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    De Kubrick à Almodovar : 10 idées géniales de mises en scène
    Laetitia Ratane
    Laetitia Ratane
    -Responsable éditoriale des rubriques Télé, Infotainment et Streaming
    Très tôt fascinée par le grand écran et très vite accro au petit, Laetitia grandit aux côtés des héros ciné-séries culte des années 80-90. Elle nourrit son goût des autres au contact des génies du drame psychologique, des pépites du cinéma français et... des journalistes passionnés qu’elle encadre.

    Raccords bluffants, ellipses mises en scène avec talent... : ces plans de cinéma vous ont laissé bouche bée tant ils sont bien pensés ! Voici 10 trouvailles inoubliables de metteurs en scène inspirés.

    MGM

    Almodovar, Kubrick, Welles, Spielberg, Bunuel... Pour n'en citer qu'une poignée. Nombreux sont les cinéastes à nous avoir offert d'inoubliables moments de cinéma avec leurs oeuvres, régulièrement émaillées de géniales idées de mises en scène, dont certaines d'entre elles ont durablement imprimé la rétine et notre mémoire cinéphilique. En voici dix.

    Le raccord sur la serviette dans "Julieta"

    Pathé Distribution

    Présenté à Cannes et dans les salles en mai 2016, le dernier opus de Pedro Almodovar était reparti bredouille du Festival non sans avoir marqué les esprits et les coeurs. Portrait d'une femme brisée par la perte des êtres qui lui étaient le plus cher, Julieta plonge dans les affres de la relation féminine la plus passionnelle qui soit : celle d'une mère avec sa fille et par extension d'une femme avec elle-même et... le temps qui passe.

    Preuve s'il en est de l'alchimie parfaite existant dans le film entre le fond (plein de noirceur) et la forme (pleine de sens), le raccord de la serviette est saisissant. En un plan, l'enfant de l'héroïne essuie les cheveux mouillés et le visage défait de sa mère dépressive (Adriana Ugarte) puis soulève la serviette, découvrant des traits soudainement vieillis (ceux d'Emma Suarez) par le mal être et le temps. Une manière efficace et diablement élégante de souligner les dégâts de la dépression et la soudaineté du vieillissement... qui attaquent sans prévenir.

    La séquence en question...

    Le miroir dramatique dans "Contact" de Robert Zemeckis

    Une jeune et brillante astronome (Jodie Foster) se souvient de la mort de son père alors qu'elle n'était qu'une enfant. Un moment passé fondateur pour l'héroïne, mis en scène avec brio par Robert Zemeckis : la fillette qui vient de découvrir son père effondré sur le sol, court à l'étage pour chercher ses médicaments. Musique dramatique et ralenti sur sa course annoncent déjà la tragédie en cours. Sans le moindre cut, ce que l'on croyait être un simple travelling objectif se présente comme un plan semblant avoir été entièrement tourné dans le miroir de l'armoire à pharmacie. Bluffant.

    Si l'on revoit attentivement le plan séquence, on se rend compte qu'il a en réalité été inversé à 180° en post production, la preuve en est la rembarde de l'escalier à gauche dans le sens de la descente quelques temps plus tôt, et... encore à gauche dans le sens de la montée. L'effet miroir de la scène, saisissant, repose sur un raccord parfait, moyennant une retouche numérique qui laisse apparaître le fameux miroir à gauche. Le but de cette prouesse technique ? Insister sur la réflexion du souvenir traumatisant, obsédant, crucial.

    Un plan à découvrir ci-dessous...

    L'ellipse dans "2001, l'odyssée de l'espace" de Stanley Kubrick

    Un hominidé lance en l'air un os, qu'il a réussi à maîtriser en tant qu'outil et même en tant qu'arme. Propulsé dans les airs, l'objet retombe et "devient" un vaisseau spatial de forme similaire et dont la trajectoire ascendante est la même que celle de l'os. Le tout sur la musique signifiante "Ainsi parlait Zarathoustra" de Richard Strauss suivie du "Beau Danube bleu" de Johann Strauss.

    Si l'on ne devait retenir qu'une scène du mythique 2001, l'Odyssée de l'espace, ce serait celle-là. En un simple raccord, sans transition et sans rupture du mouvement en cours, Stanley Kubrick relie deux âges très éloignés l'un de l'autre : en une vraie seconde à l'écran, des millions d'années d'évolution -décisives- sont suggérées. Une réflexion sur le temps de l'espace et de l'espèce (devenue "maître et possesseur de la nature") somptueuse...

    A admirer ci-dessous...

    Le choc d' "Un chien andalou" de Luis Bunuel

    Ils n'auraient pas aimé qu'on analyse ne serait-ce qu'un des plans fous de leur Chien Andalou, eux qui se sont "amusés" pour ce film au jeu du "cadavre exquis", un exercice "surréaliste" consistant à enchaîner toutes images choquantes nées de leurs inconscients respectifs, sans désir de rationnalisation. Et pourtant, difficile de résister au commentaire de ce court métrage, fruit de l'imagination débridée d'un Salvador Dali et d'un Luis Buñuel inspirés.

    Le plus saisissant et inoubliable de ce chef d'oeuvre ? Les plans accolant l'image d'une lame de rasoir fendant un oeil et d'un nuage effilé coupant la lune. Un raccord rêvé par Luis Buñuel lui-même, emblématique de la violence et de la beauté de sa première oeuvre. Une oeuvre dans laquelle l'auteur se met en scène en acteur du sacrilège, en montreur de l'immontrable, en créateur d'une réalité poétique qui déchire les voiles de la perception et secoue le spectateur, invité à "voir d'un autre oeil que de coutume". Rien que ça.

    La séquence, ci-dessous...

    Le retour dans le passé de "Citizen Kane" chez Orson Welles

    Difficile de citer un seul plan de ce chef d'oeuvre absolu du cinéma, incontournable sujet des cours d'analyse de l'image. Et pourtant. Parmi les séquences virtuoses (l'ouverture notamment) et les raccords les plus judicieux de Citizen Kane, on a choisi de retenir le moment du film qui met en scène pour la première fois un flash back : celui où Orson Welles dévoile l'enfance de son héros à la faveur d'un fondu au blanc permettant de surimprimer de la neige sur la lettre du narrateur.

    Aussi impressionnnant que difficile à réaliser en tenant compte du décor, le célèbre travelling arrière qui suit, laisse peu à peu Charles en arrière plan, faisant apparaître en amorce sa mère puis la maison et les tractations qui s'y jouent. Une mise en scène au cordeau (il faut que le chariot évite la table située dans le champ) pleine de sens, qui après avoir déplacé le point de vue à l'intérieur de la maison familiale, oppose l'univers libre de l'enfant à celui rigide des adultes, figé car sous contrainte. Le surcadrage du petit garçon (par la fenêtre puis par le cadre lui-même) signale judicieusement son progressif emprisonnement.

    A voir ci-dessous...

    L'allumette embrasée dans "Lawrence d'Arabie" de David Lean

    Six ans avant 2001, l'Odyssée de l'espace et Kubrick, David Lean signe une scène d'anthologie née là aussi d'un raccord à la symbolique très forte. Le charismatique Lawrence d'Arabie souffle sur une allumette pour l'éteindre. Cut. Un magnifique lever de soleil se dessine dans le désert.

    Un enchaînement pur de deux plans accolant l'infiniment petit (la flamme) à l'infiniment grand (la lumière du soleil), là pour souligner la mégalomanie du personnage, persuadé d'être un démiurge, un surhomme capable de dépasser les autres et sa propre condition, par la négation de sa souffrance et l'accomplissement de miracles.

    Quoi qu'il en soit, ce plan, probablement un des plus célèbres du cinéma américain, a profondément marqué un jeune garçon promis à un grand avenir : Steven Spielberg.

    Le revoici...

    Les corps figés dans "Hiroshima mon amour" d'Alain Resnais

    L'une des plus belles séquences d'ouverture du cinéma français, toute de douceur et de douleur mêlées. Dans Hiroshima mon amour, l'étreinte est fondatrice qui se joue dès les premières secondes entre un homme et une femme rescapés de l'horreur. A quoi ressemble les amoureux d'Hiroshima ? A des fragments (car filmés en plans serrés) d'êtres figés, semblant émerger d'un bain de cendres avant de fondre, en sueur.

    En enchaînant ainsi ses plans perturbants, sur les accords étrangement inoubliables de Georges Delerue et Giovanni Fusco, Alain Resnais souligne à quel point l'amour a été et sera désormais toujours teinté de la mort et du poids du souvenir, la fusion des corps abîmés rappelant la fusion (puis la fission)... nucléaire.

    Un fondu aussi poétique qu'édifiant, à revoir ici :

    Le cadre étiré dans "Mommy" de Xavier Dolan

    Xavier Dolan a, dès ses débuts, montré à quel point il savait maîtriser le langage cinématographique pour faire passer les émotions les plus excessives. De tous ses films, virtuoses, Mommy est sans nul doute le chef d'oeuvre, sachant allier la fièvre du prodige passionné et la maîtrise du réalisateur confirmé. Emmenée par le jeune Antoine-Olivier Pilon, la scène clef du film se joue sur les accords du tube d'Oasis, Wonderwall.

    Dans une séquence clipée au cours de laquelle il fait du skateboard en musique et en liberté, le jeune héros (sorte d'alter ego enragé du fougeux Dolan) écarte les bras et suivant son mouvement, le cadre s'élargit passant du format inhabituel choisi pour le film (1:1) à celui plus habituel (1:85:1) utilisé par le cinéma.

    Les bandes noires latérales qui, outre le fait d'oppresser le spectateur, ont jusqu'ici exprimé l'enfermement des personnages, disparaissent d'un seul geste, donnant de l'air au décor et à ses héros, autorisés à croire dès lors à un avenir meilleur. Une échappée belle audacieuse et ingénieuse, qui explose littéralement les cadres de la mise en scène, au plus près du ressenti des personnages.

    La séquence de la roue de la douleur dans "Conan le barbare" de John Milius

    Une autre jolie manière d'illustrer la force du temps qui passe. Dans Conan le Barbare, le jeune homme devenu esclave après le massacre de sa famille, se retrouve enchaîné, contraint pendant des années à tourner une énorme roue dite "de la souffrance". Il sera le dernier survivant à la mouvoir, devenant au terme de son entrainement forcé l'invincible héros que l'on connaît.

    La séquence de John Milius, qui enchaîne les plans sur les jambes de plus en plus musclées de Conan, a l'art de condenser en quelques secondes ces années de souffrance qui, après avoir forgé son corps et son esprit, ont fait d'un jeune garçon (Jorge Sanz) un homme (Arnold Schwarzenegger), devenu indestructible à la force du poignet.

    Le souvenir en fumée dans "L'homme qui tua Liberty Valance" de John Ford

    A la fin du film culte de John Ford, Doniphon (John Wayne) explique à Ransom Stoddard (James Stewart) qu'il n'a pas, comme il le pense, tué le fameux Liberty Valance (Lee Marvin). "Souviens-toi", ajoute-t-il face au regard hébété de son interlocuteur. En crachant la fumée de sa cigarette, Wayne introduit le flash back : le plan devient flou avant de virer au noir. Noir qui représente en réalité son dos et qui se défait lorsqu'il avance progressivement au plan suivant, laissant apparaître l'image...

    Le souvenir émane de la fumée, l'obscurité émane du corps de Wayne... Deux raccords brillants, qui expriment à la fois le caractère évanescent des images qui vont suivre et le côté sombre et ténébreux du héros qui les crée, par son geste et par son corps. Une manière judicieuse pour Ford de conférer ici à Wayne le statut de metteur en scène du souvenir et donc du film, qui repose entièrement sur ce moment passé... charnière.

    Double raccord, double sens :

     

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