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    Pass sanitaire au cinéma : réalisateurs, distributeurs et producteurs dénoncent un "assassinat"
    Vincent Formica
    Vincent Formica
    -Journaliste cinéma
    Bercé dès son plus jeune âge par le cinéma du Nouvel Hollywood, Vincent découvre très tôt les œuvres de Martin Scorsese, Coppola, De Palma ou Steven Spielberg. Grâce à ces parrains du cinéma, il va apprendre à aimer profondément le 7ème art, se forgeant une cinéphilie éclectique.

    L'extension du pass sanitaire dans les lieux culturels comme les cinémas continue de susciter de vives réactions. Réalisateurs, distributeurs et producteurs réagissent à cette mesure qu'ils jugent inappropriée et destructrice.

    D.R.

    Après les annonces d'Emmanuel Macron du 12 juillet concernant l'instauration du pass sanitaire, la fréquentation des salles de cinéma a chuté de manière drastique.

    En vigueur depuis le 21 juillet, cette nouvelle mesure restrictive a suscité la polémique et la réaction virulente de réalisateurs, distributeurs et producteurs. Dans les colonnes de Libération, ces derniers livrent leurs vives inquiétudes après l'effondrement de la fréquentation de près de 70%.

    Ceci est d'autant plus dommageable que les spectateurs commençaient à revenir en masse dans les salles après plus de 300 jours de fermeture. À titre d'exemple, Fast and Furious 9 a vu ses entrées chuter de 80% en une semaine.

    Même si le gouvernement promet des aides pour compenser les pertes liées à l'instauration du pass sanitaire, certains longs-métrages semblent avoir été sacrifiés ce fameux 21 juillet.

    Ainsi, le film événement d'Arthur Harari, Onoda, sensation du dernier Festival de Cannes, sorti ce jour-là, a subi les conséquences du pass sanitaire.

    Onoda - 10 000 nuits dans la jungle
    Onoda - 10 000 nuits dans la jungle
    Sortie : 21 juillet 2021 | 2h 47min
    De Arthur Harari
    Avec Yûya Endô, Kanji Tsuda, Yuya Matsuura
    Presse
    4,4
    Spectateurs
    4,0
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    "Il y a une forme de malchance évidente. Le jour de la sortie de mon film est le jour où on perd 70 % de la fréquentation moyenne. Ça laisse forcément pantois. Une fois qu’on a dit que c’était violent, il faut voir que ça tombe sur la tête de tout le monde, de façon égalitaire – même si personne n’est tout à fait à égalité dans la distribution", confie le cinéaste, très amer.

    "Ce que j’ai à dire est extérieur à l’expérience de mon film, c’est l’absurdité de ce pass sanitaire dans les cinémas. Il n’est pas prouvé que ce sont des lieux de clusters : s’il y a un endroit où on aurait pu ne pas le faire à mes yeux, c’est celui-ci. C’est d’une brutalité extrêmement antidémocratique, la manière dont ça a été fait. Ça correspond à la brutalité de ce régime, qui met les gens en colère. Je n’ai pas de leçons à donner au gouvernement mais je pense que c’est une connerie", dénonce le metteur en scène.

    Pourquoi nous différencier des autres lieux de rassemblement ? On a été assassiné, atomisé.

    UNE INJUSTICE TOTALE

    Pour Michel Saint-Jean de chez Diaphana, distributeur de Titane, cette décision de l’instauration du pass sanitaire sans la moindre négociation préalable dès le 21 juillet est une injustice totale. "Pourquoi ce traitement de défaveur ? Pourquoi nous différencier des autres lieux de rassemblement ? On a été assassiné, atomisé", s'emporte-t-il.

    "C’est incompréhensible et d’un mépris, d’une indifférence que je ne m’explique pas à l’égard du cinéma et de la culture en général. Pour Titane de Julia Ducournau que nous avons sorti sur 200 copies, l’effet surprise de la palme freine la chute de fréquentation mais ça n’en demeure pas moins une catastrophe car c’est un film qui vise un public jeune.

    Or c’est précisément la partie de la population qui n’est pas la plus vaccinée et qui, on le voit au box-office dès mercredi dernier, n’est plus au rendez-vous après que le film a triplé ses entrées au lendemain de la palme. On était dans l’énergie d’un festival de Cannes décalé, Thierry Frémaux s’est battu pour que ça ait lieu, que les films refassent événement, et la décision tombe sans un début de concertation, sans nous laisser a minima une fenêtre d’exploitation de trois semaines qui nous aurait permis de nous retourner, et tout est fracassé", s'insurge le producteur, interrogé par Libération.

    Titane
    Titane
    Sortie : 14 juillet 2021 | 1h 48min
    De Julia Ducournau
    Avec Vincent Lindon, Agathe Rousselle, Garance Marillier
    Presse
    3,5
    Spectateurs
    2,6
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    Pour ce dernier, il faut désormais craindre de nouveaux décalages, le temps que la situation s'éclaircisse. Pas si facile pour autant : "J’ai aussi Drive My Car de Ryusuke Hamaguchi qui est programmé le 18 août. Spontanément je l’aurais décalé mais c’est trop tard, les achats d’espace, les articles presse, les mentions dans les programmes des salles art et essai, tout est lancé donc on maintient mais cette manière de changer les règles à vue, sans dialogue ni explication, est terrifiante", confie Michel Saint-Jean.

    Ce qui est brutal pour nous tous, c’est que notre priorité est de retrouver le public.

    Régine Vial, distributrice de Bergman Island et Tom Medina via Les Films du Losange, dénonce aussi la violence de la décision du gouvernement. "Ce qui est brutal pour nous tous, c’est que notre priorité est de retrouver le public. Tout mon temps et mon énergie, le chemin que j’essaye de dessiner, consistent à donner aux gens l’envie de voir des films, retrouver une qualité d’échange, que les metteurs en scène aillent à la rencontre des spectateurs.

    On a souhaité sortir Bergman Island en même temps que la première à Cannes parce qu’il me semblait qu’il y aurait un événement autour du film. Après avoir été retardé d’un an, il avait attendu longtemps pour qu’on puisse l’emmener en compétition. La première semaine était très bien, puis le film s’est écroulé en deuxième semaine dans la proportion du reste du marché. C’est une très grande difficulté pour nous car il y a un fort investissement de frais de sortie. On ne s’y attendait pas du tout", déplore-t-elle.

    Bergman Island
    Bergman Island
    Sortie : 14 juillet 2021 | 1h 53min
    De Mia Hansen-Løve
    Avec Vicky Krieps, Tim Roth, Mia Wasikowska
    Presse
    3,5
    Spectateurs
    3,0
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    Quant à Hafsia Herzi, réalisatrice de Bonne mère, en salles depuis le 21 juillet, elle dénonce une véritable catastrophe. "Ça a été très difficile : il a fallu que ça tombe le jour de la sortie de mon film. Dans le contexte de l’épidémie, on pensait que les choses allaient revenir doucement à la normale, et que l’été était la fenêtre la plus safe, alors que ce n’est pas d’habitude le moment le plus propice pour ce genre de films. Le plus dur, c’est pour les distributeurs, les producteurs, qui ont pris les risques financiers – nous les auteurs, on s’investit différemment", explique l'actrice et cinéaste.

    Je ne comprends toujours pas le risque qu’il y a à être dans une salle de projection par rapport à plein d’autres activités.

    "Je ne comprends toujours pas le risque qu’il y a à être dans une salle de projection par rapport à plein d’autres activités pour lesquelles on ne fixe pas les mêmes mesures. Une fois de plus, on ne se sent pas du tout considérés. Après la première à Cannes, j’ai continué d’accompagner mon film, hier à Nancy, avant-hier à Metz. Il y a un peu de monde, mais les exploitants de salles me disent qu’ils sont au bout du rouleau, et certains veulent fermer. C’est dingue qu’il y ait des contrôles de police quand on pense que le cinéma et la culture sont censés être un plaisir, une évasion", déclare-t-elle.

    Bonne mère
    Bonne mère
    Sortie : 21 juillet 2021 | 1h 39min
    De Hafsia Herzi
    Avec Halima Benhamed, Sabrina Benhamed, Jawed Hannachi Herzi
    Presse
    3,8
    Spectateurs
    3,5
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    Pour Nicolas Anthomé, producteur d'Onoda, le pass sanitaire est de la pure communication politique, une méthode de manipulation pour faire stresser les Français. "Si vous ne vous vaccinez pas en masse, vous n’aurez plus de vie, et on va vous le montrer dès demain : vous n’irez plus au cinéma sans pass sanitaire.

    Je n’aime pas l’expression, mais c’est devenu une charge mentale pour le public : avoir les bons papiers, faire un test, montrer des trucs à la porte. Pour Onoda, c’est très difficile d’estimer la perte. Si on regarde la baisse globale du marché, il y a des éléments pour penser qu’on a au moins perdu la moitié de ce qu’il aurait fait. Ce qui est sûr, c’est que c’était le pire jour pour sortir."

    CONTOURNER LES RESTRICTIONS

    Cependant, certains cinémas ont décidé de jongler avec les règles du pass sanitaire en proposant des séances à jauge réduite ou des tests antigéniques réalisés sur place.

    Par exemple, au multiplex de Compiègne, des tests sont proposés gratuitement jusqu'à mi-août, quatre jours par semaine, dont le weekend, dans un espace privatisé en partenariat avec une pharmacie locale. "On voulait une solution même pour les séances avec pass obligatoire, pour ne laisser personne sur le bord de la route", explique sa PDG, Laurence Meunier au micro de France Info.

    Pour Loïc Arnaud, responsable de la gestion du cinéma Majestic à Lille, "c'est une catastrophe. En dépit d'une riche programmation, on fait des journées à 200 ou 300 spectateurs, alors qu'on fait facilement le double en temps normal. On est en flux tendu en terme de personnel alors que le pass exige de passer deux à trois fois plus de temps pour éditer un ticket".

    Alors qu'Aya et la sorcière a été décalé à une date ultérieure en raison de ces mesures restrictives, il se murmure que le très attendu Eiffel (11 août) pourrait aussi être reporté. On peut donc s'attendre à de nouveaux décalages dans les prochaines semaines si une solution viable n'est pas trouvée.

     

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