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    Le Seigneur des anneaux : saviez-vous qu'il existe un film d'animation aux coulisses compliquées ?
    Corentin Palanchini
    Passionné par le cinéma hollywoodien des années 10 à 70, il suit avec intérêt l’évolution actuelle de l’industrie du 7e Art, et regarde tout ce qui lui passe devant les yeux : comédie française, polar des années 90, Palme d’or oubliée ou films du moment. Et avec le temps qu’il lui reste, des séries.

    En 1978, Ralph Bakshi réalise une version du Seigneur des anneaux en animation. Elle est sortie deux ans plus tard en France et fête donc aujourd'hui ses 40 ans. L'occasion de redécouvrir les coulisses de ce film très particulier et un peu oublié.

    Capture d'écran

    Un Anneau pour les intéresser tous

    Avant 1978, la trilogie littéraire de J.R.R. Tolkien Le Seigneur des anneaux est envisagée pour le cinéma par plusieurs artistes. John Boorman évoque la possibilité de faire un film live-action, les Beatles se montrent intéressés par jouer les quatre hobbits et mettre en musique une version (leur séparation en 1970 mettra un terme à cette possibilité) et Peter Shaffer (Amadeus) est engagé pour écrire un scénario qui ne verra jamais le jour. La seule version à se concrétiser est étrangère aux trois précitées : elle est écrite par Chris Conkling et Peter S. Beagle et adapte les deux premiers romans de la trilogie.

    Aux commandes de ce film qui fait la part belle aux raccourcis et aux coupes drastiques comme nous le verrons plus loin, on trouve Ralph Bakshi. A l'époque, on doit à cet expérimentateur de l'animation une flopée de courts métrages parmi lesquels le pornographique Fritz le chat, le mafieux Coonskin ou le post-apocalyptique (et fantasy) Les Sorciers de la guerre (Wizards en VO). Pour son Seigneur des anneaux, Bakshi veut réaliser trois films, mais la production le contraint à n'en prévoir que deux.

    Capture d'écran

    Un Anneau pour les rotoscoper

    Bakshi veut tenter d'explorer de nouvelles techniques d'animation et par là, entend tourner d'abord une version live-action avec de vrais acteurs, puis son équipe d'animation (dont fait partie Tim Burton) fera de la rotoscopie. La rotoscopie est un procédé ancien (déposé en 1915) consistant à contourner image par image quelque chose qui a été filmé en prise de vue réelle pour le retranscrire en animation, et cela dans un souci de réalisme. L'expérimentation relève du fait que personne n'a utilisé cette technique pour des scènes de bataille à grand échelle. La logistique est telle que le projet devient pharaonique pour Bakshi, qui se souvient avec douleur de cette période de sa vie (via THR) :

    J'ai failli mourir. C'est la chose la plus difficile que j'ai fait de ma vie. Je n'avais pas de quoi me payer des producteurs, donc je tournais le film live en Espagne et je gérais la compagnie par téléphone via mon secrétariat et mon directeur de production. Je ne dormais quasiment pas. (...) Mais les animateurs m'adoraient. Et ils m'ont toujours soutenu sur mes films car ils adoraient ce qu'ils faisaient et savaient ce que j'essayais de faire. Ils ont tenu bon.

    C'est l'époque où Mick Jagger des Rolling Stones est intéressé par doubler Frodon, mais Bakshi est obligé de lui répondre que le doublage est déjà en cours et qu'il ne peut donner suite. C'est aussi à ce moment que le réalisateur doit renoncer à mettre du Led Zeppelin sur les images de son film car son associé, le producteur Saul Zaentz (Vol au-dessus d'un nid de coucou, Mosquito Coast) ne peut payer les droits nécessaires. Un coup dur qui entame un peu plus le moral du metteur en scène. Par dessus le marché, le distributeur (United Artists) l'informe a posteriori que la mention "Partie 1" qui devait apparaître sur le matériel promotionnel est supprimée. En conséquence, le public qui découvrira le film en salle et dont l'intrigue s'arrêtera à la fin du Gouffre de Helm en restera pantois, avec le sentiment qu'on lui a menti en lui promettant une histoire complète.

    Capture d'écran

    Dans le film final, lors de certaines batailles, les personnages de la version live ne sont pas rotoscopés, faute d'argent et surtout de temps, car le film a une date de sortie calée à Noël 1978 aux États-Unis, que le studio entend bien respecter coûte que coûte.

    Un Anneau pour les différencier tous

    Malgré ses bonnes intentions et tous les soucis qu'il rencontre en phase de production, force est de reconnaître que le film ne parvient pas à condenser l'intrigue de deux romans épais et complexes en 2h12. A titre de comparaison, Peter Jackson, avec d'autres moyens, y a consacré 7 heures (nous parlons ici des versions longues). Certains passages ne sont pas compréhensibles par quelqu'un qui n'aurait pas lu les livres. Pire encore, des personnages importants de la communauté de l'anneau sont littéralement sacrifiés, tels Legolas (doublé par Anthony Daniels) et Gimli, qui n'apparaissent quasiment dans le récit. Par ailleurs, Merry et Pippin font office de figurants, Tom Bombadil ou Faramir sont absents et Aragorn n'a que peu de temps à l'écran.

    Et si le film de Ralph Bakshi trouve son public avec 30 millions de dollars de recette pour un budget estimé de 8 millions, United Artists, persuadé à l'avance que le film ferait un flop, décide de ne pas financer la suite. Par ailleurs, Bakshi est vraiment fâché avec Zaentz et leur collaboration est désormais impossible. Comme le dira très franchement Bakshi des années plus tard (toujours via THR) :

    Cela peut sonner étrange à vos oreilles aujourd'hui, mais nous étions faits différemment à cette époque... La vie était trop courte pour la passer avec des gens avec qui vous ne vouliez pas être. En d'autres termes, les gens qui vous la mettent alors que vous leur avez fait gagner beaucoup d'argent, vous ne voulez pas encore passer 8 années de votre vie avec eux... [Mais] ce n'était pas facile de partir, car j'aimais Tolkien.
    Capture d'écran

    ...et sur les écrans les lier

    Malgré sa fidélité toute relative aux livres dont elle s'inspire, la version de Bakshi a trouvé si ce n'est la faveur des critiques, au moins la satisfaction d'une partie du public. Ce succès a permis de voir émerger des adaptations radiophoniques du Seigneur des anneaux, une américaine oubliable et une par la BBC en 1981 qui mérite d'être recommandée*. Frodon y est d'ailleurs joué par Ian Holm, qui jouera Bilbo dans Le Seigneur des Anneaux et Le Hobbit pour Peter Jackson.

    Après la sortie du film de Bakshi sort Le Retour du roi, un dessin animé réalisé par le duo Jules Bass / Arthur Rankin Jr. Les deux hommes avaient déjà adapté Bilbo le Hobbit quelques années auparavant mais ne cherchent pas à donner une fin au film de 1978 mais à faire leur propre long métrage. Preuve en est, leur Retour du roi ne commence pas là où Bakshi s'arrêtait et débute sur le siège de Minas Tirith. Il résume le dernier tome de la trilogie de Tolkien en 1h38, avec un style cartoon qui tranche avec l'esthétique de Bakshi. Le film ne restera clairement pas dans les annales.

    En 1985, le studio Disney avec son Taram et le chaudron magique, lorgnera vers une esthétique sombre rappelant clairement celle du long métrage de Bakshi. Il faudra cependant attendre 2001 pour que les fans puissent bénéficier d'une version live du Seigneur des anneaux, puis une adaptation du Hobbit en trilogie, et bientôt une série télé pour la plateforme Amazon, dont le casting vient d'être annoncé :

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    * Une première version radiophonique avait été supervisée par Tolkien en 1955, déjà pour la BBC.

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