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    Xavier Giannoli à Deauville : "Les stars hollywoodiennes sont aussi de grands acteurs"

    AlloCiné a rencontré le réalisateur Xavier Giannoli ("A l'origine", "Quand j'étais chanteur"), membre du jury présidé par Vincent Lindon au 39e Festival du cinéma américain de Deauville. Il livre ses réflexions autour du cinéma américain, des acteurs et du lynchage médiatique.

    Xavier Giannoli

    La fougue de Vincent Lindon

    Xavier Giannoli : Ca m’a beaucoup touché que Vincent Lindon me propose de faire partie du jury. Il est enthousiaste, généreux. C’est la première fois que je vois des films à côté de lui dans une salle. Il réagit avec beaucoup de force et d’émotion, il s’emballe. Dans les discussions, il est très respectueux de l'avis de chacun, il fait ça avec élégance, et des mouvements de fougue qui le rendent très attachants.

    Un thème qui se dégage à Deauville : l'isolement

    On voit ici des films indépendants, donc censés avoir été faits en marge de l’industrie, des studios, et qui nous disent quelque chose de la société américaine. Si je devais identifier un thème qui se dégage, je dirais l’isolement. Indiscutablement, il en est question dans tous les films.  Sur l'idée d'indépendance, le livre formidable de Biskind Sexe, mensonges et Hollywood décrit ce que les Weinstein en ont fait : alors que c’était une marque d’insoumission, d’une certaine façon c'est devenu un label industriel. Et un mot fourre-tout : Le Patient anglais était perçu comme un film indépendant, alors que c’est l’incarnation de Hollywood.

    "Il y a quelque chose de méritant dans ces films indépendants fauchés"

    Ce qui est captivant et très motivant ici, c’est qu’on voit des films faits avec très peu d’argent. D’ailleurs, il y a beaucoup de logos qui sont extraordinairement beaux graphiquement. Ca parait dérisoire, mais c’est intéressant d’observer, au début du film, cette recherche de personnalité de la part de sociétés qui semblent vouloir dire : « On va proposer quelque chose d’original et d’indépendant ». Ce sont souvent des films fauchés, et c’est ça qui est beau : il y a quelque chose de méritant dans tous ces films, on sent que certains sont travaillés par une nécessité, et ce sont ceux-là qui me touchent.

    John Wayne dans "La Charge héroïque" de John Ford

    "Filmer une femme qui pleure sur un cheval au galop"

    Les acteurs américains sont-ils plus physiques que les acteurs français ? Ce serait idiot de réduire ça à : « Bruce Willis d’un côté, Louis Garrel de l’autre ». Le cinéma américain est tellement riche et contradictoire ! Et on ne peut pas dire que Gérard Depardieu soit moins physique de Robert De Niro par exemple. Mais ça tient peut-être à ce qu’est l’Amérique : un pays de conquête, où des pionniers sur des chevaux affrontent les éléments, les tempêtes ou les Indiens et sont donc amenés très vite à faire des choses physiques. C'est ce qu’on voit dans les films de John Ford. En même temps, il y a dans ces films de Ford ou d'Anthony Mann une richesse et une complexité psychologiques. Chaplin est évidemment un acteur physique, peut-être le plus physique de tous. Il y a dans le langage du corps quelque chose qui va vers l’univers de la danse, et qui exprime les émotions humaines au délà du bavardage et du dialogue. Peut-être aussi que dans les films de studios, à cause de cette obsession d’universalité, il y a une forme de séduction, et un rapport au langage épuré. John Ford disait : « Je préfère filmer un cheval au galop qu’une femme qui pleure." Et je me souviens que, jeune cinéphile, je pensais souvent à cette phrase, qui a l’air gadget mais qui est très intéressante. Je me disais : « Moi, je vais essayer de filmer une femme qui pleure sur un cheval au galop.»

    L'implication des acteurs américains

    Il y a aussi chez les acteurs américains une implication extraordinaire. J’ai été frappé par un entretien avec Viggo Mortensen qui racontait que pour A History of Violence, il avait disparu et était revenu avec des objets qu’il avait lui-même placés dans le décor, et qu’il avait changé sans s’en rendre compte sa façon de bouger… Il y a là une manière de s’immerger totalement dans le film, et dans le corps du personnage.

    Les Marx Brothers, Louis de Funès

    Quand on a 14 ans, le cinéma, c’est les acteurs. Moi d'ailleurs, je fais des films d’acteurs plus que des films d’auteur. Tout part de l’acteur et va vers lui, c’est-à-dire vers le personnage et l’écriture des sentiments humains. Une des VHS que j’ai le plus regardées quand j’étais enfant, bizarrement, c’était La Soupe au canard des Marx Brothers. Quand on parle d’acteurs physiques... J’étais obsédé par ça, je trouvais ça génial. Je regardais aussi les films avec Louis de Funès, j’aimais beaucoup La Folie des grandeurs.

    Gérard Depardieu dans "Quand j'étais chanteur"

    L'irruption de Depardieu

    Très vite, il y a eu Depardieu. Un jour, mon père avait rapporté une cassette des Valseuses, éditée par Laguéville Vidéo. Il y avait cette fameuse scène de sexe où ils sont tous les 3. Pour moi, à 16 ans, c’était inoui ! Avec Bruno Nuytten, qui est dans le jury, on parlait l'autre jour de ce plan des "Valseuses", où il recule en travelling arrière sur Depardieu qui marche seul dans un supermarché avec les néons derrière lui. Je pense que c’est un des plans les plus importants de l’Histoire du cinéma français, parce que c’est l’irruption d’un nouveau corps, d’une nouvelle présence. Depardieu a été très important pour moi car très peu de temps après, j’ai vu Sous le soleil de Satan. C’était donc le même qui incarnait les deux choses qui tendaient mon existence de jeune homme de 15-16 ans : il était à la fois le désir et son impossibilité, celui qui baisait avec Miou-Miou dans un lit et celui qui jouait un curé. Pour moi qui ai été élevé chez les curés, c’était incroyable ! Et j’avais la même adhésion aux deux films.

    Les acteurs américains aujourd'hui

    On vient de voir un film avec Jesse Eisenberg par exemple. Il y a chez lui une densité, avec aussi l'écho d’acteurs qu’on a beaucoup aimés comme Dustin Hoffman. Je pense aussi à Jennifer Lawrence dans Happiness Therapy : il y a certains moments d'une grace et d'une sensualité inouies. Paul Dano m’a intéressé aussi. Et je dois parler de Brad Pitt, un très grand acteur, surtout dans Le Stratège, un des meilleurs films que j’aie vus ces temps-ci. La chance des Américains, c’est que leurs stars sont de grands acteurs.

    Il y a un an, la sortie de "Superstar"

    A Venise, les critiques italiennes étaient très bonnes. Mais le film n’était pas consensuel, c’était une proposition un peu étrange. Mais vous savez, un des premiers films que j’ai vus au cinéma, sur un ferry qui allait en Corse, c’était Raging Bull. L'histoire de quelqu’un qui prend des coups. Et le cinéma, c’est aussi ça pour moi. C’est une chance de inouie de pouvoir faire ce métier, d’être travaillé par le désir de raconter des histoires. Et la situation actuelle est très difficile, avec une offre de films pléthorique, et un travail médiatique qui peut être incroyablement bénéfique et positif, mais qui peut aussi vous faire tomber dans un pli, dans un creux. Le Stratège, par exemple, est un film qui n’a pas existé !

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    Connie Nielson dans "Demonlover"

    "Demonlover" d'Assayas, un film prophétique

    Sur Superstar, j’ai été à la fois effaré et amusé par la mauvaise foi de certains commentaires. Je m’en prenais à la dérive de la société du commentaire et à la perte de substance, à ce qui se passe dans nos rapports aux choses et aux êtres dans ce monde de l’hyper-médiatisation. Ca m’intéressait, ça me semblait être un enjeu de société et humain extraordinairement important. Les emballements, le lynchage que décrit le film, on les voit autour de nous. Vous me parlez de Demonlover d'Olivier Assayas, c’est curieux, je n’y avais jamais pensé, mais c’est en effet pour ça que j'avais voulu le produire. C’est aussi un film travaillé par ces questions : qu’est-ce que cette époque, qui est en train de s’emballer, fait de nous ? Et qu’est-ce qu’on fait de cette époque ? "Demonlover" est un film extraordinaire, prophétique, qui parle de la déréalisation des sentiments, de notre rapport au monde. Là aussi, c’est vrai, les gens n’y sont pas allés.

    Recueilli à Deauville le 5 septembre 2013 par Julien Dokhan 

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