The Card Counter : les secrets du tournage

The Card Counter s’inscrit dans l'oeuvre de Paul Schrader. Le film s'attache en effet au désespoir existentiel d'un protagoniste solitaire, à sa famille de substitution formée par son agent et un adolescent, et aborde également la quête de sens de ce dernier après le suicide de son père militaire de carrière. Le metteur en scène explique :

"Au fil des années, j’ai mis au point mon propre genre cinématographique. En général, mes films parlent d’un type, seul dans une pièce, qui porte un masque - et ce masque désigne sa profession. Il peut s’agir d’un chauffeur de taxi, d’un dealer, d’un gigolo, d’un pasteur, et je confronte ce personnage à un obstacle majeur, personnel ou social."

A l'origine, Paul Schrader recherchait des ’financements pour un projet de western avec Willem Dafoe et Ethan Hawke. Le cinéaste a cependant eu une autre idée, liée à ses thèmes de prédilection : la culpabilité, la rédemption et la responsabilité morale. Il précise : "J’avais envie de m’intéresser à un personnage qui a commis un acte qu’il ne peut se pardonner. Il a fait de la prison, et si la société lui a sans doute pardonné, il ne s’est pas lui-même pardonné. Il a fait quelque chose de terrible, et il vit dans une sorte de purgatoire. Comment peut-il espérer s’en sortir ?"

C'est Nicolas Cage, un ami du réalisateur Paul Schrader avec qui il a tourné dans La Sentinelle et Dog Eat Dog, qui lui a recommandé Tye Sheridan dans le rôle de Cirk (les deux acteurs s'étaient donné la réplique dans le drame Joe en 2013). A l'origine, c'est Shia LaBeouf qui devait jouer ce personnage, mais il a dû décliner pour des raisons d'emploi du temps.

C'est en regardant des émissions de poker à la télévision et en réfléchissant aux motivations psychologiques des adeptes des machines à sous que Paul Schrader a commencé à envisager le quotidien des joueurs professionnels : une non-existence monotone où les heures s’écoulent sans qu’il ne se passe grand-chose... Un cadre idéal pour situer l'intrigue de The Card Counter :

"C’est, en quelque sorte, l’activité de William Tell : il évolue dans ce milieu hors du temps, sillonnant les casinos, jouant aux cartes et attendant que quelque chose arrive enfin. Au poker, on peut jouer pendant des jours et des jours avant d’avoir la main tant attendue. On peut espérer avoir de la chance toutes les deux ou trois semaines, mais la plupart du temps, ce jeu consiste à attendre."

A noter la présence de Martin Scorsese au poste de producteur exécutif de The Card Counter. Un réalisateur que Paul Schrader connaît bien puisqu'il avait écrit les scénarios de Taxi Driver, Raging Bull, La Dernière Tentation du Christ (porté par Willem Dafoe, second rôle dans The Card Counter) et À tombeau ouvert.

The Card Counter permet à Paul Schrader de retrouver son acteur fétiche en la personne de Willem Dafoe. Le metteur en scène a, en effet, fait tourner l'acteur dans Light Sleeper (1992), Affliction (1997), Auto Focus (2002), The Walker (2007), Adam Resurrected (2008) et Dog Eat Dog (2016). Par ailleurs, Dafoe a joué aux côtés de Oscar Isaac dans At Eternity's Gate (2018)

L’équipe décors a reconstitué Abou Ghraib pour les scènes de torture. Paul Schrader souhaitait qu'elles donnent le sentiment de plonger dans une réalité virtuelle, si bien que le spectateur a l'impression d’arpenter les couloirs de la célèbre prison et d’observer les actes de torture. Le directeur de la photographie Alexander Dynan, qui pour l'occasion collabore avec le cinéaste pour la troisième fois après Sur le chemin de la rédemption et Dog Eat Dog, confie :

"C’est comme lorsque des vidéos en VR sont postées sur YouTube ou Vimeo et que le lecteur n’arrive pas à prendre en charge la dimension 360° de l’image - elle est compressée et aplatie d’une manière franchement étrange. Les portes sont tordues et les silhouettes déformées dans les coins de l’image. Pour moi, c’était un prolongement du travail de James Wong Howe dans L'Opération diabolique, sans avoir à construire des décors déformés."

Pour obtenir l’effet de caméra subjective recherché par Paul Schrader pour les scènes d'Abou Ghraib, Alexander Dynan a sollicité le technicien spécialisé en imagerie numérique Ben Schwartz, dont le travail sur le court métrage en VR ASHE 68 permet au spectateur de se glisser dans la peau du champion de tennis Arthur Ashe lors de l’US Open de 1968. Le directeur de la photographie confie : "Sans entrer dans les détails techniques, on a ’fini par tourner avec une caméra RED équipée d’un objectif à très grand angle, puis on a transféré ce•tte image en format 2.1."

The Card Counter a été tourné dans le Mississippi début 2020, avant que le Covid 19 n’interrompe le tournage en mars. Il ne restait alors plus qu’une semaine de tournage.