PA-SSIO-NNANT !! Mais alors… pourquoi n’ai-je pas donné la note maximale ? Oui je comprends que vous vous posiez la question, puisque si j’étais à votre place, ça m’interpellerait aussi. Eh bien voilà : j’avais été littéralement emporté par le monumental travail de fourmi mis en avant dans "Spotlight" (2015), et en plus nous avons partagé de près (de très près même) les émotions de chacun des protagonistes. D’accord le sujet est totalement différent, puisque "Spotlight" révélait au grand jour une scandaleuse affaire de pédophilie. Mais est-ce que "Pentagon papers" est si différent que ça ? Si on résume tout cela à la liberté de la presse, au devoir d’information de cette dernière auprès des gouvernés et non des gouvernants, et des difficultés pour publier les sujets sensibles, alors non ils ne sont pas si différents que ça. Quoiqu’il en soit, alors que "Spotlight" fascinait par l’enquête, "Pentagon papers" captivera par les enjeux. Après, ceux qui connaissent l’histoire n’auront guère de surprises quant au dénouement. Cependant, que le spectateur aime ou pas le thriller journalistique (ici à caractère historique), Steven Spielberg sait le captiver dès les premières images. Direction le Vietnam, en pleine brousse sanguinolente de pluie sur une unité de soldats américains dans laquelle évolue un observateur chargé de rédiger un rapport sur l’évolution du conflit. Et par son attitude, on sait que c’est grâce à lui que le scandale va éclater au grand jour. Mais quand ? Nous savons tous que les gouvernements quels qu’ils soient manipulent plus ou moins un jour les médias, quitte à les museler. C’est ce que Steven Spielberg vient nous raconter, avec pour personnages phares Katharine Graham et Benjamin Bradlee. Vous vous demandez s’ils ont vraiment existé ou s’ils sont fictifs ? Ils ont été bien réels. Allons allons, nous savons tous que Steven Spielberg a un goût prononcé pour l’Histoire, et que de ce fait, il ne fait pas dans la demi-mesure. Il tient à se tenir au plus près de la réalité, et nous avons eu maintes fois l’occasion de le constater, à condition de prendre la peine de se rencarder un petit peu. Pourtant je ne vous cache pas que j’étais quelque peu sur la réserve. Pourquoi ? Tout simplement parce que le cinéaste a lancé le tournage de "Pentagon papers" pendant la longue phase nécessaire à la postproduction riche en effets spéciaux de "Ready player one" dont il venait d’achever les prises de vues. Ma crainte était donc de voir "Pentagon papers" plus ou moins bâclé et tourné à la va-vite. Bon, je m’en veux d’avoir douté. D’abord parce que la documentation a été très poussée, ensuite parce que le film repose sur un scénario solide, écrit par Josh Singer (oscarisé en 2016 pour "Spotlight") et par la nouvelle venue Liz Hannah. A cela on rajoute une parfaite reconstitution des années 70. Spielberg livre une fois de plus une vraie leçon de mise en scène sur bon nombre de plans. Cette mise en scène ne s’en retrouve pour autant jamais ampoulée. Sans aucune emphase ni exagération, elle s’en retrouve à la fois sobre et efficace, portée il est vrai par la qualité de jeu des deux acteurs vedettes. Le spectateur retrouve toute la sensibilité de Meryl Streep, bien que je préfère parler de fébrilité. Après tout, d’après la bande-annonce largement diffusée dans les salles, nous savons que Katharine Graham n’était pas destinée à prendre la direction du Washington Post et que de ce fait, elle était considérée comme incompétente. Eh bien Meryl Streep retranscrit à la perfection cette fébrilité quant à la tâche qui lui incombait alors qu’elle n’y était absolument pas préparée. On le serait à moins à sa place, tiraillée qu’elle est par les valeurs morales, les enjeux financiers, les pressions politiques, et la perspective d’un avenir sombre chargé des éventuels comptes à rendre à tous ses employés. Son expérience a parlé et lui a permis de se sortir de la pression de tourner pour la première fois un rôle important avec « le boss », Steven Spielberg. De là à déclarer "Pentagon papers" comme un film féministe… qu’aurait-on dit si un jeune héritier masculin avait pris la suite ? On dit aussi que "Pentagon papers" vise Donald Trump… qu’aurait-on dit si son adversaire féminin avait emporté la présidentielle ? Non, la vraie visée du film est le gouvernement. Ou plutôt les gouvernements. Autant être honnête, ils sont tous aussi bonimenteurs les uns que les autres, quels qu’ils soient. On remet toujours les mêmes à la tête du pays, mais nous ne sommes pas dupes. Bref. Pour en revenir aux qualités techniques, Tom Hanks donne parfaitement la réplique à Meryl Streep. Certes il a maintenant l’habitude de travailler avec Spielberg, mais ce qui est remarquable, c’est qu’il retranscrit à la perfection la philosophie de Ben Bradlee : « La vérité c’est la vérité, si vous la connaissez, vous devez l’écrire, un fait est un fait, vous devez l’imprimer. Sinon, pourquoi écrire un journal ? Pourquoi vendre un quotidien ? Pourquoi faire ce job ? ». Mon seul souci est qu’il me semble un peu trop empâté pour le job de son personnage, quoique le véritable journaliste l’était aussi. Plus généralement, la gestuelle est au millimètre, et ça va du corps qui se fige quand celui-ci découvre quelque chose d’importance à la frénésie qui l'inonde au téléphone (une des rares séquences de plein air), en passant par la posture des jambes sous le bureau. Bravo à la direction des acteurs ! Et bravo aux comédiens aussi pour avoir su rendre une copie aussi parfaite. Alors si on rajoute à ça des dialogues tirés au cordeau… Il le fallait d’ailleurs parce que les dialogues bénéficient d’une sacrée belle part. De quoi peser le pour et le contre avec la plus grande précision argumentée. Dans tous les cas, nous avons là une belle leçon de courage. Je n’ai qu’un seul regret : que le « procès » ne soit pas plus exploité, alors que Spielberg maîtrise bien cet exercice (« Amistad », ou encore les belles joutes verbales données dans la Chambre des Représentants à l’occasion de « Lincoln »). En revanche, il nous offre de belles prises de vues sur les rotatives. Enfin pas que les rotatives. On comprendra pourquoi il fallait toute une nuit aux journaux pour imprimer... quel boulot ! Et rien que pour ça, il est intéressant de découvrir comment ça fonctionnait. Des machines imposantes qui, une fois en marche, se font la représentation même du rouleau compresseur qu'est parfois la presse. Alors ? Ces machines seront-elles lancées pour ne plus s'arrêter ? La réponse devant le film.