justement s'il y a une saison 2...

    Je n'en sais rien.

    Affiches d'Outremer / La Sentinelle / Son frère / Un couple parfait

    ©Lira Films/Why Not Productions/Pyramide Distribution/CTV International

    Vous tournez énormément. J'ai regardé attentivement votre filmographie et elle est longue...

    Et vous vous êtes alors demandé quel âge j'avais ? (rires)

    Oui ! Plus sérieusement, vous tournez beaucoup, pour le cinéma et la télévision. Vous avez beaucoup joué au théâtre. L'art dramatique est comme un muscle. Il faut toujours s'entrainer ? Ou alors vous tournez par gourmandise et l'envie d'explorer continuellement ?

    Oui, c'est une envie. C'est du cas par cas. J'ai fait une quinzaine de premiers films, beaucoup tourné sous la direction de femmes, y compris à une époque où ce n'était pas vraiment répandu. Je me rappelle qu'un de mes premiers films est Outremer, le premier long-métrage de Brigitte Roüan. On avait Caroline Champetier comme chef op' sur La Sentinelle. Je me dis aussi que j'enchaine les rôles compliqués, à tel point que je me demande pourquoi on ne me propose pas parfois un rôle tranquille, comme ça, aux Seychelles ou au soleil (rires) ! Dans une chaise longue, un rôle de mec cool... Et puis je viens de l'école des Amandiers [ndlr: le théâtre de Nanterre dont Patrice Chéreau a assuré la direction entre 1982 et 1990]. C'est un parcours qui passe par Patrice Chéreau, La Sentinelle, Jacques Rivette, André Téchiné. Son frère de Chéreau m'amène, quelque part, vers Nobuhiro Suwa pour Un couple parfait, un film génial uniquement composé de plans séquences ! C'est incroyable.

    C'est donc avant tout l'envie d'explorer qui vous pousse à tourner tout le temps...

    Mais je n'ai pas l'impression de tourner tout le temps !

    Vous avez pourtant une filmographie monstrueuse !

    Oui, l'année dernière j'en ai fait 7 mais... Sur La Délicatesse, j'ai 8 jours de tournage.

    Il y a une distorsion entre ce qu'on voit de l'extérieur et la réalité quotidienne de vos tournages en somme...

    Oui, voilà ! Sur un film, sur deux mois et demi de tournage, je peux tourner uniquement 8 jours par exemple. Je n'ai pas l'impression d'en ressortir crevé. Mais si vous regardez la filmographie effectivement, La Délicatesse (Affiche ci-contre) y figure. C'est trompeur.

    Des comédiens préfèrent prendre des pauses entre les tournages pour recharger ou se faire rare...

    Moi, je me fais plus rare ailleurs. Par exemple dans les interviews.

    Il y a assez peu d'interviews de vous dans la presse, c'est vrai.

    Il y en a mais peu. Je me fais rare dans cet exercice. Je me souviens par contre d'un super article de Bégaudeau dans Les Cahiers du Cinéma [ndlr: Numéro 609 datant de Février 2006 - Cliquez ici pour en savoir plus]. Je le fais de manière épisodique mais pas tant que ça et je ne vais pas partout. Je n'ai pas forcément envie de faire toutes les interviews. Si Frédéric Taddeï [ndlr: le présentateur de l'émission culturelle de France 3, Ce soir ou jamais] ou si Philippe Lefait [ndlr : animateur de l'émission littéraire et culturelle de France 2, Des mots de minuit] m'invitent, alors là OK. En plus je sors assez peu, je ne vais pas aux soirées... Ou je travaille, ou je suis ailleurs en somme. J'ai peut-être raté des trucs, des projets à cause de ça, c'est possible.

    Vous avez donc tourné pour le cinéma, la télévision et vous avez joué sur les planches. C'est un même métier ou pas ? S'il fallait définir ces variations en quelques mots...

    La base de l'acteur, c'est de jouer. Cela ne change pas.

    Pour chaque média, quelle est la spéfi...spéfici...

    Spécificité !

    Oui voilà, je bute souvent sur ce mot ! Je ne pourrais jamais être comédien...

    Alors là vous savez... Je peux en faire des gamelles, vous ne pouvez pas vous imaginer. Je suis le Roi (rires) ! Il y a des best-of qui existent... Sur le tournage de La Délicatesse par exemple, je me suis mangé une phrase... on le voit bien. Dans mon texte, je devais dire le mot "journaliste". Impossible à dire... A chaque fois qu'il arrivait ! Et bien évidemment c'était en toute fin d'une longue tirade ! Je devais dire tout ce texte devant 1000 personnes et une fois à la fin du texte et à ce mot... La première fois c'est rigolo. La deuxième... La troisième... Pour en revenir à la question, le théâtre c'est l'absolu parce que c'est le direct, c'est le public. C'est à part, magique. Mais s'il n'y a pas plus merveilleux, il n'y a pas plus terrifiant non plus. Quand cela ne se passe pas bien sur une pièce, dans le jeu ou avec ses partenaires ou avec le metteur en scène, il faut y retourner tous les soirs, pendant des plombes, et ça peut te flinguer. Ça a des conséquences terribles, dramatiques, sur tout le monde. Tout le monde. Mais quand c'est merveilleux, bien entendu... Au théâtre j'ai travaillé avec un gars comme Chéreau sur Hamlet. Ma première pièce professionnelle, c'était dans la cour du Palais des Papes en Avignon !

    Donc le théâtre est un absolu qui peut se révéler parfait comme...

    Pour moi, ce qui me correspond le mieux, c'est le cinéma. J'adore sa technique, l'engin, l'ambiance d'un plateau. Je ne sais pas comment vous expliquer. C'est magnifique... Tout ce "grouillage", avec ma concentration qui arrive quand même au milieu de quelqu'un qui amène le café, un autre qui plante ses gélatines, un autre qui m'installe mon micro... et puis le "moteur... action"...

    Personnellement je suis toujours fasciné par la technique de jeu au cinéma. Un comédien doit avoir une vue d'ensemble de son personnage et de sa trajectoire dramatique et émotionnelle qui lui permet de se retrouver dans un tournage qui enchaîne les scènes dans le désordre. Et on demande à un comédien de savoir exactement où il en est au top du "Moteur" et d'être au maximum de sa concentration émotionnelle à "Action". Et les prises sont parcellaires et ne durent que très peu de temps... Je n'arriverai jamais à comprendre comment on se débrouille...

    Il faut être prêt dès que ça part. Et on doit parfois attendre de longues heures. Cela arrive d'être convoqué à 9h pour ne tourner qu'à 16h. Mais en même temps Usain Bolt, aux 100 mètres, attend toute la journée de faire sa course qui ne dure qu'une poignée de secondes.

    Oui mais il n'a qu'un objectif : courir. "Simplement" courir le plus vite possible. Dans une ligne droite. C'est compliqué bien entendu. Il doit se dépasser. Mais sa seule inconnue réside dans l'heure de départ de la course. Et sa course se fait dans un couloir linéaire. Les comédiens doivent recomposer un portrait qui part dans tous les sens...

    Quand on travaille vraiment sur un scénario, si on fait un travail propre... Je ne sais pas comment vous l'expliquer... En ce moment par exemple je travaille sur Odysseus, une série en 12 épisodes de 52 minutes, tournés au Portugal, durant 42 jours. J'ai simplement bossé comme un dingue. Comme un dingue. Il me reste 22 jours de tournage à faire, jusqu'à juin. Et je connais déjà tout mon texte jusqu'à la fin du tournage. Je bosse comme un fou. Dans mon travail sur un scénario par exemple, à force, des lignes se dégagent : le rapport de mon personnage avec sa femme, son rapport avec sa fille, avec son voisin, avec son travail, etc. Il faut travailler le texte, le lire, dégager ces lignes... et parfois on s'aperçoit qu'elles ne sont pas compréhensibles ou cohérentes par exemple. C'est le travail du comédien ça. Pas celui du metteur en scène. Au moment de l'"Action", ce n'est plus le moment de se poser des questions ou de se rappeler qui est le personnage ou où il en est. Quelque part, il faut être définitif, sans l'être... Je ne sais pas comment l'expliquer réellement. Dans le personnage, hein.... non, "définitif" ce n'est sans doute pas le bon mot... Par exemple le film Son frère de Patrice Chéreau me change. Le film change la vie. Ma propre vie. Ça faisait 25 ans que je pensais que je n'étais pas un acteur très bon. Après ce film, ce n'est plus la question, ça suffit...

    Vous l'avez accepté ?

    Ce n'est plus le problème en fait. C'est aux autres de dire si je suis bon ou non. Moi, je m'en fous. Ce n'est pas à moi de me juger à chaque fois que je fais un truc. Joue ! Laisse-toi aller ! Du coup dans le film de Nobuhiro Suwa qui est en plan séquence, avec chaque fois des bobines de 20 minutes, avec une caméra fixe...

    Un système qui se rapproche de l'intensité dramatique du théâtre justement non ? Vous avez 20 minutes pour jouer une scène dans la continuité, la faire monter...

    Pas exactement notamment parce qu'il n'y a pas de dialogues écrits. C'est de l'improvisation. Avec Valeria [ndlr : Valeria Bruni Tedeschi, qui joue dans le film], on nous dit "Moteur" et il n'y a qu'une prise. On doit ouvrir une porte et il y a 20 minutes à faire derrière. Tout à coup la porte sonne, c'est quelqu'un qui apporte quelque chose... Et puis la caméra est fixe donc il arrive qu'il n'y ait personne dans le champ.

    Nobuhiro Suwa

    ©Collection Christophe L

    C'est ce challenge qui vous a poussé à accepter ce projet ?

    Oui ! Et puis il faut voir les autres films de Suwa : M-other et H Story avec Béatrice Dalle. Il faut voir ces films, surtout M-other ! H Story, c'est un exercice de genre, une sorte de remake d'Hiroshima mon amour dans un hôtel à Tokyo. Dans l'ordre, regardez M-other, Un couple parfait et H Story.

    Et quelques mots pour définir l'acteur à la télévision...

    Depuis que j'ai commencé, la donne a changé. J'ai décidé de jouer dans les années 80 et j'ai commencé à tourner à la fin des années 80. Aujourd'hui je ne vois pas très bien comment un film de cinéma peut se faire sans un apport de la télévision. Elle a pris une importance considérable. C'est la réalité des choses. Et puis j'ai toujours dit que je préférais faire une bonne télé qu'un mauvais film. Je n'ai aucun problème avec ça. La télévision permet parfois d'avoir de temps en temps des projets qui ne se feraient plus au cinéma. Elle permet d'avoir une durée qui permet... Est-ce qu'Odysseus pourrait se faire au cinéma ? Non. Arte prend ce projet et le fait. Le cinéma indépendant, qui était ce que je faisais davantage, est devenu de plus en plus compliqué. Ou alors il se fait avec "zéro". Avec des budgets de moyen-métrage. La Sentinelle ne pourrait plus se faire maintenant.

    L'écart s'est creusé entre les petites et les grosses productions...

    Oui, voilà.

    Pour parler d'"Odysseus" justement, vous y jouez Leocrite, le chef des guerriers indépendants. Le tournage a démarré en janvier et se prolonge jusqu'en juin. Vous pouvez nous en parler un petit peu ? La série se focalise davantage sur l'attente à Ithaque et un peu moins sur le voyage d'Ulysse, c'est ça ?

    C'est un mélange des deux. Les 6 premiers épisodes se concentrent sur l'attente du retour d'Ulysse. Telemaque émerge de l'adolescence, commence à apprendre le combat, il est malléable... Pendant qu'Ulysse est au loin, tout le monde crève de faim et fout le bordel à Ithaque. Tant qu'il n'y a pas de preuve formelle de la mort d'Ulysse, il ne peut y avoir de succession, et s'il n'y a pas de Roi... Je joue donc le chef des prétendants qui veut la main de Penelope, la Reine. C'est encore un personnage très joli, ambigu, à la fois croyant et... Je l'aime beaucoup parce que c'est un politique. J'ai un "mignon" [ndlr : un favori] avec moi, qui fait 1m90 et qui a des épaules de nageur... Je l'adore. Et le "mignon", lui, se bat (rires) ! Dans les lois d'Ithaque, on peut se faire représenter dans les combats. Ce qui est intéressant c'est que Leocrite veut vraiment le bien d'Ithaque, il le dit : "Tous les prétendants veulent leur part du gâteau. Ils l'auront. C'est pour le peuple que je veux gouverner, pour les combattants qui m'accompagnent, pour les hommes libres d'ithaque, pour qu'ils retrouvent le bonheur et la prospérité. Voilà pourquoi je veux être Roi..." Il ne veut pas régner pour régner mais pour le bien d'Ithaque. Et ce n'est même pas pour profiter de Penelope puisqu'il est homosexuel.

    Photo d'un détail du décor d'Odysseus

    ©Arte/Makingprod

    Donc vous retournez bientôt sur le tournage pour terminer les prises de vue...

    Oui. Le tournage en studio se termine à la mi-mai et ensuite on tourne en extérieur. Il fait 35 ans degrés au mois de juin au Portugal. On a des glaives et des casques... On va voir (rires) !

    J'ai pu voir quelques photos du décor, ça a l'air magnifique...

    Et les costumes ! J'avais d'ailleurs une peur dingue de porter la jupette (rires) !

    J'aimerais maintenant que l'on parle plus en détail de deux films dans lesquels vous avez joué, et qui sont deux films majeurs selon moi : "La sentinelle" et "Son frère". Commençons par "La Sentinelle" qui est un fim indéfinissable. Cela commence avec une introduction à la géopolitique, se transforme en film d'espionnage puis en une sorte de vertige psychologique... Quels souvenirs gardez-vous de "La Sentinelle" ? Vous souvenez-vous de votre réaction à la première lecture du scénario ?

    Ce tournage était incroyable pour 12 millions de raisons. A l'origine je ne devais d'ailleurs pas faire le film. Je n'étais pas pressenti pour le rôle. J'ai passé les essais avec Noémie Lvovsky. A cette époque, j'étais très timide, je n'avais pas confiance en moi. J'avais vu La Vie des morts puis j'ai rencontré Arnaud Desplechin (Photo ci-contre) chez Thibault de Montalembert qui était mon voisin de palier à l'époque. Un soir, Thibault organise un dîner chez lui, après La Vie des morts. Ce n'était pas un repas organisé pour parler de travail, pas un dîner "arrangé". Je savais qu'il développait à cette époque La Sentinelle mais on n'avait pas parlé de rôle ou autre. Je lui ai dit que j'avais beaucoup aimé La Vie des morts. Ensuite on a fait les essais Boulevard Saint Antoine. Ils ont duré des heures. C'était énorme, j'en garde un souvenir dingue. C'était son premier long-métrage et Arnaud avait une énergie incroyable. On était tous des jeunes acteurs, c'était fusionnel. Si je me souviens bien, on a comptabilisé 1200 heures de dépassement du côté de l'équipe technique ! Et les heures comptent triple le week-end. Je me souviens qu'on a parfois terminé de tourner le dimanche matin à 5 heures... Dans ces cas-là, il n'y a plus de jour, plus de nuit. Pour une scène dans le couloir on a fait quelque chose comme 36 prises ! Arnaud, c'est un directeur d'acteurs incroyable. J'en ai rarement vu comme lui.

    Le film ressemble au scénario de départ ?

    Je ne sais pas. J'ai encore le scénario à la maison mais je n'ai jamais revu La Sentinelle.

    Cela ne vous intéresse pas de regarder vos films ? Vous n'avez pas le temps ?

    Je passe ailleurs... Hôtel de France, je ne l'ai jamais revu non plus ! Mais je le reverrai. Quand je serai vieux, dans ma maison de campagne. J'ai pleins de films à faire, je ne vais pas aller regarder ce que j'ai fait.

    Cela ne vous titille pas de regarder ces films pour voir, en tant que comédien, où vous en étiez et où vous en êtes aujourd'hui. Pour corriger d'éventuels défauts. Pour voir où vous pouvez progresser... Est-ce que vous êtes conscient de vos défauts de comédien ? De vos manques et d'éléments à améliorer par exemple...

    Je suis très très conscient. Mais ce que j'ai tourné il y a 20 ans n'a plus de sens sous cet angle. Depuis j'ai fait une cinquantaine de films...

    Vous voyez que vous tournez beaucoup !

    (rires) Oui... je sais ! En fait je dois être plus proche de la centaine, ce qui est pas mal... (rires) Comment dire... Regarder Son frère, le film de Nobuhiro ou ce que je viens de faire plus récemment à la limite... mais encore qu'est-ce que je vais en faire ?

    Vous vous êtes fait mal pour et sur le tournage de "Son frère" ?

    Oui. Mais de toute façon c'est un métier où il faut se faire mal. Mais le mal "à la tête" est encore plus douloureux que le mal "au corps".

    Bande-Annonce de Son frère :Son frère

    ©Pyramide Distribution

    Certes mais dans un film comme "Son frère" la douleur physique saute aux yeux. Elle est quasiment palpable alors que la douleur intellectuelle ou psychologique, qu'on imagine aisément, est plus compliquée à appréhender. En plus "Son frère" est un film au style visuel volontairement réaliste, documentaire... La douleur physique y est donc montré sans filtres, directement.

    C'est Eric Gautier à l'image ! Ça joue beaucoup !

    Quels souvenirs gardez-vous du tournage ? La performance physique ?

    J'en ai chié comme un dingue (rires) ! En plus Patrice [ndlr : Patrice Chéreau, le réalisateur de Son frère], je le connais personnellement très bien. J'ai fait 2 ans d'école de théâtre, 2 ans de troupe et 5 films avec lui. Pour vous expliquer un peu, mon père a fondé le club de foot de ma ville et il m'a entrainé. C'était horrible parce qu'il ne voulait pas donner l'impression de faire de préférences, il était un peu plus dur avec moi. Patrice, c'est un peu ça. Je le connais personnellement extrêmement bien et je joue avec lui. Sur un tournage, il est un bulldozer. Il veut et il fait son film. Et j'étais sur ce tournage en faisant 62 kilos et 12 de tension (rires) !

    Quelqu'un d'autre que Patrice Chéreau aurait pu vous convaincre de faire ce film ?

    Il aurait fallu une belle carotte (rires) ! Mais Patrice (Photo ci-contre), c'était une évidence. Comme Arnaud. J'ai accepté ces rôles parce que je les connaissais aussi. Ces tournages te laissent en bouillie, en flaque, mais tu ne vas pas les finir seul... Une fois fini, tu sais que ça en valait le coup. Vous vous rappelez de la scène où le personnage principal va dans la mer ?

    Oui ?

    On m'a emmené à 2h30 du matin, ensuite je suis allé au maquillage et on devait tourner au lever du jour à 5h. Des pompiers étaient postés sur la plage au cas où il y avait un problème, et ils étaient tous en doudoune (rires) ! Et moi je devais me déshabiller sur la plage et aller à l'eau (rires) ! Sachant que c'était marée basse donc il fallait un temps fou pour atteindre un certain niveau pour que je puisse m'immerger dans une eau à 13 degrés. Et encore je ne trouvais pas de pierre à chaque fois que je plongeais pour rester au fond. Quand je remontais à la surface, il fallait refaire une prise donc me sécher et recommencer...  Le tout à 5h du matin (rires) !

    Propos recueillis par Thomas Destouches à Paris le 29 mars 2012

    Remerciements à Nathalie Rouanet

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    Imaginée par Alexis Nolent et Brice Homs,  est diffusée sur France 2 tous les vendredis à 20h35.

    Antigone 34, c’est le nom du commissariat où exerce Léa. Sous la pression d’un ennemi invisible et puissant, elle s’attache à un médecin radié et marginal, Victor Carlier, et à une psychologue anticonformiste Hélène de Soyère. Ses enquêtes sur des crimes « ordinaires » croisent des enjeux locaux et universels...

    Découvrez ci-dessous la bande-annonce :

    Antigone 34

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