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    Cannes 2021 : Religion, sexualité, scandales... Benedetta vu par Paul Verhoeven
    Thomas Desroches
    Thomas Desroches
    -Journaliste
    Les yeux rivés sur l’écran et la tête dans les magazines, Thomas Desroches se nourrit de films en tout genre dès son plus jeune âge. Il aime le cinéma engagé, extrême, horrifique, les documentaires et partage sa passion sur le podcast d'AlloCiné.

    Au cinéma et présenté en compétition officielle au 74e Festival de Cannes, "Benedetta" est le dix-septième film de Paul Verhoeven. Un drame historique sans fausse pudeur et qui ne craint pas la controverse. Rencontre avec le réalisateur.

    Les scandales sont vieux comme le monde. En 1625, un particulièrement sulfureux vient ébranler les âmes puritaines du couvent de Pescia, en Italie. Une des religieuses, sœur Benedetta Carlini, prétend avoir des visions dans lesquelles Jésus s’adresse directement à elle. Surtout, elle est accusée de lesbianisme avec une autre nonne, sœur Bartholomea. L’Église lance une enquête, avant d’ordonner un procès. Cette histoire fascinante, mais véridique, devient un film orchestré par Paul Verhoeven.

    Les scandales, le réalisateur en connaît un rayon. Après le sexy et sanglant Basic Instinct, le conspué mais désormais salué Showgirls ou encore l’immoral Elle avec Isabelle Huppert, le cinéaste hollandais ne délaisse pas son goût pour la controverse. Avec Benedetta, adaptation du livre Immodest Acts de Judith C. Brown, il signe un drame historique mêlant religion, homosexualité, possession et manipulation. Une équation forcément brûlante, mais avant tout captivante.

    Benedetta
    Benedetta
    Sortie : 9 juillet 2021 | 2h 11min
    De Paul Verhoeven
    Avec Virginie Efira, Charlotte Rampling, Daphne Patakia
    Presse
    3,5
    Spectateurs
    3,0
    louer ou acheter

    Quelques jours avant le début de la 74e édition du Festival de Cannes, où le film est présenté en compétition officielle, AlloCiné a rencontré Paul Verhoeven à Paris. Durant cet échange, l’auteur est revenu en profondeur sur sa vision de la religion, son obsession pour Jésus, l’importance de la sexualité dans le film et sur le tournage, ainsi que son rapport aux polémiques qui ont rythmé son immense carrière.

    Benedetta, un film sur la misogynie

    Virginie Efira présente Paul Verhoeven comme un “réalisateur féministe”. Beaucoup d’autres femmes ne seraient pas d'accord. Le cinéaste a souvent été accusé de sexualiser et brutaliser ses héroïnes à l'écran. Dans Benedetta, c’est pourtant l’oppression patriarcale subies par elles qui l’a inspiré à raconter cette histoire :

    Ce récit en dit long sur la façon dont les gens au Moyen-Âge considéraient les femmes comme secondaires aux hommes. D’un point de vue biblique, Eve n’est rien d’autre qu’une partie d’Adam. Certains pensent encore comme ça, notamment aux États-Unis. Les évangéliques, qui représentent entre 20 et 30% de la population américaine, défendent encore l’idée que l’homme est supérieur. Cette histoire se passe en 1625 et c’était important pour moi de montrer où nous en sommes, 400 ans plus tard, dans les relations hommes-femmes.

    Jésus revient !

    La religion est omniprésente dans le travail de Paul Verhoeven. Au cinéma bien sûr, mais aussi en parallèle. En 2008, il publie même un livre sur Jésus de Nazareth. Dans Le Quatrième homme, film qu’il réalise avant son aventure hollywoodienne, il place l’un de ses personnages sur une croix, le corps musclé et huilé, vêtu d’un slip rouge moulant. Première provocation. Dans son classique RoboCop, en 1987, il réutilise le Christ comme une métaphore. “C’est un film sur la résurrection. Au début, il est en quelque sorte crucifié, puis ressuscité. Ça c’est très Jésus”, souligne-t-il avant de se mettre à rire.

    Ici, avec Benedetta, Jésus-Christ apparaît à de multiples reprises et sous des formes parfois étonnantes : “La façon dont l'héroïne perçoit Jésus change au cours du film. Elle peut l’imaginer avec un sexe de femme car elle ne sait pas à quoi ressemble un pénis. C’est quelque chose qu’elle ne peut pas inventer. Je voulais entrer dans sa tête et montrer le Christ à travers sa pensée. Toutes les visions mentionnées dans le livre de Judith C. Brown sont des retranscriptions de ce que la vraie Benedetta avait expliqué durant son procès. Nous nous sommes servis de ça pour le film.

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    Tourner les scènes de sexe

    Virginie Efira et Daphné Patakia se donnent corps et âme dans Benedetta. Les deux actrices partagent plusieurs scènes intimes, mais l’embarras n’avait pas sa place sur le tournage : “La nudité n’a jamais été un sujet. C’était clair dès le début. Dès notre première rencontre, j’ai dit à Virginie qu’il y aurait de la nudité. Elle a eu le scénario et je lui ai donné le storyboard que j’avais moi-même dessiné.”

    D’une certaine manière, il s’agissait de reconstituer le passé. Il y avait ces gestes décrits dans le livre. Si vous lisez le livre, vous verrez que pendant le procès, c’était formulé exactement de cette manière par Bartholomea. Ce qu’elles faisaient dans le lit et tous les détails. “Combien de fois avez-vous fait l’amour ?”, “Combien de fois avez-vous embrassé son vagin ?” D'ailleurs, ils disent “embrassé”, mais c’était “léché” bien sûr. C’est intéressant que tout soit dans ces papiers. Sur le tournage, tout le monde comprenait que l’on ne construisait pas quelque chose. Nous reproduisions ce qui était déjà là.

    Le même film à Hollywood, c’est possible ?

    Benedetta est un film majoritairement français. Pour le réalisateur, le produire aux États-Unis aurait été une mission impossible : “Jamais de la vie. Et puis aucune actrice ne voudrait le faire. Virginie Efira et Daphné Patakia sont audacieuses, mais en réalité, la nudité en France n’est pas aussi taboue qu’en Amérique. Quand j’avais 12 ans, je vivais encore aux Pays-Bas, à La Haye, et mon père m’emmenait à Paris en vacances. Nous avons été aux Folies Bergères. Tout à coup, je voyais une vingtaine femmes nues devant moi et il me disait : “Oh en France, c’est normal !”. J’ai tout de suite assimilé que c’était culturel (rires). Ici, le rapport à la nudité est très différent comparé aux États-Unis et même aux Pays-Bas où c’est parfois compliqué.

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    Verhoeven et les critiques, l’amour-haine

    Lorsque le mot “sulfureux” pour qualifier ses films est prononcé, Paul Verhoeven lance : “Ah oui, "sulfureux" ! C’est comme ça que les gens en parlent. Je ne le savais pas, je l’ai découvert dans des articles de presse. “Sulfureux”, comme l’Enfer (rires).” Par le passé, chacun de ses films a reçu son petit lot de polémiques, mais le réalisateur n’est plus impressionné :

    Je peux passer au-dessus. Sauf s’il y avait un vrai danger, mais ce n’est pas le cas. Même après Showgirls, j’étais conscient qu’il pouvait y avoir des problèmes et de sérieuses répercussions. Je ne sais pas si c’est possible ici, en France. Je ne sais pas comment le film serait accueilli aux Etats-Unis, ça serait certainement plus dangereux."

    Il poursuit : "Que les gens soient dérangés ou en colère, notamment les critiques, c’est le cas depuis que je fais des films. Je suis vraiment habitué à ça. Il y a ce film hollandais que j’avais fait, Spetters, en 1980. C’était horrible ! Pendant des mois, des années, c’était “la pire chose que vous puissiez faire en tant que réalisateur”. Ils étaient furieux. Les critiques ont défoncé le film ! Tout le monde ! Ils y revenaient sans arrêt. Quand un autre film sortait, ils disaient “C’est un bon film, si vous le comparez à cette merde de Spetters.” Cela a pris une bonne vingtaine d’années avant que les gens voient Spetters d’une manière différente aux Pays-Bas. Une éternité.

    Sur la réputation chaotique de son film Showgirls, désormais réhabilité : “C’est la version américaine de Spetters. La seule différence est que Spetters était un film très apprécié par le public aux Pays-Bas. Il a rapporté beaucoup d’argent. Showgirls s’est fait défoncer dès le début. Seulement après, avec les ventes de DVD, il a rapporté plus de 100 millions de dollars. Mais cela a pris du temps.

    Propos recueillis par Thomas Desroches, à Paris, le 1er juillet 2021.

    L'interview croisée de "Benedetta" entre Virginie Efira et Paul Verhoeven :

     

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