Sacha Guitry n'a sans doute jamais affiché autant de cynisme et de pessimisme que dans cette farce noire. Il y a un vrai désenchantement dans la peinture conjugale du couple des Braconnier, comme si l'auteur se plaisait à montrer l'avilissement de l'être humain davantage que la dégradation de la relation amoureuse ou conjugale. L'amertume se mesure derrière les insolences misogynes et les bons mots, dont Guitry a recours moins souvent, me semble-t-il, que par ailleurs, et on sent bien tout le mépris que lui inspire la société, provinciale en particulier, dont il moque la médiocrité populaire, la stupidité collective et l'esprit de clocher.
Le personnage de Michel Simon illustre la dualité du ton, tour à tour fantaisiste et dramatique, par sa nature sympathique et drôle autant que par ses sentiments cruels, féroces qui le conduisent à projeter le meurtre de sa femme.
Crime dont la réalisation, portée par un humour noir souvent brillant, prend une proportion comique singulière par le fait qu'il est précédé d'une "répétition générale" (Braconnier consultant son avocat par avance).
De toute évidence, "La poison" puise son inspiration dans ce qui apparait un règlement de compte, plus qu'une critique, avec la justice, à laquelle Guitry semble refuser le droit de juger. Il lui oppose, dans la scène du procès, le bon sens, voire la logique scandaleuse, de l'accusé Braconnier; lequel mène lui-même un débat irréaliste. On y décèle comme une odeur de poujadisme bourgeois, relevé par la causticité de l'auteur et par son impertinence provocatrice. Ses problèmes à la Libération n'y sont pas étrangers probablement...