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    Martin Koolhoven : "Brimstone serait impossible à faire aux Etats-Unis !"

    En salle ce mercredi 22 mars, "Brimstone" est réalisé par un metteur en scène hollandais, Martin Koolhoven, qui signe un western très atypique, féministe qui plus est, au confluent de plusieurs genres. Rencontre.

    Bestimage

    Après un film dramatique très réussi et remarqué, sur fond de Seconde guerre mondiale (Winter in Wartime, en 2008), Martin Koolhoven s'est attelé à la réalisation d'un western plutôt ambitieux et très atypique, adoptant un vrai point de vue féministe : Brimstone. Un projet difficile pour un résultat impressionnant, qui a mis des années avant de voir le jour : rien que pour parvenir à trouver les fonds pour financer son oeuvre, le cinéaste a mis deux ans ! De passage à Paris le 22 février dernier, nous avons logiquement profité de sa présence pour nous entretenir avec lui. Rencontre.

    AlloCiné : il n’est pas facile de classer votre film dans un genre précis. C’est bien entendu un western, mais c’est aussi un Thriller, un Survival, un drame historique, et même par certains aspects un film d’horreur. Comment définissez-vous le genre auquel votre film appartient ?

    Martin Koolhoven : C’est difficile, parce que ce que vous dites est totalement vrai ! Si vous dites que c’est seulement un western, c’est effectivement faux, et c’est trop réducteur. J’ai essayé de faire quelque chose d’original, qui d’une certaine manière repoussait les frontières du western, au point d’ailleurs que « Brimstone » n’en est presque plus un. Lorsque je travaillais sur le script, mon film se définissait ainsi : un thriller violent et épique se déroulant dans le vieil Ouest américain.

    Comment vous est venu l’idée de faire ce film ?

    Après le succès de mon précédent film, Winter in Wartime, j’ai reçu des sollicitations d’Hollywood et d’Angleterre, mais ce qu’on me proposait ne me plaisait tout simplement pas. J’ai rencontré un producteur anglais, qui voulait me voir réaliser une comédie romantique, je lui ai répondu que ca ne m’intéressait pas. « Qu’est-ce qui vous intéresse alors ? » m’a-t-il répondu. Je lui ai dit, mi amusé mi sérieux : « un western ». Hormis de très rares films, le western est un genre considéré comme mort. Là il m’a rétorqué : « et pourquoi pas ? ». Je me suis alors dit que si j’avais un projet de rêve que je voulais voir concrétiser, c’était le moment ou jamais. J’adore les westerns, mais le projet me faisait aussi peur : c’est un genre où des géants comme Sam Peckinpah ou Sergio Leone, que j’admire, sont brillamment passés avant vous. Pour moi, la seule manière de faire était d’essayer de faire quelque chose d’original, de vraiment personnel.

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    On voit dans votre film de nombreuses influences et références effectivement…

    En fait, la seule référence faite sciemment dans mon film est celle de La Nuit du chasseur. Les gens me disent avoir trouvé beaucoup d’autres références, et je suis d’accord avec eux. Mais lorsque je tournais, je ne le faisais pas en me disant « il faut que ca ressemble à tel ou tel film » ; ca n’est jamais fait sciemment, sauf dans l’exemple que je viens de vous donner. Mais oui, on a toujours des influences en soi, c’est inévitable.

    Puisqu’on parle de références, j’ai trouvé que dans le dernier tiers de votre film, avec ses incroyables paysages enneigés, il y avait peut-être une référence au « Grand Silence », le chef-d’œuvre de Sergio Corbucci.

    C’est vrai, d’autant que mon film met aussi en scène un personnage muet. Je trouve que c’est l’un des plus brillants westerns italiens non réalisés par Sergio Leone. Cela dit, c’est dur de réaliser un western dans des paysages enneigés qui ne soit pas une référence / hommage à ce film.

    Quant à l’aspect de Guy Pearce, il fait furieusement penser à Gregory Peck dans le « Moby Dick » de John Huston, avec sa barbe et sa cicatrice sur le visage…

    Effectivement. Vous savez, ce qui est étrange lorsque vous faite un film, c’est qu’à un moment donné, vous vous mettez à voir des choses, des références, que tel ou tel personnage ou situation vous rappelle le personnage d’une autre œuvre. J’ai eu ce sentiment là au fur-et-à-mesure qu’on tournait, et il faut faire attention avec cela, d’autant que, encore une fois, les références dont vous me parlez, bien que très pertinentes, n’étaient pas du tout intentionnelles. Tant qu’à parler de références, plus pour la narration du coup, j’ai beaucoup pensé pour l’ouverture au film Les Nerfs à Vif, ou encore le Carrie de Brian de Palma pour le dernier tiers de mon film.

    La structure narrative de « Brimstone » est complexe. Pourquoi ce choix d’avoir découpé votre film en 4 chapitres, et comment avez-vous travaillé avec votre monteur ?

    Ce découpage est venu au moment de l’écriture du film. Dans un premier temps, mon film avait une structure linéaire, avec une séquence en flashback. Puis j’ai réalisé que cette séquence en flashback constituait finalement le cœur de mon récit. Quand j’ai réalisé cela, il fallait que je casse la structure du film, pour mélanger des séquences en flashback et en flash forward. Quant au monteur, Job ter Burg, je travaille avec lui depuis longtemps ; il a d’ailleurs été nominé pour un César pour le film Elle. C’est un ami de longue date, nous sommes allé à l’école de cinéma ensemble. Je le laisse toujours lire mes scripts en amont. Par rapport au découpage que j’avais fait, il m’a dit : « ok, ca semble fonctionner… sur le papier. Mais on ne sait jamais ». C’est vraiment au moment du tournage qu’on a su que ca fonctionnait. Toute la structure du film a été écrite dans le script, ce qui ne laissait pas de place à l’improvisation. Brimstone est sans doute le film le plus fidèle à son script que j’ai jamais fait.

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    Comment est venue la très bonne idée d’adopter un point de vue féministe dans « Brimstone » ? Les westerns ne sont pas franchement connus, hormis de rares exceptions, pour offrir des rôles féminins de première importance.

    C’est vrai que c’est très rare que les femmes occupent un rôle central dans un western. Là j’ai en tête Mort ou vif de Sam Raimi, et encore ! Le personnage est présenté comme une hors-la-loi. Le western est par essence et tradition très masculin, avec un univers « à la Mark Twain », avec une conception très masculine de l’aventure, de la liberté… J’ai lu le remarquable roman In the Rogue Blood de l’auteur James Carlos Blake [NDR : traduit en français sous le titre «Crépuscule sanglant» en 2002]. Dans cet ouvrage qui évoque le destin de deux frères, il y a aussi une sœur qu’ils recherchent, et qui à un moment donné s’échappe. Quelles étaient ses options ? Va-t-elle se marier ou devenir une prostituée ? Ca m’a frappé : en fait, cette idée de liberté était surtout l’apanage des hommes.

    Je me suis dit qu’il fallait faire un film là-dessus. Je me suis aussi dit qu’il fallait offrir un point de vue qui soit autant hollandais que les westerns spaghetti sont italiens. C’est pour cela que j’ai introduit un personnage calviniste et fanatique dans le film, joué par Guy Pearce. Lorsque vous combinez le fanatisme religieux avec la thématique féminine, au sens où la religion exerce souvent une emprise écrasante sur les femmes, il y a un lien très fort avec ce qui se passe dans le monde aujourd’hui à ce niveau-là, même si l’époque est différente. Pour comprendre le présent, il faut se replonger dans le passé. Sur de nombreux aspects, comme ceux soulevé dans « Brimstone », les choses n’ont malheureusement pas tant changées que ça.

    Guy Pearce est absolument fantastique dans le film. Comment vous est venue l’idée de le contacter pour lui offrir le rôle ?

    C’est un acteur que j’ai toujours admiré. La première fois que je l’ai vu, c’était dans Priscilla, folle du désert. J’avais aussi adoré sa prestation dans L.A. Confidential ; un rôle à des années lumières du précédent. C’est acteur caméléon. Pour incarner le rôle du prêcheur, il me fallait un acteur versatile, capable de jouer sur les ruptures de ton dans le film, et capable d’avoir une présence et un charisme imposants. Guy a incontestablement ça en lui. Au final, j’ai fait une liste de trois acteurs que je souhaitais voir dans le film, dont Guy Pearce. J’ai eu de la chance, il était disponible.

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    Pour être tout à fait honnête, j’appréhendais un peu sa réponse, parce qu’aux Etats-Unis, vous passez par le filtre d’un agent : c’est lui qui donne déjà un feu vert ou non. Il a aimé mon script, et l’a proposé à Guy Pearce. L’agent m’a alors dit : « ne vous inquiétez pas, il lira le script, il va adorer et voudra faire le film ! » Et c’est exactement ce qui s’est passé. Je l’ai rencontré à Londres, et ca été un moment vraiment chaleureux. Il n’arrêtait pas de me dire qu’il était très fier et heureux que je pense à lui pour faire ce film ! Au-delà d’être un très très bon acteur, c’est vraiment quelqu’un de très attachant.

    Votre film est d’une grande violence, à la fois physique et morale. Une violence souvent sèche. Loin de la manière dont on traite la violence aux Etats-Unis. Du coup je me demande si ce serait possible de faire votre film aux Etats-Unis…

    Ils n’ont pas de problème avec la violence là-bas. Ils font des films qui sont encore plus violents que le mien. Mais c’est une violence parfois comique, cartoonesque, comme dans les films de Tarantino, ou Deadpool. Cela dit, mon film est classé « R » aux Etats-Unis, ce qui me va très bien, on n’est pas dans le fameux « NC-17 », qui là vous oblige à faire des coupes sévères, ou alors voir la combinaison de salles programmant votre film très restreinte. Je peux tout à fait comprendre qu’on trouve mon film violent ; même si je fais remarquer qu’au final, la plupart de ces violences sont faite hors-champ. Cela dit, d’un point de vue financier et les thèmes qu’il aborde, je pense que mon film n’aurait pas pu voir le jour là-bas. En tout cas, pas sous cette forme-là.

    Si vous regardez la manière dont il a été accueilli à Venise par exemple, ou les critiques qui ont été publiées, elles sont toutes positives. En revanche aux Etats-Unis, certaines critiques ont été très dures, en s’appuyant sur des considérations morales. Certaines n’ont pas compris ce que je voulais faire ; elles pensaient que si je montrais une femme abusée, c’est que j’étais moi-même quelque part un pervers, ou en tout cas quelqu’un de tordu ! Je ne comprends pas comment ni pourquoi ils peuvent parfois être si limités dans leurs points de vues. Dans mon film, je parle de religion, et c’est quelque chose de très sensible aux Etats-Unis ; au cinéma, ca fait peur. Et comme mon film combine la sexualité avec la violence et la religion, ca fait vraiment peur.

    Vous pensez que là-dessus nous avons en Europe une sensibilité et une approche très différente comparée à celle des Etats-Unis ?

    Absolument. La manière dont le sexe est traité dans le film, lié à la violence, et motivé par une idée religieuse, met le public américain très mal à l’aise, même s’ils ne le disent pas littéralement. Je ne sais pas si vous avez lu la critique du film par Variety…Elle est très intéressante. Non seulement elle condamne le film, mais elle va bien plus loin. Elle évoque les mœurs libérées de la Hollande et ce qu’on appellerait chez nous du « Useful Sex », ce qui signifie qu’il pense que chez nous, en Hollande, on trouve normal d’avoir des rapports sexuels avec un enfant, et que par conséquent ca ne nous gêne pas d’évoquer ou montrer ça dans un film. Vous vous rendez compte ? C’est complètement dingue de penser une chose pareille ! Non seulement ce Critique n’a rien compris à mon film, mais il ne comprend pas davantage la Hollande ! Et on parle de Variety là, qui est considéré comme la Bible hollywoodienne !

    Ci-dessous, la bande-annonce du film...

     

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