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    Hollywood, machine à broyer : quand les studios contraignaient leurs stars à avorter
    Olivier Pallaruelo
    Olivier Pallaruelo
    -Journaliste cinéma / Responsable éditorial Jeux vidéo
    Biberonné par la VHS et les films de genres, il délaisse volontiers la fiction pour se plonger dans le réel avec les documentaires et les sujets d'actualité. Amoureux transi du support physique, il passe aussi beaucoup de temps devant les jeux vidéo depuis sa plus tendre enfance.

    Pour notre nouveau chapitre estival consacré à Hollywood, machine à rêves mais aussi à broyer, retour sur un passé aussi vif que douloureux. Quand les Majors, entre carrière, morale et pseudo vertu, contraignaient leurs stars à avorter...

    Machine toujours prompt à fabriquer et vendre du rêve, univers factice où l'on cultive ardemment l'entre-soi, l'usine hollywoodienne a aussi fracassé au cours de son Histoire de nombreux destins d'hommes et surtout de femmes à l'esprit trop rebelle ; ou, en tout cas, jugés trop inaptes à se glisser dans le moule tyrannique du glamour et des paillettes.

    Dans l'âge d'or d'Hollywood, les toutes-puissantes Majors modèlent et façonnent -intellectuellement et physiquement- à leur guise les actrices, qui ne sont au final rien de plus qu'une valeur marchande. C'est qu'en signant son contrat avec le studio, pour une durée légale de 7 ans, la star se dépossédait d'elle-même et lui cédait aussi le contrôle de sa vie privée; le tout sous les auspices d'une clause de moralité. Une emprise d'autant plus violente et perverse qu'elle touchait même jusqu'à l'intime. Pour ne pas détruire leurs images glamours et immaculées patiemment façonnées par les Majors, et donc leurs carrières, certaines actrices furent obligées d'avorter par ces mêmes studios. Judy Garland, Bette Davis, Joan Crawford, Jean Harlow, Lana Turner... Nombreuses sont celles qui furent contraintes de se plier à ce terrible diktat, même si quelques contre-exemples existent, à l'image de Loretta Young, qui refusa de se faire avorter, mais fut contrainte d'accoucher dans une relative clandestinité. En d'autres termes, non seulement une grossesse surprise et parfois extra conjuguale aurait attiré la honte sur ces stars du box-office, mais en plus cela allait de toute façon à l’encontre de la politique des studios de cinéma.

    Après avoir ouvert avec le tragique destin de Frances Farmer notre série de cinq papiers sur la thématique "Hollywood, machine à broyer", celui-ci constitue l'avant dernier chapitre de notre petite série estivale.

    Les retombées de l'affaire Roscoe "Fatty" Arbuckle et la clause de moralité

    Dans le sillage de l'affaire Roscoe "Fatty" Arbuckle, première de ce que l'on appellera plus tard les grands scandales hollywoodiens (dont nous avions longuement parlé) fut mise en place la Motion Picture Producers and Distributors of America, présidée par William Hays, qu'on débaucha du gouvernement du président des Etats-Unis Harding, où il était le responsable en chef des services postaux du pays. Ce renard de la politique, ancien de l'Eglise presbytérienne originaire de l'Indiana, devint officiellement la sentinelle des bonnes moeurs, le gardien du temple qui donnera son nom au fameux code censé imposer un nouvel ordre moral dans une Hollywood-Babylone aux moeurs si dissolues... Censé s’appliquer aux deux sexes, ce code visait d’abord les femmes, parce qu’elles étaient celles qui tombaient enceintes. Et être une actrice-mère, c'était fatalement être moins désirable et idolâtrée auprès du public...

    Pour mieux surveiller leur colonie, les magnats d'Hollywood la placèrent sous surveillance discrète en lâchant sur elle une noria de détectives privés, "qui usaient de toutes les combines possibles, du pot-de-vin au domestique à la filature en passant par l'utilisation de primitifs appareils d'écoute. Quand les rapports tombèrent, les décideurs crurent mourir. C'était pire, bien pire que prévu" écrit Kenneth Anger dans son ouvrage culte, Hollywood Babylone. Hollywood était le cimetière de la vertu.

    La première clause de moralité est apparue dès 1921, dans les contrats du studio Universal. "L’acteur (ou actrice) accepte de se conduire avec le respect dû aux conventions morales publiques et accepte qu’il (ou elle) ne fera rien et ne s’engagera dans rien qui puisse tendre à le (la) dégrader dans la société, ou l’amener à être haï, méprisé ou ridiculisé par le public, ou qui puisse tendre à choquer, insulter ou offenser la communauté ou outrager la morale ou la décence publique, ou qui puisse tendre à porter préjudice à la Société de fabrication de films Universal ou à l’industrie du cinéma. Dans le cas où l’acteur (actrice) violerait les termes de ce paragraphe, la Société de Fabrication de Films Universal a le droit d’annuler ce contrat et de donner cinq jours de préavis à l’acteur (actrice)" était-il stipulé. Les choses étaient désormais claires. Tous devaient rentrer dans le rang. Et malheur à celui ou celle qui en sortait... Une des premières victimes de cette clause de moralité fut la comédienne Clara Bow, celle pour qui l'on inventa le fameux surnom de "It Girl" : au terme d'une série de scandales liés à sa vie dissolue, elle fut renvoyée par la Paramount, à l'âge de 25 ans, tandis que la Major lui saisissait carrément ses comptes bancaires...

    Ces clauses de moralité pouvaient même impacter la question du mariage, comme l'explique Anne Helen Petersen dans son ouvrage Scandals of Classic Hollywood : Sex, Deviance and Drama From The Golden Age of American Cinema. Celle qui se fit connaître comme "la blonde incendiaire", Jean Harlow, tomba enceinte de l’acteur William Powell, dont une rumeur disait qu’une clause de moralité l’empêchait de l’épouser. L’actrice fut contrainte d'avorter. Howard Strickling, l'attaché de presse de la MGM et homme à tout faire, se chargea de régler le "problème". Admise au Good Shepherd Hospital officiellement "pour se reposer", Jean Harlow ne fut observée que par des médecins et infirmières engagés par le studio pour s'occuper d'elle dans la chambre n°826. La même chambre qu'elle avait occupé l'année précédente, officiellement là-aussi pour cause "d'appendicite"...

    "Les avortements étaient notre contraception..."

    "Les avortements étaient notre contraception" disait une actrice anonyme à l'écrivaine et historienne Cari Beauchamp, dans son essai primé Without Lying Down : Frances marion & The Powerful Women of early Hollywood. Lee Israel, auteur d'une biographie sur la fameuse vamp hollywoodienne Tallulah Bankhead et publiée en 1972, écrivait qu’elle "se faisait avorter comme d’autres femmes se faisait une permanente". Lorsque la comédienne et chanteuse phénomène Jeanette McDonald se retrouva enceinte en 1935, le patron de la MGM, Louis B. Mayer, demanda personnellement à Howard Strickling de "se débarrasser du problème". Le publicitaire s'exécuta, et fit admettre Jeanette McDonald à l'hôpital, officiellement pour "une infection à l'oreille".

    Joan Crawford fut mariée avec Douglas Fairbanks. En 1931, au cours d'une de ses liaisons extra-conjuguales, elle tomba enceinte, persuadée que Clark Gable était le père de son enfant. Plutôt que de dire la vérité, Crawford déclara à Fairbanks qu'elle avait glissé sur le pont d'un bateau lors du tournage du film Pluie, à Catalina Island, et qu'elle avait perdu le bébé...

    capture écran Youtube

    L'une des rivales de Joan Crawford, la grande Bette Davis, a aussi connu la douleur de l'avortement forcé, pour sauver sa carrière. D'autant plus que, à 25 ans, c'est elle qui assurait la subsistance de sa mère, sa soeur, et son mari Harmon Nelson, un musicien n'ayant jamais un sou en poche, avec qui elle s'était mariée en 1932. "Avoir un enfant en 1934", déclara Davis à sa biographe, Charlotte Chandler, auteure de l'ouvrage The Girl Who Walked Home Alone, "m'aurait fait perdre le plus grand rôle de ma vie". En l'occurence celui de Mildred dans le film L'emprise, qui a valu à l'actrice sa première nomination à l'Oscar de la meilleure actrice. Son premier enfant, prénommée Barbara Davis Sherry, naîtra alors que la comédienne avait 39 ans.

    Tandis que Judy Garland se faisait avorter contre son gré à l'âge de 19 ans, en 1941, et renvoyée sur les plateaux de tournage dans les 24h, l'un des plus mythiques sex symbols d'Hollywood, la blonde platine Lana Turner, décida quant à elle d'épouser sur un coup de tête Artie Shaw, alors fameux directeur d'orchestre, et son aîné de onze ans. Enceinte de celui-ci, Shaw refusa pourtant d'admettre que l'enfant était de lui. En pleine tournée promotionnelle à Hawaï, elle fut avortée sans anesthésie par un médecin envoyé par le studio, sur le lit de sa chambre d'hôtel... Mise au supplice, sa mère est obligée de mettre sa main sur la bouche de sa fille pour étouffer les cris de douleur. Le studio n'hésita pas à perfidement présenter la facture à la comédienne : 500 $, qui seront déduits de son salaire. A peine une semaine après avoir vécu ce calvaire traumatisant, Lana Turner était sur le plateau de tournage de La danseuse des Folies Ziegfeld... En 1943, Judy Garland eut à subir un second avortement; des suites de sa liaison avec Tyrone Power. Là encore, les bons offices de l'attaché de presse de la MGM, Howard Strickling, firent "merveille". Ces incidents engendrèrent chez la malheureuse comédienne fragile de terribles dommages psychologiques, avant de sombrer peu après dans l'alcool et la drogue.

    D.R.

    Pour rester au rayon de la MGM, on peut aussi évoquer le cas de la sublime Ava Gardner. Alors qu'elle fut mariée avec Frank Sinatra de 1951 à 1957, elle lui dissimula son avortement. "La MGM avait toute sorte de clauses de pénalité qui s'appliquaient lorsque ses stars avaient des enfants" confia un jour l'actrice à la journaliste Jane Ellen Wayne, qui travailla un temps pour la chaîne NBC, et auteure de plusieurs ouvrages sur l'actrice, dont The Golden Girls of MGM. "Si j'en avais un, mon salaire était amputé. Donc comment pouvais-je vivre ? Frank était fauché à ce moment-là, et mes futurs films devaient me faire tourner aux quatres coins du monde. Je ne pouvais pas me permettre d'avoir un enfant à ce moment-là. La MGM a fait tout le nécessaire en m'envoyant à Londres. Quelqu'un du studio était tout le temps avec moi. L'avortement fut fait très rapidement... Et très discrètement".

    Et comment ne pas mentionner le retentissant scandale que déclencha l'actrice de Casablanca, Ingrid Bergman, au point que cela lui coûta sa carrière ? Les tabloïds rapportèrent en effet, au début de l'année 1949, que la comédienne était tombée sous le charme du réalisateur Roberto Rossellini, lors du tournage de Stromboli, à Rome, alors qu'elle était mariée depuis 12 ans avec le Dr. Petter Lindstrom. Mais il y avait plus : elle était tombée enceinte du cinéaste. Joseph I. Breen, le responsable de la censure chargé d'appliquer les codes de moralité dans les films, fit du cas d'Ingrid Bergman une affaire personnelle. Il écrivit même à l'actrice, en avril 1949, en lui déclarant que son comportement risquait de détruire sa carrière. Au pic de l'affaire, Ingrid Bergman aurait reçu près de 30.000 lettres, parfois d'une rare violence, scandalisées par son comportement soit-disant déviant et vouant aux gémonies son enfant à naître, tandis que son âme brûlerait au seul endroit où elle avait désormais sa place : en Enfer...

    "Sainte" Lupe, Loretta la résistante

    C'est dire si l'emprise perverse des studios sur la vie de leurs actrices était manifeste. Certaines refusèrent malgré tout de se plier à leurs terribles diktats, et le payèrent parfois très chèrement. C'est le cas de l'actrice d'origine mexicaine Lupe Velez. Celle que l'on surnommait "la boule de feu mexicaine" en raison de sa bonne humeur et de sa pétillance plongea au fur-et-à-mesure dans une profonde dépression, depuis son mariage raté avec Johnny Weissmuller qui pris fin en 1938, et les liaisons sans lendemains qui suivirent avec des bellâtres et autres charmeurs professionnels louches de femmes mûres. Un jour, elle se découvrit enceinte de sa dernière conquête, l'acteur Harald Maresch. Fervente catholique, elle refusa de subir un avortement provoqué par le Dr. KillKare, le surnom donné au principal avorteur envoyé par les studios aux chevets des actrices en détresse... Harald Maresch refusa d'admettre que l'enfant était de lui et de se marier avec la comédienne. "Depuis ma plus tendre enfance au Mexique, je me bats. Cet enfant est le mien. Si je le tuais, je ne me le pardonnerais jamais. Je préfère encore me tuer, moi" lâcha-t-elle à son entourage. Elle mis sa menace à exécution dans la nuit du 12 au 13 décembre 1944, en avalant 75 pilules de somnifères.

    Les circonstances pittoresques du décès de Lupe Valez font parties des légendes d'Hollywood. Une légende d'ailleurs racontée avec détails tragi-comiques par Kenneth Anger dans son ouvrage Hollywood Babylone. La malheureuse comédienne aurait voulu que son corps soit découvert comme la Belle au bois dormant, allongée sur son lit recouvert de pétales de rose, les mains jointes, tandis que sa chambre à coucher ressemblait à une chapelle ardente avec des cierges allumés aux quatre coins de la pièce. La Belle se serait suicidée à coups de somnifères, après avoir fait un ultime repas. Telle est la version vendue par les Tabloïdes hollywoodiens rapportant le décès de l'actrice.

    La version "off", bien qu'aucune autre source fiable n'en fasse mention, c'est Kenneth Anger qui la raconte : "Quand la domestique, Juanita, avait ouvert la porte de la chambre à 9h, le matin qui suivit le suicide, Lupe n'était pas là. Le lit était vide. L'arôme des bougies parfumées, les effluves des tubéreuses masquaient presque, mais pas tout à fait, une puanteur évocatrice des clochards du quartier de Skid Row. Juanita constata la traînée de vomi qui partait du lit, et suivit la piste tachetée jusqu'à la salle de bain carrelée aux motifs d'orchidées. Elle y découvrit sa maîtresse, Senorita Velez, la tête enfoncée dans la cuvette des toilettes, noyée. La dose massive de Séconal n'avait pas été fatale de la manière attendue. Le somnifère avait réagi avec le dernier repas mexi-piquant de la Boule de feu. L'action viscérale, son estomac retourné, avaient ranimé Lupe, étourdie. Prise de vomissements violents, une ultime maniaquerie l'avait conduite à tituber en direction du sanctuaire sanitaire de sa salle de bain, où elle glissa sur le carrelage et plongea tête la première dans son "Modèle confort onyx d'Egypte vert chartreuse à chasse d'eau muette"...

    Loretta Young était aussi une fervente catholique. Après avoir partagé l'affiche du film L'appel de la forêt en 1935 avec le séducteur Clark Gable, elle fut enceinte du comédien, alors marié. Quand les deux découvrirent sa grossesse imprévue, ils cherchèrent à la dissimuler au maximum, tandis que la Twentieth Century Fox mis la pression à Young pour qu'elle avorte. Elle refusa. Avec d'infinies précautions pour ne pas que l'affaire s'ébruite dans la Presse, elle donna secrètement naissance à sa fille dans une petite maison de Los Angeles -en ayant pris soin de faire intégralement calfeutrer toutes les fenêtres- et la confia à un orphelinat.

    D.R.

    Elle l’appela Judy, en hommage à Saint Jude, patron des causes difficiles. Par la suite, Loretta revint "adopter" sa propre fille alors âgée de 19 mois, sous le nom de Judy Lewis. Loretta Young a caché la vérité à sa fille durant des années, et celle-ci ne l'a apprise que 15 jours avant son mariage, à 23 ans. Young n'a d'ailleurs jamais reconnu publiquement cette filiation; sa fille naturelle ayant été déclarée adoptée. Quant à Clark Gable, il n'a rendu qu'une seule fois visite à sa fille, alors qu'elle avait 15 ans, sans toutefois lui dire qu'il était son vrai père... Trois ans avant son décès, à l'âge de 88 ans, Loretta Young déclara que Clark Gable l'avait en fait violée dans le train qui les ramenait du tournage à Hollywood...

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