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    John Wayne : le jour où Staline a voulu assassiner la star des westerns
    Olivier Pallaruelo
    Olivier Pallaruelo
    -Journaliste cinéma / Responsable éditorial Jeux vidéo
    Biberonné par la VHS et les films de genres, il délaisse volontiers la fiction pour se plonger dans le réel avec les documentaires et les sujets d'actualité. Amoureux transi du support physique, il passe aussi beaucoup de temps devant les jeux vidéo depuis sa plus tendre enfance.

    Ce 26 mai est la date anniversaire de la naissance de John Wayne, figure tutélaire du western hollywoodien. Décédé en 1979 d'un cancer, l'icône controversée fut une victime collatérale d'un essai nucléaire en 1953, survenu non loin d'un tournage...

    Visage carré, mâchoire serrée, posture virile, il a incarné le héros sans peur et sans reproches de l'âge d'or Hollywood. John Wayne, surnommé The Duke, fut l'acteur icône et fétiche des cinéastes Howard Hawks et John Ford, presque toujours l'archétype du cow-boy téméraire investit par la volonté de faire triompher la loi.

    Mais si l'acteur a incontestablement laissé une empreinte indélébile dans l'Histoire du cinéma américain, l'homme a aussi sa part d'ombre, en tout cas de vives controverses. Farouchement anti communiste, volontiers ultra réactionnaire, il fut d'ailleurs élu à quatre reprises président de l'Alliance cinématographique pour la préservation des idéaux américains (la "Motion Picture Alliance for the Preservation of American Ideals" en VO), de mars 1949 à juin 1953, et y a côtoyé Walt Disney. Formée en 1944, cette Alliance avait pour but déclaré de défendre l'industrie cinématographique et le pays dans son ensemble contre ce que ses fondateurs considéraient être une infiltration fasciste et communiste.

    "J'ai joué John Wayne dans tous mes films et ça m'a plutôt pas mal réussi" déclara l'acteur de Rio Bravo, qui jugeait "pervers" des films américains comme Easy Rider et Macadam Cowboy, coupables à ses yeux de mettre en avant des personnages aux relations homosexuelles, symbole d'une Amérique en pleine déliquescence.

    Wayne est décédé en 1979 à l'âge de 72 ans, des suites d'un cancer de l'estomac. Très gros fumeur (entre quatre et six paquets de cigarettes pendant le tournage d'Alamo, puis deux paquets par jour) et capable de boire sans problème une bouteille de whisky par jour, ces (très larges) excès n'ont pas franchement aidé la santé de l'intéressé. Mais l'acteur fut aussi une victime collatérale de retombées radioactives d'un site d'essais nucléaires de l'armée américaine.

    Ce 26 mai marquant le 114e anniversaire de la naissance de l'acteur, c'est l'occasion de revenir sur quelques anecdotes entourant l'icône controversée qu'est The Duke.

    The Duke, tué par Dirty Harry

    19 mai 1953, désert du Nevada. Dans la zone militaire de Yuccat Flat, le Laboratoire National de Los Alamos, créé dans le cadre du Projet Manhattan durant la Seconde guerre mondiale, procède à un nouveau test d'explosion nucléaire. Nom de code  : Harry.

    D'une puissance de 32 kilotonnes, l'explosion atmosphérique est formidable. A un détail près. En raison d'un mauvais calcul et d'un changement de la direction des vents, les retombées radioactives de l'explosion s'éparpillent sur plus de 3000 comtés dans le pays... Des retombées aux conséquences sanitaires dramatiques, qui vaudront à cet essai nucléaire le surnom de "Dirty Harry".

    Deux ans après l'explosion, Howard Hughes envoie son réalisateur Dick Powell tourner non loin du site, à Saint George dans l'Utah, son nouveau film, Le Conquérant. John Wayne, comme une erreur flagrante de casting, a hérité du rôle-titre de Gengis Khan (!). S'inquiétant tout de même de la proximité de la zone des essais nucléaires et d'éventuelles radiations, Howard Hughes sonda le Commissariat à l'énergie atomique américain, pour avis. La réponse ? Aucun problème, le site est parfaitement sûr...

    L'équipe de tournage est ainsi exposée pendant trois mois à des radiations 400 fois supérieures à la dose normale acceptée communément. Elle totalisait 220 personnes et sur ce nombre, 91 ont développé avant 1981 une forme de cancer et 46 en sont morts, dont John Wayne. Si l'intéressé était un gros fumeur, comme rappelé plus haut, il développa un cancer du poumon en 1964, puis un cancer de l'estomac. Wayne amena même ses deux fils, Patrick et Michael, sur le lieu de tournage du film : les deux développèrent plus tard eux aussi un cancer.

    Petite anecdote glaçante supplémentaire : un compteur Geiger, pour mesurer la radioactivité, fut même amené sur le site du tournage par Wayne. Le compteur s'affola tellement que l'acteur pensa qu'il était détraqué...

    Il reste d'ailleurs de cette séquence un célèbre cliché, que voici :

    Depuis 1990, un fonds de soutien créé par le Congrès américain, destiné à venir en aide aux populations affectées par les retombées de Dirty Harry, a versé plus de 2 milliards $ d'aides sous formes diverses. A Saint George, le taux de cancers reste encore, 68 ans après l'explosion, anormalement très élevé.

    La tentative d'assassinat de John Wayne commanditée par Staline

    C'est une histoire à peine croyable, et pourtant tout à fait authentique. Tandis qu'Hitler appréciait les films de Walt Disney, Joseph Staline préférait quant à lui directement expliquer la manière de monter les films aux cinéastes russes, à commencer par Sergei Mikhailovich Eisenstein.

    De nouvelles archives du Politburo ouvertes dans les années 2000, ont mis à jour une passion dévorante du dictateur pour le cinéma. Il possédait ainsi dans chacune de ses maisons sa propre salle de projection et, dans les dernières années de sa vie, le cinéma devint non seulement son loisir préféré mais aussi une source d'inspiration politique. Les archives personnelles de Staline ont en fait révélé que le chef de la Russie se voyait tout à la fois producteur de films, réalisateur, scénariste, mais aussi censeur suprême, suggérant les titres de films, idées, histoires, travaillant même sur des chansons, coachant les acteurs, etc...

    Après une dure journée de labeur, le dictateur se rendait parfois en salle de projection. Il s'installait alors sur un siège à la première rangée, accompagné du terrifiant Lavrenti Beria, chef du NKVD (ancêtre du KGB) et membre du Politburo; Molotov, son ministre des Affaires étrangères; et Andreï Jdanov. "Qu'est-ce que le camarade Bolshakov va nous montrer aujourd'hui ?" demandait alors Staline. Terrifié, Bolshakov, Ministre du cinéma et de la propagande, devait alors jauger l'humeur du dictateur. Si elle était favorable, il pouvait se risquer à proposer un nouveau film soviétique...

    Après la guerre, Staline hérita de la collection personnelle de films de Joseph Goebbels. Il appréciait ainsi les films de Charles Chaplin, ou la Screwball Comedy New York-Miami. Il se fit même livrer Tarzan, l'homme singe ; un film qu'il appréciait grandement. Les westerns figuraient aussi en bonne place dans ses goûts, notamment ceux avec Spencer Tracy.

    Paradoxalement, Staline critiquait constamment les films américains, notamment les westerns, qu'il jugeait beaucoup trop anti communistes. C'est ainsi que John Wayne, anti-communiste notoire, fit les frais de son humeur. Considérant l'acteur comme une menace potentielle à la propagation de l'idéal communiste, le dictateur aurait demandé à la fin d'une projection à ce que l'acteur soit assassiné.

    Des hommes de mains, en l'occurence deux expatriés ukrainiens, furent dépêchés à Los Angeles et chargés d'éliminer The Duke dans sa loge au sein des studios Warner, mais échouèrent dans leur mission. Il y aurait eu deux tentatives d'assassinat; la seconde devant avoir lieu lors du tournage du western Hondo, l'homme du désert, en 1953, au Mexique. Pour l'anecdote et rappel, c'est également au Mexique que fut assassiné en 1940, d'un coup de piolet à l'arrière du crâne, l'ancien leader de la Révolution russe d'octobre 1917, Léon Trotski, par un agent du NKVD envoyé par Staline...

    L'auteur et historien britannique Michael Munn revient notamment sur cette affaire dans son ouvrage John Wayne : the Man Behind the Myth. C'est le FBI qui aurait empêché in extremis ces tentatives d'assassinat. Khrouchtchev, nouveau Secrétaire général du Parti Communiste et successeur de Staline, leva cet ordre d'assassinat en 1953, à la mort du Petit père des peuples comme le dictateur se faisait appeler.

    Khrouchtchev admirait John Wayne, et le rencontra même en 1958 lors d'une entrevue. Ce n'est qu'à cette date que l'acteur connu la vérité à propos de ces tentatives d'assassinat, de la bouche même du maître du Kremlin : "C'était une décision de Staline prise durant ses cinq dernières années de folie. Quand Staline est mort, j'ai annulé l'ordre".

    John Wayne et la cérémonie des Oscars de 1973

    Lors de la cérémonie des Oscars 1973, Marlon Brando remporte la statuette pour son rôle de Don Corleone dans Le Parrain. Mais l'intéressé n'est pas présent dans la salle. A la stupeur de l'assemblée, c'est une jeune actrice aux origines apache et Yaqui, Sacheen Littlefeather, qui vient sur scène, pour refuser le prix à sa place.

    Une occasion pour l'acteur américain, qui a toujours combattu la discrimination raciale dans le monde du spectacle, de s'élever en faveur de la cause des natifs américains suite aux affrontements opposant les autorités fédérales aux militants de l'American Indian Movement dans le village de Wounded Knee, dans le Dakota du Sud.

    Sacheen Littlefeather déclara que l'acteur attendit la veille de la cérémonie des Oscars pour lui demander qu'elle y aille à sa place et refuser la statuette, lui permettant ainsi de s'adresser en direct à 85 milions de personnes.

    Une initiative controversée, et un moment tendu et difficile pour Sacheen Littlefeather, qui a essuyé de nombreux sifflets. La jeune femme a tout de même été ovationnée au terme de sa courte intervention dont voici un extrait : "Bonsoir. Mon nom est Sacheen Littlefeather. Je suis apache et (...) je représente Marlon Brando à cette soirée (...). C'est à regret qu'il ne peut accepter cette très généreuse récompense, en raison de la manière dont sont traités les Indiens d'Amérique aujourd'hui par l'industrie cinématographique (...)."

    Revoici en vidéo ce moment entré dans l'Histoire...

    Derrière le rideau, en coulisse, John Wayne observe la séquence, qui lui est insupportable, et éructe. La suite, c'est Sacheen Littlefeather elle-même qui l'a raconté, dans une interview qu'elle avait donné en 2016. L'acteur menace de se rendre sur scène pour la dégager derechef. Il a fallu pas moins de six personnes chargées de la sécurité pour l'en empêcher...

    Deux ans auparavant, dans une désormais fameuse interview accordée au magazine Playboy, John Wayne avait lâché des propos qui écorne largement le mythe : "Je ne crois pas que nous ayons mal fait de prendre ce grand pays aux Indiens (…). Je crois à la suprématie blanche jusqu’à ce que les Noirs soient éduqués", alors qu'il est interrogé sur la figure de l'antiracisme des années 1970 Angela Davis. Il poursuit en refusant de "se sentir coupable du fait que voici cinq ou dix générations, ces gens étaient des esclaves", et déplore que "certains Noirs tentent de forcer la main pour entrer à l'université alors qu'ils n'ont pas réussi les tests et n'ont pas le bagage requis".

    Des propos qui reviendront comme un boomerang près de 50 ans plus tard. En 2019, une exposition permanente consacrée à l'idole a carrément été retirée des couloirs de l'USC School of Cinematic Arts, la très prestigieuse école de cinéma californienne. "En tant qu'acteur du changement dans la promotion des valeurs et des expériences culturelles antiracistes", l'établissement a jugé impossible de maintenir cet hommage à l'un de ses plus célèbres pensionnaires.

    Les étranges conseils du Duke à Michael Caine

    Histoire de terminer sur quelque chose de nettement plus léger, on évoquera le récit par Michael Caine de sa savoureuse première rencontre avec The Duke. Il l'évoquait dans sa nouvelle autobiographie publiée en 2018, et intitulée Blowing the Bloody Doors Off, mais aussi la même année sur le plateau de la très sympathique émission du Graham Norton Show, en octobre 2018.

    Peu après avoir tourné dans le film Alfie le dragueur en 1966, qui fut un gros succès et lui a même valu une citation à l'Oscar du Meilleur acteur, Michael Caine débarque pour la premièr fois à Hollywood, et séjourne une semaine durant au mythique Beverly Hills Hotel, haut lieu du tout Hollywood et très régulièrement fréquenté par les stars.

    Un jour alors qu'il est assis dans un coin du Lobby, un hélicoptère se pose carrément sur la pelouse de l'hôtel. Sort un John Wayne habillé en cow-boy, Stetson compris ! Alors qu'il se dirige vers la réception de l'hôtel, Wayne remarque Michael Caine qui l'observe, et lui lance : "ce n'est pas vous qui jouez dans le film "Alfie" ?" Répondant par l'affirmative, Wayne lui lâche alors : "tu seras une star, petit ! Mais si tu veux le rester, suis mon conseil : parle lentement, parle à voix basse, et n'en dit pas trop [de dialogues]".

    Et Wayne d'ajouter cet autre "conseil" quelque peu lunaire : "autre chose : ne porte jamais de chaussures en daim. Parce qu'un jour, Michael, quand tu iras pisser, le gars qui sera à côté de toi te reconnaîtra, et il se tournera vers toi en disant "Michael Caine !!!" et pissera partout sur tes chaussures !" Sympa.

    On ne commentera guère le second conseil du Duke. En revanche, le premier aurait tout à fait pu s'appliquer si Caine avait effectivement incarné un cow-boy ou joué dans des westerns, souvent peuplés de personnages mutiques. Mais c'était un registre plutôt éloigné de la panoplie de talents de Caine, surtout habitué à incarner des rôles passant par des dialogues ciselés.

    Ci-dessous, la séquence du Graham Norton Show où Michael Caine raconte cette savoureuse anecdote, avec son phrasé inimitable...

     

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